Le jardin du Luxembourg

2 mars 2011,

Comment fonctionne un jardin public

reprint Le Sauvage, n° 71, été 1980 (on constatera quelques anachronismes résultant de l’époque de rédaction de l’article mais qui ne nuisent pas au charme de cette promenade écologique pour parisiens captifs de l’urbs.)

par Françoise Biro

(voir l’hommage à Françoise dans la rubrique Gloire à nos illustres pionniers)

Le Luxembourg est comme une maison bourgeoise bien organisée : les jeux d’un côté, le sport de l’autre, l’agrément au milieu. 25 ha de parterres fleuris en plein Paris, 3 500 arbres et deux terrasses, un bassin, deux fontaines, une centaine de statues dont vingt reines de France, des promeneurs tranquilles, des enfants, beaucoup d’enfants, de vieux messieurs seuls, des étudiants qui lisent, des dames frileuses, le frisbee et le tennis, de petits kiosques à jouets. Voilà pour l’endroit. Moins compliqué qu’il n’y paraît. À l’envers, ce sont des chiffres, du personnel, des espèces végétales, un règlement, une administration, des patentes. Tout ce que le public ne voit pas.

Le Luxembourg est un jardin privilégié. Presque un lieu privé, puisqu’il appartient au Sénat. À ce titre, il est l’objet de soins que lui envient d’autres jardins publics.

Jusqu’à 100 000 Parisiens s’y côtoient certains jours d’été. Ils trouvent là une place au soleil. Et aussi, sans tomber dans le folklore de la barbe à papa, la bonhomie champêtre de certains lieu de kermesse.

Peut-on être amoureux d’un jardin ? Pour qui a la faveur de le fréquenter assidûment, le Luxembourg est un lieu irremplaçable. On vient y croquer une pomme. On le traverse d’un point A à un point B. Il s’y passe à chaque instant quelque chose. On peut y louer un voilier pour 5 F l’heure. Les vieux s’assoupissent au soleil tiède, sous les palmiers devant l’Orangerie, comme à Monte-Carlo.

C’est aussi un lieu pour les grands solitaires. Cette femme qui charrie une grande cape rouge derrière elle. Elle traverse le jardin à grands pas juste avant la fermeture. Chaque fois le même itinéraire, obsessionnel : du portail Saint-Michel au bassin, un crochet jusqu’à la fontaine Médicis, puis la fontaine Eugène Delacroix, longer l’Orangerie et ressortir par la rue Guynemer. Jamais côté soleil. Elle ne regarde personne. Plus très jeune. Encore belle. Beaucoup d’allure. On dit d’elle quand elle passe : « C’est une excentrique ». Elle a peut-être eu une vie intéressante, des amants poètes, une existence tout en crêtes et en retombées. Et maintenant, cette traversée du jardin constitue sa seule sortie journalière. Elle est fardée comme nul ne se farde plus, la bouche sombre et le trait qui dépasse, avec du vert autour des yeux. On l’imagine dans un petit appartement encombré du côté de la rue Mazarine, volets tirés, des tentures, des soieries, des tasses de thé — des souvenirs.

ABATTAGE

Lorsqu’un arbre est vieux ou malade, il faut l’abattre. Opération toujours controversée, surtout lorsqu’il s’agit d’abattages par carrés, soixante marronniers d’un coup. Le conservateur du Luxembourg objecte qu’il faut couper les arbres au moins par cinq. Un abattage isolé serait en effet suivi d’une nouvelle plantation isolée dans l’ombre des arbres restants, ce qui limite ses chances de survie. Pour éviter les coupes sombres dues à des maladies comme celles qui tuent les ormes, les plantations sont désormais diversifiées : beaucoup de tilleuls, des marronniers, des érables, des paulownias, des robiniers, des sophoras, des platanes et, éventuellement, des tulipiers.

