Les abeilles

4 mars 2011,

par Jean-Louis Hue

reprint Le Sauvage 1977


Ce n’est pas la société communautaire et socialiste que l’on croyait mais une société de profit et de rendement

Leur langage reste indéchiffrable

L’herbe était jaune, les rhododendrons, bleus, et les pâquerettes, vertes. Assis au milieu d’un champ, le professeur américain Thomas Eisner, de l’université de Cornell, regardait les couleurs de l’univers avec les yeux d’une abeille. Grâce à une caméra TV qui enregistrait, à la manière de l’insecte, les rayons ultraviolets. Chaque fleur lançait des reflets éclatants et la nature se transformait en un étonnant light-show. Thomas Eisner s’extasia : il découvrait soudain deux fois plus d’espèces florales qu’il n’en avait repérées auparavant.

L’abeille n’est plus l’insecte favori des professeurs de morale. Ses vertus sentent désormais le frelaté : on l’imaginait chaste, généreuse et travailleuse. Un boy-scout ailé. Mais aujourd’hui, les scientifiques découvrent que le comportement de l’insecte n’est comparable à aucun mécanisme humain. L’anthropomorphisme a vécu. L’abeille a perdu sa complaisance.

« Les abeilles sont animées d’un profond sentiment patriotique qui se traduit par une haine farouche envers les bourdons, les guêpes et même les abeilles des ruches voisines », écrivait D. Pissarev, critique littéraire soviétique. Les politiciens n’ont cessé de racoler les « mouches à miel » pour les ranger dans leur camp. Jusqu’au XVIIe, la reine de la ruche fut considérée comme un roi : l’organisation sociale de la ruche coïncidait ainsi parfaitement avec un système fondé sur la paternité et le droit d’aînesse. Plus tard, en 1876, Ludwig Buchner décernait des louanges aux colonies d’abeilles qu’il qualifiait d’ « États communautaires et socialistes ». Une monstruosité biologique. Univers entièrement automatisé, programmé depuis des millénaires, la ruche constitue en fait une société de profit et de rendement. Les ouvrières, qui forment la majorité de la population, cherchent à emmagasiner le maximum de provisions. Leur vie se déroule selon un schéma immuable : elles sont d’abord balayeuses et nourrices, puis elles fabriquent de la cire, enfin elles passent leurs journées à butiner. Dans la ruche, cette usine à miel, la reine joue le rôle d’un contremaître tout-puissant. Les ouvrières ne lui tournent jamais le dos, et cherchent constamment à l’entourer. Des mots d’ordre circulent pour organiser le travail. « Pour communiquer entre elles, les abeilles frottent l’une contre l’autre leurs antennes. Mais leur langage reste indéchiffrable, affirme M. Douault, de la station de recherche sur l’abeille de l’INRA. La ruche nous pose encore de nombreuses énigmes. Par exemple, nous ne parvenons pas à analyser les hormones secrétées par la reine pour bloquer le fonctionnement ovarien de ses ouvrières. »

Pas de sexe pour les ouvrières

Dans la ruche, la sexualité est quasi inexistante. Les quarante mille ouvrières ne copulent jamais, seule la reine a le privilège de la fornication. Elle n’en profite qu’une seule fois dans sa vie, lors d’un vol nuptial fort agité. La reine est alors fécondée en plein ciel et garde le pénis de son assaillant dans le vagin : cela lui sert de bouchon. Ensuite, elle se cloître dans sa ruche, après avoir stocké les spermatozoïdes dans une poche séminale où elle puisera tout au long de sa vie. En 1869, l’abbé Johan Dzierzon fut révoqué par ses supérieurs pour avoir étudié cet étrange réservoir et s’être intéressé à la vie sexuelle des abeilles. En ce temps-là, les Tartuffes se voilaient la face devant le moindre dard. Pourtant l’abbé honni avait réalisé une découverte capitale : la reine, qui pond en moyenne un œuf toutes les minutes, pratique une « parthénogénèse facultative ». Elle ferme ou ouvre à son gré sa poche séminale et se trouve ainsi libre de féconder ou non ses œufs. Dans le premier cas, elle donne naissance à une ouvrière, dans le second à un faux-bourdon. Maeterlinck, ce poète pédant et grandiloquent, s’épancha longuement sur les plaisirs solitaires de la reine. « Il est probable que cette mère esclave, qui est peut-être une grande amoureuse, une grande voluptueuse, éprouve dans l’union du principe mâle et femelle qui s’opère dans son être une certaine jouissance et comme un arrière-goût de l’ivresse du vol nuptial unique dans sa vie », écrivait-il dans la Vie des abeilles.

