Le petit siècle de Rochefort…

31 octobre 2010,

Douze ans que Christiane est morte et je ne m’en console pas.

Toutes ces années d’absence, d’éclipse, c’est trop long.

Son dernier livre, CONVERSATION SANS PAROLE commence par ces mots terribles : Je vais te faire un aveu, ma mère me manque. Eh bien, on en est tous là, même si on n’en a que moindrement conscience. Par les temps qui courent, Christiane nous manque !

Alors je lis, relis, ressasse. Me souviens et m’en rie en essuyant une absence de larme, une larme d’absence. Retrouve quelques perles,  à porter au mémorial de son escamotage :

“Je peux me mettre dans la peau du cerf, dans sa crainte, dans la peau de la taupe qui fouit sans voir, dans le dernier loup, condamné qui se terre quand il voudrait sauter et mordre, dans l’éphémère mortel dont les ailes battent leur dernier vol, dans la mouche prise à la toile, dans l’araignée qui attend en vain. Dans le lion qui n’a pas trouvé de proie, dans le chacal errant, dans le serpent dont la moitié du corps est écrasé, dans la grenouille sous le scalpel, dans l’aigle qui a fait son nid trop haut, dans le migrateur que le vent a perdu et dérouté, dans tout ce qui a peur et s’affole et résiste et se bat et meurt, mais je ne peux me mettre dans le peau de l’homme, dans la mienne”.

En revanche dans celle de l’ancien enfant qu’elle n’a jamais cessé d’être, elle peut toujours.

Quand vous mettrez-vous à aimer les enfants? Car non, vous ne les aimez pas. Des enfants vous parlez en termes de trésor, ou alors, de gêne. Vous acceptez l’idée qu’ils sont votre bénédiction, ou bien votre oppression. En tous cas votre. C’est l’idée du maître que vous acceptez là : que les enfants sont votre lot.

Ainsi il vous enchaîne à eux et les enchaîne à vous, d’une laisse deux esclaves.

Croyez vous qu’on ne le sent pas? On ne se sent pas aimé, on se sent une chose. Objet. Non tu ne m’aimes pas chère maman, tu peux le crier sur les toits, ce que tu cries c’est encore : au secours!

Moi, je l’aimais d’amour, Christiane.

Son sourire de voyou quand elle vous balançait une vacherie. Ah ça, on en aura bouffé des langoustes pour faire passer la pilule, l’âge, les maladies, la douleur…

En plus d’un très grand écrivain, c’était un sacré combattant. Pour ses idées. Parce qu’elle s’était donné la peine d’avoir des idées et de les organiser. Et elle s’est battue pour ses idées avec la seule arme qu’elle a fourbi toute sa vie, le Roman.

La nature seule mérite qu’on s’y penche. Les humains, c’est à voir, chaque fois il faut voir, c’est jamais sûr. La nature si. On peut compter avec, d’ailleurs on n’a rien d’autre sur qui compter. Sauf les miracles. Mais compter sur un miracle suppose la foi. Christiane qui en avait à revendre refusait d’appeler ça la foi. Ecolo, longtemps avant l’heure, je l’ai connue en 77 quand je suis allée la débaucher pour fabriquer le Conseil Consultatif des Amis de la terre. Le concon, comme on l’appelait, lui permit de rencontrer quelques-uns des savants qu’elle admirait le plus. Elle adorait les savants. Je me souviens qu’on a même rêvé la marier à Jean Rostand. Tellement ses mirettes se mettaient à briller quand elle demandait, la mine gourmande, « et si on conviait Haroun Tazief, ou Bombard, ou encore celui-là… au Concon? »

Croissez! Multipliez! Remplissez la terre! Et l’assujettissez!

Mission accomplie, seigneur. Et maintenant?

(In Le monde est comme deux chevaux)

Auteur d’une œuvre véritable, d’un univers romanesque complet. Au point que même amies comme nous fûmes, il était difficile de parler d’autre chose que de ses livres ou de littérature.

Dans l’œuvre complète d’un grand écrivain, il y a toujours un livre phare, un livre qui les résume tous. Un livre somme. Celui que Rochefort publie en 88 est le plus rocherfortien de tous. Il dit dans une langue incroyablement écrite la terrifiante oppression de l’enfance assassinée. Dernier combat d’un écrivain qui n’a sans doute jamais combattu pour autre chose que mettre un terme à l’assassinat des enfances de toutes les manières possibles. Histoire de fabriquer des humains qui n’aient pas besoin de saboter plus faible qu’eux afin de se venger.

La Porte Du Fond résume l’œuvre et la contient toute.

Je voulais être honnête. Honnête! Quelle sottise. Avec qui?

Ce n’est pas juste, mais qui parle de justice.

Ce qui me manque c’est un autre monde.

Cette pauvre planète quand j’y pense. Ce joyau. Ce qu’on en a fait. Ça me brise le cœur. Je ne le dirai jamais assez.

Et ce sera encore pire quand elle ne m’aura plus. Une petite unité ça compte, chaque unité ça compte…

Elle comptait terriblement pour moi. Et elle (me) manque follement, rebelle, entêtée, de mauvaise foi, mais vivante, vivante tellement.

Sophie Chauveau

Bio de Christiane

« Elle est née (en juillet 17) d’une illusion d’amour, vite effacée. Mais elle, elle est restée »…

Elle a aimé, beaucoup, vécu, terriblement, écrit, peu mais bien.

Elle s’est beaucoup battue, pas mal débattue, contre, en vrac : les bulldozers et les empêcheurs d’avorter, la connerie et encore la connerie. Pour: la cause des enfants libres, la langue française, l’écologie sans parti ni organisation et le féminisme idem.

Elle est morte en avril 1998, toujours libre.

Liste des romans

le repos du guerrier
les petits enfants du siècle
les stances à Sophie
une rose pour Morrison
printemps au Parking
Archaos ou le jardin étincelant
encore heureux qu’on va vers l’été
quand tu vas chez les femmes
la porte du fond
essais
c’est bizarre l’écriture
les enfants d’abord
ma vie revue et corrigée par l’auteur
adieu Andromède
le monde est comme deux chevaux
conversation sans parole.

S.C.