ABEILLES

Un million dans une vingtaine de ruches dissimulées derrière une palissade. On dit que personne n’a jamais été piqué. Le rucher-école est animé par un missionnaire des Campagnes, le frère René-Jean Marmou. Il partage sa passion de l’apiculture avec deux cents élèves, anachroniques personnages voilés et chapeautés de blanc que l’on voit s’agiter en avril, mai, juin et septembre, près de l’entrée qui fait face à la rue Vavin. Les cours théoriques sont dispensés en février et en mars. S’inscrire à la Société Centrale d’Apiculture, 41, rue Pernety, 75014 Paris. Tél. : 542 29 08.

ADMINISTRATION

À la différence des autres jardins publics de la capitale, le Luxembourg n’est pas administré par la Ville de Paris, mais par le Sénat : l’entretien des jardins relève de la compétence d’un architecte en chef et d’un conservateur, tandis que la gestion proprement dite et la police sont du ressort de la questure. Le budget de fonctionnement est prélevé sur le budget autonome du Sénat. Échappent à la règle la crèche-garderie qui dépend de la municipalité du 6e arrondissement, le tennis et le kiosque à musique, cédés à des associations, et les aires de jeux (boules, échecs, cartes, croquet, longue paume).

ÂNES

Les petits ânes du Luxembourg vont dormir rue de la Sablonnière, dans le 15e arrondissement, au rez-de-chaussée d’une maison d’habitation. Il leur faut deux heures pour couvrir aller et retour ce trajet quotidien de 3 km. M. Gascard, propriétaire de ce commerce, est un ancien notaire, membre de la SPA.

ARBUSTES

L’aucuba, le cotonéaster, le laurier palme, le troène, le laurier-tin font partie de la dizaine d’espèces suffisamment privilégiées pour se développer malgré le manque de lumière et la concurrence des racines dûs au voisinage des grands arbres. 35 000 arbustes en tout.

ARCHITECTE EN CHEF

Le grand patron des jardins du Luxembourg est l’architecte en chef du Palais du Sénat et de ses dépendances. Il est aussi responsable de l’ordonnance des jardins, et a sous ses ordres un conservateur. L’actuel tenant du titre s’appelle Christian Langlois. En poste depuis neuf ans, il est aussi membre de l’Institut. Sa fierté est d’avoir doublé la surface utile du Sénat (2,5 ha) sans empiéter sur les jardins. Les quatre sous-sols sous les jardins et la cours d’honneur du Palais ont été aménagés pour recevoir archives et collections précieuses de la bibliothèque, entreposées jusque là dans le Musée du Luxembourg. Fermé depuis 1939, ce musée a pu ainsi être restitué à sa destination première. Il a été réouvert le 14 mars dernier sous la tutelle des Affaires culturelles. Christian Langlois a aussi rétabli la terrasse du palais du Sénat, avec son dallage de marbre, sa clôture à balustres et son perron en demi-lune tels qu’ils avaient été conçus par Salomon de la Brosse pour être ensuite supprimés par Chalgrin, sous le Consulat. Pour donner de l’éclairage aux bureaux récemment aménagés dans le premier sous-sol, il a ouvert sur la façade nord-est du palais deux gracieux patios avec fontaines, jets d’eau, et parterres brodés aux armes de Marie de Médicis.

ARROSAGE

Très problématique. Le Luxembourg est abreuvé à l’eau de Seine, très polluée, boueuse, malodorante l’été. Charriant en plus des capsules de bouteilles et mille autres scories, ainsi qu’une multitude de petits coquillages, de quoi remplir un demi-verre par heure et par arroseur. Il a fallu imaginer tout un système de filtrage — des filtres individuels pour chaque arroseur et un gros filtre « en amont », à l’arrivée de l’eau. Comme d’autres jardins publics, le Luxembourg va peut-être passer à l’eau de la ville.

BASSIN

On y trouve de tout : des bouteilles, des chaises, des gourmettes en or (les réclamer à la questure du Sénat). Le nettoyage se fait une fois par an, avant le mois de mars, et il faut trois jours pour le remplir. Son eau est celle, recyclée, de la Ville de Paris. Le bassin du Luxembourg était alimenté dans le temps par un ancien aqueduc romain qui amenait l’eau depuis Rungis.