Des délires anthropomorphes qui versent dans l’absurdité. L’abeille ne suit aucun de nos stéréotypes sexuels. Elle forme une communauté exclusivement féminine où le mâle, considéré comme un parasite, est souvent pourchassé et tué. Dans une étude que publiera bientôt l’Académie des sciences, M. Douault s’efforce de tempérer cet impitoyable matriarcat et réhabilite triomphalement les faux-bourdons. « Dans la ruche, les mâles ont été jusqu’ici assez peu étudiés, disons négligés. Or ils constituent une caste très importante. Ils sont nécessaires à la reproduction, affirme-t-il. Et puis, ils déambulent, ils font un peu de shopping dans chaque cellule… ».

Lorsqu’il découvrit, en 1927, la signification de la danse en rond des abeilles, le professeur Kark von Frish fut pris pour un fou. Aujourd’hui, il est prix Nobel de médecine — cuvée 1973, celle dont bénéficièrent également Tinbergen et Konrad Lorenz — et chacun s’extasie devant ses travaux. Von Frish a décrit un mécanisme stupéfiant. En exécutant, lors de son retour à la ruche, une petite danse, l’abeille indique à ses congénères la direction et la distance exacte des fleurs à butiner. Pour comprendre le fonctionnement de ce sémaphore magique, le chercheur américain Harald Hesch a construit une abeille artificielle, capable de mimer la danse d’une ouvrière. Lorsqu’il introduisit son robot dans une ruche, les abeilles restèrent perplexes et ne bougèrent pas. Une partie du message manquait. Après avoir observé plus de quinze mille danseuses mellifère, Harald Hesch équipa son robot d’un haut-parleur et lui fit émettre de bonnes vibrations — l’abeille réagit à des déplacements de 13 millionièmes de millimètre. La partie était gagnée : les abeilles frottèrent leurs antennes pour signifier qu’elles recevaient le message, ce superbe maelström de danse et de chant.

Malgré ce succès, les chercheurs piétinent devant la complexité des sens de l’abeille. Son œil est en fait une juxtaposition de cinq mille yeux partiels, séparés par des membranes imperméables à la lumière. L’abeille ne voit par conséquent le soleil que d’un œil à la fois et possède ainsi un système idéal pour mesurer son angle de route. Son cerveau, pas plus gros qu’une lentille, est un remarquable ordinateur de vol : il calcule la vitesse par rapport au sol et détermine également l’angle de route à adopter pour le retour à la ruche.

Autre prouesse mathématique : l’abeille construit ses alvéoles avec une régularité étonnante. Lors de l’établissement du système décimal, le physicien Réaumur proposa même l’alvéole comme étalon. Persuadé que les abeilles étaient les meilleurs géomètres, il fit plancher tous les mathématiciens de son époque sur cette redoutable colle : « Entre toutes les cellules hexagonales à fond pyramidal composé de trois losanges semblables et égaux, déterminer celle qui peut être construite avec le minimum de matière ? » Les savants se mirent farouchement au travail, toutes leurs réponses furent différentes, et une sanglante controverse s’éleva. Mais, au bout du compte, l’abeille n’était pas perdante : les dimensions de son alvéole se situaient dans la fourchette des résultats proposés. Cette perfection géométrique est constante. Pour dérouter l’abeille, l’ineffable Maeterlinck glissait des pièces de cent sous dans les rayons. De son côté, Roger Darchène, un chercheur français, a placé en vrac des morceaux de bois et de fer dans une ruche. Toujours, les abeilles ont rétabli la situation et construit des alvéoles aussi parfaites. Devant une telle performance, certains exaltés ont crié à l’intelligence. Ils se sont fourvoyés : la ruche ne laisse aucune place à l’innovation, ce symptôme caractéristique de la raison. « Je ne pourrai citer d’exemple d’un acte vraiment raisonnable, reconnaît Karl von Frish dans son remarquable ouvrage Vie et Mœurs des abeilles. Les dressages eux-mêmes échouent dès que l’on exige des abeilles des comportements différents de ceux qu’elles adoptent depuis des centaines de milliers d’années. »

