Homo rurbanicus

17 février 2011,

« Ils » veulent que nous partions tous vivre en ville, que nous ne restions pas ici, à la campagne :  la boulangère de la haute vallée de l’Aude commente l’affichette appelant à la mobilisation pour le maintien de la poste à Espéraza qu’elle a accrochée dans sa boutique. L’abandon programmé des services publics dans les zones rurales ne serait-il pas qu’un volet discutable d’une politique d’aménagement du territoire elle aussi contestable ?

La boulangère n’a peut-être pas tort. Elle sent sa liberté menacée. Sa liberté de vivre là où bon lui semble, sa liberté d’exister dans l’environnement qu’elle affectionne, la pleine campagne, sans avoir à se justifier de ce bonheur tout simple. Là où les cloches vous réveillent, où les oiseaux vont bientôt rompre la nuit de leurs chants printaniers, où l’air est pétri des arômes des mondes minéral, végétal et animal. Où le petit jardin de la chanson n’a rien à craindre du bitume car ses chèvrefeuilles vagabonderont follement, suspendus au fil d’un temps sans valeur marchande. Un endroit où le mètre carré de planète n’est pas encore devenu une somme d’argent au cours fluctuant, un lieu où l’espace n’est pas un luxe mais simplement une composante de la vie. Où l’horizon n’est pas un indice de valeur immobilière. Où l’être humain peut survivre comme il le veut s’il le décide. Comme un rural trouvant pratique la tête de pont urbaine qu’est le supermarché du coin ou comme un marginal ( ? ) assumant sa subsistance avec un potager et quelques bricolages, un mode de vie qui ferait de lui un sdf dans la jungle urbaine où il est si dur de rêver….

Et si la ville était effectivement un lieu artificiel où l’homme est fragilisé par sa dépendance dans tous ses actes essentiels de survie que sont manger, respirer un air sain, se loger (s’abriter des éléments !), se déplacer. Où il ne reste presque plus de place pour exercer la liberté simplement quotidienne de se laisser porter au gré de ses envies. Un lieu par nature coercitif où chaque fenêtre d’azur devient l’objet d’une conquête. Où la liberté n’est plus un état mais l’objet de combat.

Faire de tous les humains des urbains (au sens premier du terme) : la concentration urbaine génère chez les responsables politiques un tropisme social préoccupant. L’antropomorphisme des écologistes n’est plus de placer l’Homme au centre de son milieu, mais de réduire le milieu à l’Homme. Alphonse Allais voulait mettre les villes à la campagne, aujourd’hui on souhaite réduire les campagnes à la ville, ce qui revient à supprimer la notion de campagne. L’homo rurbanicus serait-il le chaînon manquant entre Néandertal et le Meilleur des mondes ?

Maryse Lapergue