BAUDELAIRE ET SAINTE-BEUVE

Ennemis irréductibles dans la vie, on leur avait infligé au Luxembourg un voisinage qu’un lettré tatillon s’est acharné à contester. Il a fini par obtenir gain de cause, et c’est Charles Baudelaire, immortalisé par Fix-Masseau, qui a dû déménager. Transportée du côté du lycée Montaigne, la statue a été réinaugurée en grande pompe il y a une dizaine d’années.

BEACH (Luxembourg on the)

Pas besoin d’être bien futé pour bronzer « partout » sans attenter au règlement (« L’entrée du jardin est interdite à toute personne d’une mise inconvenante »). Le mieux est d’y aller par tranches.

BIENHEUREUX

Certains dignitaires (sénateurs ou questeurs) qui, pour être convocables jour et nuit, ont le privilège d’habiter sur place, soit dans le joli petit immeuble qui donne, côté cour, sur le 64, boulevard Saint-Michel, soit dans les pavillons du parc. Mais après le président Alain Poher, très au large dans le palais du Petit Luxembourg, le plus veinard de tous est encore un jardinier qui habite au premier étage du pavillon Davioud, une très champêtre bâtisse qui fait rêver, en pierres brunâtres cernées de mosaïques bleues, et dont l’un des flancs s’arrondit en véranda.

BOSQUETS

Personne ne me fera croire qu’il n’y a pas moyen de passer la nuit au Luxembourg. Et ces silhouettes furtives de jeunes touristes étrangers qui débarquent juste au soleil couchant, l’œil fouineur et le sac de couchage roulé sous le bras ? Et au nom de quoi, je vous le demande, ne pas s’offrir le luxe de dormir aux pieds de la belle Mademoiselle de Montpensier ?

BUIS DE BRODERIE

Une colle pour le concours des candidats jardiniers. Comment les plante-t-on ? Éloignés les uns des autres, vu la profusion des racines ? Erreur. Ils se plantent, au contraire, très serrés, de façon à entraver leur croissance pendant que les brins s’entremêlent, ce qui donne un effet immédiat de broderie.

CHAISES

Les initiés se reconnaissent à leur façon de se carrer dans un fauteuil, les pieds reposant sur une chaise placée devant soi. Le droit aux deux sièges semble désormais inaliénable, même les jours de grande presse. Les fauteuils sont de deux sortes. Le modèle de luxe, dit « fauteuil de repos », a un dossier mieux étudié et de plus larges accoudoirs. Difficile à trouver. Il y a en tout 5 140 sièges métalliques. On a racheté cette année 150 nouveaux fauteuils et 150 chaises, pour un total de 60 000 F. On en a repeint mille, pour 41 600 F.

CHAISIÈRES

Disparues depuis 1972, ces petites vieilles en tablier noir à poches qui vous remettaient un petit ticket rose en échange de 45 centimes pour une chaise. Le commerce périclitait. À la mort du dernier concessionnaire, dont personne ne postulait la suite, le Sénat a racheté tous les sièges en bloc et en a instauré la gratuité.

CONSERVATEUR

Jean-Noël Burte, un monsieur bien sympathique qui défend avec âpreté le droit à la vie de chaque plantation et parle des végétaux comme d’êtres humains. Ingénieur horticole, il vient de la direction des Jardins de la Ville de Paris et a, comme l’architecte en chef, franchi la porte étroite d’un concours.

DESSIN

C’est Salomon de Brosse qui dessina les parterres en broderie, les terrasses à balustres et les grandes allées d’arbres en 1615, à la demande de Marie de Médicis. Le jardin fut plus tard revu par Le Nôtre.

DRAGUE

Seule celle qui est visible en plein jour. Autant dire peu, surtout en semaine, et très classique, du genre « Qu’est-ce que vous lisez là ? », and so on, and so on. Rien à voir avec ce qui se passe sur des terrains de chasse autrement giboyeux comme les Tuileries, le Bois de Boulogne ou le Square Notre-Dame, jardins ouverts la nuit. Rien à voir non plus avec ce qui se passait à la fin du XIXe siècle, lorsque Alphonse Daudet et ses amis crurent bon de précipiter dans le bassin les souteneurs qu’attiraient les « brasseries à femmes ».