Automate ailé, l’abeille vole pour nous. Au cours de ses furieux piqués dans les corolles des fleurs, elle provoque la pollinisation des plantes et, par conséquent, concourt à faire naître des fruits. Sa tâche est essentielle. Pour le prouver, Kark von Frisch a choisi deux branches de poiriers portant le même nombre de fleurs. L’une d’elles fut enveloppée de gaze pour empêcher les abeilles de l’atteindre. Aucune poire ne s’y développa alors que l’autre branche portait trente-trois poires. Parmi les insectes pollinisateurs, de 75 % à 85 % sont des abeilles.

Dans son livre Apiculture pour tous, Eugène Libis affirme qu’un même pommier a donné 1 200 pommes lorsqu’une ruche était placée à son voisinage, 600 pommes lorsque la ruche se trouvait à 300 m et 20 pommes seulement lorsqu’elle était à 900 m. Les arboriculteurs californiens ont compris : ils paient quatre à cinq dollars par ruche pour que les apiculteurs fassent voltiger des abeilles dans leurs vergers. En France, un système identique fonctionne dans les vallées du Rhône et de la Loire.

L’abeille survivra à l’homme

Les abeilles ne mènent pas toujours une existence dorée. Les pesticides les terrassent. Ainsi, en 1973, dans le Cher, 4 500 colonies ont été exterminées — une colonie compte environ 40 000 abeilles. Les pertes sont massives près des cultures de colza, particulièrement arrosées d’insecticides. Depuis l’année dernière pourtant la situation s’améliore. Des arrêtés préfectoraux ont interdit l’épandage de produits toxiques pour les abeilles dès l’apparition  des premières fleurs. L’Union nationale des apiculteurs français estime que ces arrêtés ont été, en général, bien suivis. Mais l’inquiétude demeure. « Il faut lancer un cri d’alarme aux agriculteurs pour qu’ils adoptent des méthodes de traitement plus douces, affirme M. Douault, de l’INRA. Faire disparaître l’abeille, c’est à long terme ne plus avoir ni fleurs, ni fruits. »

Malgré tout, l’abeille a de grandes chances de survivre à l’homme. Comme tous les insectes, elle résiste à de très fortes doses de radiations nucléaires. L’homme meurt avec une dose de 500 rems, l’abeille demeure en vie jusqu’à 80 000 rems. Simplement, vers le cap des 50 000 rems, elle devient immobile, la ruche s’apaise. Pour accroître la résistance de l’abeille, les généticiens s’efforcent de créer de nouvelles souches, mieux adaptées aux conditions climatiques de chaque région. Le travail progresse lentement : dix ans sont nécessaires pour créer une nouvelle abeille. Et, parfois, les surprises sont désagréables. Ainsi, en 1956, un chercheur introduisit au Brésil quelques « abeilles tueuses » d’Afrique pour les croiser avec de gentilles abeilles sud-américaines. Une maladresse de manipulation, et vingt-six des insectes importés s’échappèrent. Ils ont essaimé et, depuis dix ans, sévissent à travers le continent sud-américain. L’ « abeille tueuse » n’a qu’une seule qualité : elle produit 25 % de plus de miel que ses congénères. Mais ses défauts sont innombrables : elle attaque en escadron groupé les animaux et les hommes, tyrannise les abeilles locales, bouleverse leurs activités de pollinisation. Devant l’ampleur du fléau, le gouvernement américain finance des recherches afin de parer à une éventuelle invasion. King-Kong a perdu son cri rauque : il bourdonne.

Jean-Louis Hue

Le Sauvage trimestriel, n° 20, avril 1975

Mots-clés : abeille, abeille tueuse, miel, gelée royale, ruche

LE POT À MIEL

La ruche est un buffet garni sur l’herbe. Il suffit de l’ouvrir pour découvrir des substances enivrantes.

