Du plutonium dans une passoire

30 mars 2011,

Le Sauvage, septembre 1977

Les géologues ne peuvent garantir la sécurité du stockage des déchets nucléaires. Autrement dit, la terre n’est pas un bon cimetière, c’est plutôt une passoire d’où s’échapperont, tôt ou tard, des éléments radioactifs. Telle est la conclusion d’une étude parue dans la revue américaine Science, dont voici un résumé. Le problème est d’autant plus d’actualité en 2011.

Par Yves Lenoir

L’étude a été réalisée par M. G. de Marsily, directeur du centre d’information géologique de l’école nationale supérieure des mines de Paris, E. Ledoux, centre d’informatique géologique, J. Margat, service géologique national, bureau de recherches géologiques et minières.

On se propose donc de discuter le confinement des radionucléides toxiques de longues demi-vies, essentiellement l’iode 129 (16 millions d’années), le neptunium 237 (2,13 millions d’années) et le plutonium 239 (24 400 ans). En l’état actuel des techniques disponibles ou en cours de mise au point, ils devraient se trouver inclus dans les déchets de haute activité provenant du retraitement du combustible usé des réacteurs nucléaires.

L’enfouissement des déchets solidifiés ne saurait intervenir qu’après une phase transitoire d’au moins cinquante ans, consacrée à un refroidissement dans des installations spéciales de surface, le temps que, par décroissance radioactive des constituants à vie courte ou moyenne, l’activité thermique qui y est associée ait suffisamment baissé.

Trois barrières sont alors censées protéger l’environnement biologique contre les déchets radioactifs enfouis dans leur cimetière « définitif » :

—  tout d’abord le verre lui-même, première barrière ;

—  puis le conteneur en acier dans lequel on l’a coulé, deuxième barrière ;

—  enfin la troisième barrière, représentée par le système géologique.

On n’attend pas de l’enveloppe d’acier qu’elle résiste plus de quelques centaines d’années, si bien que l’on n’en tiendra pas compte ici.

Le comportement futur des verres est controversé. Ils sont sensibles à :

—  la présence d’eau, dans laquelle ils « fondent » lentement ;

—  une température trop élevée qui les dévitrifie, les cristallise, d’où un accroissement considérable de leur surface de contact avec l’eau et, donc, de la vitesse de leur mise en solution ;

—  la désintégration radioactive de leurs constituants.

Deux hypothèses ont été retenues :

—  préservation indéfinie de la structure des verres ;

—  destruction de la structure des verres après 10 000 ans, et dans cette hypothèse, on admet que tous les radioéléments auront quitté les verres 5 000 ans après la destruction de ceux-ci.

La barrière géologique joue naturellement le rôle primordial. On lui demande de confiner la radioactivité jusqu’à disparition, jusqu’à ce qu’elle ne présente plus de danger. Le confinement n’a pas à être forcément total si la dilution des fuites est suffisante pour garantir que la concentration des radioéléments détournée dans l’environnement est inférieure aux limites admissibles.

De plus, le dépôt doit être inaccessible et inviolable. Il ne faut pas que d’autres hommes cherchent à y accéder dans le futur (l’absence de « ressources » à récupérer est une garantie — fragile car relative) et, d’autre part, il n’est pas réaliste d’en assurer le gardiennage indéfiniment.

Enfin, on doit pouvoir contrôler le dépôt pendant un certain temps, afin de s’assurer que ses propriétés sont satisfaisantes (notez que les deux dernières conditions sont contradictoires, NDLR).

L’étude de la migration des radioéléments dans la croûte terrestre est assez technique et nous nous contenterons d’en résumer les résultats.

Elle commence par quelques rappels « historiques » fort bienvenus :

—  le Sahara était en partie fertile il y a 5 000 ans ;

—   l’Angleterre était encore rattachée au continent il y a 7 000 ans, quand le niveau des mers se trouvait à 100 m plus bas qu’aujourd’hui ;

—   il y avait encore des volcans actifs en France il y  10 000 ans, etc.

Les auteurs font ensuite remarquer que le calcul des probabilités n’est pas pertinent pour aborder le risque d’accident géologique, car l’évolution de la croûte terrestre n’est, à l’évidence, pas un phénomène aléatoire. Bien sûr, l’observation de formations géologiques analogues à celle envisagée pour un stockage des déchets radioactifs ne fournit pas d’indications valables, les comportements observés étant variables dans le temps et dans l’espace (on dit que ce ne sont pas des phénomènes stationnaires, au sens de la théorie des systèmes… et pour commencer à démystifier l’usage grandissant du jargon systémique, nous ajouterons que cela revient à dire que ce sont des phénomènes historiques et que la méthode scientifique consacrée, fondée sur l’illusion de la répétitivité des expériences, ne s’y applique donc pas).

Un accident géologique étant possible, aucune roche n’étant parfaitement imperméable, les auteurs en viennent à étudier le devenir des déchets radioactifs soumis à un flux d’eau ascendant, ainsi que cela se produit habituellement dans les plaines, zones à priori stables où l’on ira chercher des sites de stockage.

La paramètre important est la valeur de la contamination de la nappe phréatique située au-dessus du stockage (ces nappes alimentent les puits et sont parfois en relation avec les eaux de surfaces, rivières, lacs). La remontée des corps radioactifs dépend d’un certain nombre de paramètres. Les uns intéressent la géologie ou, plus exactement, l’hydrogéologie du lieu (porosité, pression de l’eau ou gradient hydraulique, perméabilité). Les autres concernent la composition chimique des déchets et leurs propriétés en présence de roche.