ENTRETIEN

Un jardin qui coûte cher. À titre d’indication : 250 000 F cette année rien que pour la rénovation des plantations d’alignement, 40 000 F pour l’achat d’arbres et végétaux en bacs, 15 600 F pour une tondeuse. Il a fallu remplacer notamment un motoculteur, une fourgonnette, un pulvérisateur de 100 l, une moto-brouette.

ESPÈCES

Une soixantaine, essentiellement des marronniers blancs et quelques marronniers rouges (1 450), des platanes (300) et des tilleuls (550). On trouve néanmoins quatre sortes d’érables (sycomore, plane, négondo, pourpre), un unique et dernier orme, le hêtre lacinié, le hêtre pourpre, le frêne, le peuplier, le bouleau, l’arbre de Judée, l’aubépine, le sophora, le tulipier de Virginie, l’ailante, le cedrela, le robinier, le catalpa, le paulownia, le zelkowa, le micocoulier, le pavia, le pterocarya, l’aulne, le mûrier, le saule, le sorbier, le chêne, l’albizzia, le koelreuteria, le malus, le gymnocladus, le cornouiller, le magnolia, le prunus pissardii et le cerisier du Japon. 2 696 feuillus au total. Sans compter 47 conifères, dont le gingko biloba, le séquoia, le pin, le chamaecyparis, 18 ifs, le thuya, 3 cèdres de l’Atlas et 2 cèdres du Liban.

ÉTRANGE

Voltaire, attendant qu’on lui restitue sa plume, et d’autres statues en cours de réfection derrière les grilles. C’est un lieu étrange. Il n’a pas de nom mais deux entrées : l’une au 64, boulevard Saint-Michel, presque à l’angle de la rue Auguste-Comte, l’autre dans les jardins, (mal) défendue par un écriteau curieusement non-directif : « Le public n’entre pas ici ». Entrer vaut la peine. On y découvre, abasourdi, des serres de chrysanthèmes devant un vaste hangar-garage à mezzanines (l’ancienne Orangerie), l’ancien bâtiment des Chartreux (escalier Louis XIII), des fenêtres de 4 m de haut, des portes que l’on pousse pour tomber sur des réfectoires, des salles de douche et pas âme qui vive, d’autres serres encore qui ruissellent d’azalées et de bégonias, un vaste jardin potager et, derrière une rustique porte de bois, une ravissante façade blanche de trois étages. Ce sont les fameux appartements de « dignitaires ». Au rez-de-chaussée, une partie de l’administration. Couloirs interminables.

FLEURS

73 000 fleurs entrent chaque année au Sénat et au Petit Luxembourg (résidence du président du Sénat), pour la décoration et les réceptions. Une trentaine d’espèces pour ces fleurs dites « fleurs coupées », plus quelques 160 000 plantes à massif. À chaque saison les siennes : tulipes, myosotis, primevères, giroflées, pensées au printemps, pétunias et beaucoup de dahlias l’été, les chrysanthèmes de l’automne. Sans oublier le géranium, pilier de toute composition florale, le seul à fleurir sans interruption pendant trois mois et demi. Casse-tête pour la composition des massifs : mettre en place début juin une décoration qui tienne jusqu’à l’automne. La nouvelle espèce qui a tant intrigué les promeneurs l’an dernier s’appelle la cléome épineuse. Cette boule de fleurs roses au sommet d’une haute tige et surmontée d’un épi est de retour cette année.

GALA

En cinq tableaux : « Au pays des contes de fées ». Le théâtre des marionnettes, un bâtiment de ciment armé franchement laid, met au service des poupées (marionnettes à gaine) un matériel impressionnant : pont roulant, rampes, herses, projecteur, ampli. Le texte est enregistré. Les postulants à cette concession sont si nombreux qu’au dernier changement de propriétaire, il fallut organiser un concours. C’est la Compagnie Desarthis qui l’emporta. Une entreprise familiale qui fonctionne encore aujourd’hui.

HORAIRES

En fonction du lever et du coucher du soleil. La fermeture peut se prolonger jusqu’à dix heures du soir l’été, et intervenir dès quatre heures et demie l’hiver. Les grilles ne s’ouvrent cependant jamais avant sept heures et demie du matin. Le rituel de fermeture ne se fait plus au son du tambour et du clairon, comme autrefois. L’actuel cérémonial veut qu’un peu avant le coucher du soleil, les gardes républicains se postent aux entrées pour refuser l’accès du jardin. Quand le soleil va basculer, les surveillants donnent des coups de sifflet « prolongés » (sic le règlement), puis ratissent méthodiquement les allées, en commandos avec les gardes et selon un itinéraire bien précis. Une fois les grilles verrouillées, gardes et surveillants se retrouvent autour du bassin. Mission accomplie.

HORTICULTURE

L’École d’horticulture dépend du ministère de l’Agriculture. Deux sections : arboriculture fruitière et art des jardins. Les cours théoriques ont lieu le dernier trimestre de l’année au pavillon d’Avioud. La pratique (taille des arbres) commence en janvier et se termine en juin. 350 élèves en moyenne. Aucune qualification professionnelle n’est demandée. L’inscription est gratuite, mais il faut s’y prendre au moins un an à l’avance.

INTRAITABLE

Le public, dès qu’il s’agit de dépigeonnisation. Sous prétexte qu’ils mangent les fleurs (tout comme les moineaux) et se lissent les plumes sur les massifs, plusieurs tentatives ont été faites avec l’aide des services de la Ville de Paris. Toutes avortées vu la pluie de protestations.

JARDINIERS

Cinquante jardiniers et un certain nombre d’auxiliaires. Plus que dans d’autres jardins publics, parce que le Luxembourg est aussi un jardin de production. Ils sont fonctionnaires du Sénat. On obtient le statut de jardinier par un concours qui porte sur les mathématiques, le français, et des exercices pratiques tels que bouturage, marcottage, semis de plants, manipulation de matériel. Une cinquantaine de candidats pour trois ou quatre postes. Une haute technicité est exigée. Aussi n’est-il pas négligeable d’avoir fait au préalable deux ou trois ans d’école de jardinage. La titularisation n’intervient qu’au bout d’une année de stage. Les jardiniers sont répartis en cinq équipes, responsables chacune d’un secteur. Le jardinier d’une serre donnée suivra par exemple ses azalées jusqu’au bout. On compte environ une vingtaine de « jardiniers qualifiés » après huit ans d’ancienneté. Rien n’interdit ensuite de franchir, comme à l’armée, tous les échelons de la hiérarchie, et après avoir été « premier jardinier », puis « jardinier principal »,  puis « sous-chef jardinier », d’accéder au grade suprême de chef-jardinier, comme Raymond Hartmann (pour les jardins), et Raymond Sené (pour la production et la décoration), tous deux sortis du rang.

JOGGING

Un peu plus de dix minutes pour un tour complet (1 900 m), au plus près des grilles. Les plus remarqués : les jeunes gens japonais, pour la perfection de la foulée et l’esthétisme vestimentaire.

LARCINS

743 chaises et fauteuils volés en six ans. En plein jour ?

LAURIERS ROSES

Objets d’une surveillance de tous les instants. Principal ennemi : la cochenille qui rend tiges et feuilles brillantes et lumineuses. Les quatre plus beaux se trouvent sur la perspective du côté de l’Observatoire.

LIMONAIRE

Celui du manège ne fonctionne plus depuis 1917, année où le Sénat interdit toute musique. Les chevaux de bois ont été fabriqués en Allemagne sur les plans de l’architecte Garnier, celui-là même qui a construit l’Opéra de Paris.

LUXEMBOURG

Du nom du propriétaire initial, François de Luxembourg, duc de Piney, qui vendit son hôtel particulier entouré de huit hectares à Marie de Médicis le 2 avril 1612, pour 90 000 livres.

MÉDICIS

Le Luxembourg (palais et jardins) a été construit par Marie de Médicis alors qu’elle n’était déjà plus que reine douairière, après la mort d’Henri IV. À cette époque, la propriété se trouvait en dehors des remparts de Paris. C’est en 1789 que palais et jardins furent affectés au Sénat.