On a supposé que l’épaisseur de la couche était de 500 m. Il est apparu lors des simulations que le paramètre sensible entre tous est le coefficient d’absorption, propriété physico-chimique qu’ont certaines roches (argiles) de retarder le transit de catégories de composés chimiques en solution par rapport à la vitesse d’écoulement de l’eau. Ce coefficient est toujours nul pour l’iode 129, de l’ordre de 15 pour le neptunium et, soit nul, soit voisin de 2 000 pour le plutonium, suivant les complexes chimiques où il est impliqué.

Les hypothèses retenues quant aux qualités hydrogéologiques de la couche rocheuse sont assez variées pour couvrir un large spectre de roches imperméables et très imperméables, plus ou moins poreuses. Les résultats sont évidemment assez différents d’un jeu d’hypothèse à l’autre.

De leur analyse, il ressort que l’iode 129 sera très difficile à confiner, le maximum de pollution pouvant, dans certains cas, être « observés » au bout de 10 000 à 20 000 ans et dépasser très largement (de 5 à 250 fois) la concentration maximale admissible (CMA). Le neptunium pose moins de problèmes puisque dans le cas testé le plus défavorable, on dépasse au plus de 13 % la CMA au bout de 40 000 ans.

Le plutonium représente la plus grande inconnue. S’il est absorbé, il n’y a rien à craindre. Dans le cas contraire, il faut être prêt à la catastrophe, la concentration pouvant alors atteindre 470 fois la CMA après 20 000 ans.

Or, la connaissance sur le devenir du plutonium dans le sol incite à la plus grande circonspection :

—  à Okolo, mine d’uranium ayant « divergé » comme un réacteur il y a quelque deux milliards d’années, le plutonium formé semble être resté sur place, ainsi qu’en témoigne la présence de ses produits de filiation (sa descendance par désintégration radioactive) ;

—  à Maxley Flats (U.S.A.), par contre, on a observé d’importantes migrations de plutonium dans un stock de déchets de moyenne et basse radioactivités (des déplacements de plusieurs dizaines de mètres ont été constatés après 10 ans de stockage). Le plutonium a, dans ce cas, formé un complexe chimique non-adsorbable, fait qui renforce l’hypothèse d’une adsorption parfois nulle pour des composés de ce métal.

La comparaison des résultats relativement aux hypothèses de calcul conduit, dans tous les cas, à la « règle » paradoxale suivante : plus la roche est imperméable (jusqu’à une certaine valeur qui dépend du rapport entre la vitesse de transit des radioéléments et leur demi-vie, puisqu’au-delà, ils se sont en majorité désintégrés pendant leur déplacement) et plus le pic de pollution est important. On s’explique aisément ce résultat en remarquant que plus la vitesse de l’écoulement est faible et plus l’eau se charge en matière radioactive par suite d’un contact plus long avec les déchets. Nous avons là sous les yeux l’une des nombreuses contradictions qui rendent si difficile et hasardeuse la maîtrise de l’atome ; il faut en effet disposer les déchets dans une roche imperméable pour les préserver au maximum de leur ennemie naturelle, l’eau, mais la perfection n’étant pas de ce monde, on ne peut éviter des infiltrations dont les conséquences militent en faveur de l’adoption de roches perméables.

La conclusion trouvée par les auteurs est révélatrice de l’état d’esprit des géologues. Si la couche géologique est satisfaisante, on peut sans risque y stocker des déchets, lapalissade qui n’engage à rien. La question de savoir si elle le restera suffisamment longtemps ne peut recevoir de réponse assurée, ainsi que cela a été montré au début de l’article. Les géologues n’ont pas l’air très « chaud » pour porter le parapluie atomique. Ils semblent craindre qu’il se perce à la longue. N’est-ce pas ainsi qu’il faut interpréter le dernier paragraphe de leur étude ? Ils suggèrent de renforcer la barrière géochimique naturelle au moyen d’une barrière artificielle disposée autour des déchets.

La géologie est peu sûre. Que les ingénieurs de l’atome assument eux-mêmes la gestion de leurs excréta.

Yves Lenoir

N.B.  1er avril 2011

Rentré de Strasbourg je viens de regarder mon ancien papier.

Il n’a pas vieilli !!! Le mettre à jour, quelques détails, ne servirait à rien. Tel qu’il est là, en son état d’alors, il confirme a posteriori que l’on n’a guère avancé depuis bientôt 35 ans. J’en veux pour preuve que le site de Yucca Mountain où le DoE a entrepris en 1978 de qualifier un stockage pour les déchets de haute activité US (militaires et civils) vient d’être abandonné. Malgré des travaux ayant coûté plus de 15 milliards de US$, les promoteurs du projet n’ont pas réussi à prouver que toutes les garanties seraient apportées.

J’ai visité ce site en juin 2000. Le spectacle de cet immense complexe souterrain de plusieurs km de long percé dans la montagne du désert du Nevada, à proximité des sinistres polygones militaires, aurait réjoui nos grands prêtres de la secte atomique, tant une telle débauche de moyens mis en oeuvre durant plus de 20 ans à l’époque ne pouvait que convaincre que l’on touchait au but. Dix ans d’études supplémentaires n’ont pas suffi à lever toutes les incertitudes. Là bas, on est quasiment revenu à la case départ : garder les déchets dans des installations de surface.

Bien entendu, la branche française de la secte atomique est bien plus fortiche. En quatre fois moins de temps et en dépensant vingt fois moins elle a trouvé la solution, au fond d’un trou sous la commune de Bures.

Ouf ! La liturgie radioactive pourra donc être célébrée in secula seculorum ! Amen…

Y.L.