MON COIN PRÉFÉRÉ

Dans une allée du jardin anglais, près de la Harde de Cerfs de Le Duc, le matin pour travailler, adossée à midi à une caisse de palmiers sous l’œil autoritaire de Marie de Médicis, reine de France, toujours pour travailler, et en fin d’après-midi autour du bassin, pour retrouver Danièle, Michel, Gilles et Émil. Toujours face au soleil.

MUSIQUE

Pour se produire sur le kiosque à musique les samedis ou dimanches d’été, il suffit d’en faire la demande (bien à l’avance) au Sénat. Affluence garantie pour l’orchestre de la Garde Républicaine, les Harmonies municipales, les ensembles d’amateurs ou même, comme l’an dernier, de saugrenues majorettes américaines.

NETTOIEMENT

Maudit soit le Mac Donald’s du boulevard Saint-Michel. Gobelets en carton et pailles jonchent les allées depuis son ouverture. Il faut deux heures de nettoyage tous les matins pour remettre les jardins en état. La cinquantaine de vastes corbeilles à papier disposées un peu partout laisse sans doute de glace certains usagers. Il y a trente corbeilles en plus cette année. Le nettoiement de chaque secteur du jardin est effectué par les jardiniers qui lui sont affectés.

ORANGERIE

L’une des plus belles de France avec celle de Versailles : 60 m de long, 12 m de large et 8 m de haut. Température de cette immense serre : de 8 à 10°. Près de 150 arbres de pays chauds y hivernent : 23 palmiers Phoenix et 8 Chamaerops, 3 lauriers Nobilis (laurier-sauce) et 44 lauriers roses, 30 orangers, 24 grenadiers et un eriobotria (gros arbuste). Il faut six jardiniers et huit à dix jours pour les sortir début mai, à l’aide d’un fardier, sorte de remorque qui permet de soulever des caisses de 4 t (les plus lourdes) grâce à des vérins hydrauliques, le tout tiré par un tracteur. Arrosage très copieux. Une fois par semaine l’eau doit déborder : c’est le lessivage. Sous le terreau, un robuste tapis fait de deux couches de carreaux de plâtre et d’un lit de tessons de poterie. Les fumiers utilisés (de mouton) sont si forts qu’ils risqueraient de brûler les racines. Il faut donc prendre bien soin de les déposer en surface. Ces arbres sont réempotés en mai, dix chaque année. Les disposer dans l’Orangerie n’est pas non plus une opération simple. Il faut savoir répartir la lumière. Tout un art.

ORCHIDÉES

Une fastueuse collection dont le seul Sabot de Vénus n’offre pas moins de 400 espèces. Les premiers pieds, il y a plus de cent ans, sont pratiquement tombés du ciel, le ciel d’un chef-jardinier de l’école de Médecine qui cherchait à s’en débarrasser. Un premier Grand Prix cette année à l’exposition d’orchidées de Vincennes. C’est là qu’il faut aller voir les orchidées du Luxembourg, malheureusement cloîtrées dans des serres fermées au public.

ORMES

Ils sont tous morts, les ormes du Luxembourg, sauf un. Ce dernier survivant, devant l’ancien clos des Chartreux, affiche des airs de jeune homme, et pourtant il n’est pas loin d’être tricentenaire. Il vit grâce à des soins coûteux, mais il faut aller le voir très vite, car il est lui aussi condamné par la graphiose des ormes. Le champignon est venu de Belgique dès le début du siècle, mais la maladie a couvé longtemps. Les premières souches n’ont fait leur apparition qu’en 1970, dévastant d’un coup un alignement entier au cimetière de Pantin. Au Luxembourg, ce fut peu après une véritable hécatombe : 150 ormes fauchés en quatre ans. Les dernières victimes — huit arbres — ont dû être abattues cette année. L’orme est la toute première espèce choisie par Marie de Médicis lorsqu’elle organisa son jardin. Il sera désormais remplacé par le paulownia, plus robuste.

PALMIERS

Nulle trace de leur arrivée dans les annales. Sur quoi se fonder alors pour déterminer l’âge d’un arbre à la pousse aussi lente ? Le conservateur raconte qu’à son arrivée, il a exprimé son étonnement de voir la cime de certains palmiers toucher la verrière. Sur quoi un vieux jardinier s’est esclaffé : « Mais c’était déjà pareil il y a trente ans ! ». Le palmier a des racines impétueuses. Attention à la préparation des caisses. Si le chêne des panneaux porte le moindre nœud ou si le revêtement intérieur de peinture n’est pas suffisamment protecteur, les racines ne mettront pas plus de quatre ou cinq ans pour faire littéralement exploser la caisse, malgré ses montants de fer ou de fonte.On trouve surtout des Phoenix canariensis et des Trachycarpus fortunéi. Palmiers des Canaries et de l’Himalaya.

PELOUSES

Le point le plus litigieux et l’interdiction la plus stricte du Luxembourg. À l’exception des trois pelouses ouvertes en alternance près des grilles Auguste Comte pour les enfants de moins de sept ans, il est interdit de marcher dessus. Côté administration, l’explication est la même du haut en bas de l’échelle : surface trop petite, sous-sol fragile.

POISON

Les voitures. En période de session du Sénat (du 2 avril au 30 juin et du 2 octobre au 20 décembre), celles des sénateurs vont malencontreusement se garer dans l’allée des platanes, devant l’Orangerie. Aux récriminations du public, il est répondu que le parking du Sénat n’est pas assez grand.

POLLUTION

Surtout due à la sécheresse du sol, privé des ruissellements de l’eau de pluie dont bénéficient les sols stabilisés ou revêtus d’asphalte. Certains marronniers roussissent dès la fin du mois de juin. Lorsque leur croissance a été normale, les arbres adultes résistent mieux. On soigne donc plus particulièrement les jeunes plantations en ameublissant le sol et en maintenant une humidité suffisante. Quant à la pollution atmosphérique, les arbres se dépouillent par bonheur eux-mêmes de leur couche de graisse et de saleté en perdant leurs feuilles. C’est pourquoi les espèces feuillues résistent mieux que les conifères.

RANGÉS

Comme les boulistes, qui ont leur dressing-room particulier.

RARES

Des espèces comme le zelkova, le mûrier (peu fréquent à Paris), quatre à cinq hêtres à feuilles laciniées, le liquidambar, le tulipier.

REDEVANCES

C’est la questure du Sénat qui fixe le taux des redevances annuelles à payer par les commerçants. Le montant de la location est ensuite reversé à l’administration des domaines. Les concessions sont attribuées à titre définitif ou temporaire sous forme d’un bail de trois, six ou neuf ans. Les commerçants sont tenus de respecter un cahier des charges. Les petits kiosques sont en général alloués à des personnes âgées, veuves d’agents ou de fonctionnaires. Un peu de piston ne nuit pas.

SERRES

2 000 m2 où grandissent chaque année 15 000 fleurs coupées. Brumisation automatique et culture hors sol font partie des techniques utilisées. Un laboratoire abrite des semis d’orchidées et des cultures de méristèmes. C’est là aussi que se concoctent les solutions nutritives. Des plants des serres du Luxembourg ont sauvé le papyrus égyptien, dont l’espèce d’origine était atteinte d’une maladie mortelle.

TYPOLOGIE

Les tricoteuses en chapeau dans l’allée de droite qui mène au bassin, les jeunes touristes allemands autour du bassin, la dame aux pigeons collée à la grille du boulevard Saint-Michel, les anxieux sous l’horloge, les Portugais près du tas de gravier de la rampe de gauche de l’escalier central, les laconiques à la fontaine Médicis, où le soleil ne pénètre pas, et les mamans françaises sur les pelouses de l’Observatoire. À quoi tient cette géographie humaine ?

UNIFORMES

Ils sont en bleu et portent le képi réglementaire. Pourtant, ce ne sont « que » des surveillants fonctionnaires du Sénat, assermentés mais pas armés. L’uniforme faisant probablement le moine, cela ne les empêche pas de vous interpeller avec rudesse sitôt que votre pied léger cherche à tâter la pelouse. Quelquefois, ils sont extrêmement gentils. La nuit, des gardes mobiles prennent le relais.

Françoise Biro


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