Le miel. « Avec du miel, on avalerait même un burin et on mangerait une vieille savate », dit un proverbe russe. Les Français sont peu goulus : ils ne consomment que 400 g de miel par personne et par an. Pourtant le miel est un aliment remarquable, préparé par l’abeille à partir du nectar des fleurs. Pour récolter un gramme de nectar par jour, l’abeille doit pomper 1 400 fleurs de pommiers, 2 000 fleurs de cerisiers et 20 000 fleurs de poiriers. Le miel contient de 16 à 20 % d’eau, de 75 à 80 % de sucres directement assimilables par l’organisme, des acides organiques, des sels minéraux et des protéines. Un cocktail revigorant auquel les apiculteurs prêtent toutes les vertus. Le miel permet de vivre plus longtemps — l’apiculteur soviétique Chira Li Baba Mislimov a atteint les cent soixante ans. Il adoucit les mœurs en diminuant l’irritabilité du système nerveux et en calmant les insomniaques. Grâce à lui, les sportifs courent plus vite et plus longtemps. Sir Edmund Hillary réussit l’ascension de l’Everest en adoptant un rythme très particulier : un coup de cuillère à pot, un coup de piolet. Autre propriété : le miel, excellent bactéricide, favorise la cicatrisation des plaies, guérit par inhalation les rhumes de cerveau, et permet de conserver la viande. Les malades soviétiques en raffolent. Ils nourrissent leurs abeilles de sirops sucrés contenant d’infects médicaments tels la streptomycine ou la tyroïdine. Ils obtiennent ainsi des miels médicamenteux.

La gelée royale. Astérix s’en pourlèche les babines, ce serait la potion magique, « source de jouvence et de vitalité » comme le prétendent des publicités tapageuses. Une certitude : la gelée est un aliment exceptionnellement riche : elle contient 50 % de protides, 16 % de lipides et 25 % de glucides. La reine, quand elle est encore à l’état de larve, déguste cette bouillie blanchâtre et amère, sécrétée par les ouvrières : elle vivra quatre ans alors que les ouvrières disparaissent en six mois. À partir de cette constatation, les plus délirantes extrapolations ont été réalisées et les chercheurs soviétiques, notamment, ont publié des rapports enthousiastes. La gelée royale stimulerait l’activité sexuelle, accroîtrait d’un tiers la longévité des souris, et ferait disparaître les verrues. En U.R.S.S., des cliniques entières fonctionnent à la gelée royale : les vieillards y seraient plus vigoureux et les enfants plus dynamiques. Malgré tout, l’action de la gelée royale sur l’organisme reste à démontrer.

Le pollen. C’est la récolte brute de l’abeille. Faites-en une ou deux cures annuelles à la façon des apiculteurs d’autrefois. Ces joyeux gaillards dévoraient les rayons de miel comme des tartines et avalaient le pollen qui s’y trouvait collé.

La cire. Ne mâchez plus des malabars ni des globaux. Le docteur américain J.K. Jarwiss conseille à ses malades de mastiquer de la cire d’abeille : elle déclenche une forte sécrétion de salive, enlève le tartre et fortifie les gencives. Ultime raffinement : une fois mâchée, la cire peut être recyclée en bougie.

GUIDE DE L’APICULTEUR

Un excellent numéro de voltige aérien. Une musique répétitive et planante. Des petits plats onctueux et sucrés. La ruche offre ces quelques extases en occasionnant un minimum de soucis. Vous auriez tort de vous en priver. Voici un petit guide de l’ « apiculture en jeans » pour vous informer sur les aspects pratiques de l’installation d’une ruche.

Pour une fois, les citadins ne se sentiront pas lésés : l’abeille s’adapte avec une relative aisance à la vie urbaine. À Paris, les abeilles du jardin du Luxembourg fabriquent chaque année près de deux cents kilos de miel. Elles vont quelquefois butiner sur les quais, à Denfert-Rochereau ou sur les grands boulevards. Tout leur est bon : elles raffolent même de la mousse qui s’incruste sur le toit des immeubles. D’autres dévalisent les devantures de pâtisseries : on retrouve parfois la trace de colorants chimiques dans leur miel. Le citadin peut donc s’installer une ruche sur son balcon ou dans son jardin. Ses abeilles se débrouilleront pour trouver à manger. Mais attention : une clôture de deux mètres de haut doit vous séparer de vos voisins. Si vous installez votre ruche à la campagne, aucune région n’est à déconseiller. Les châtaigniers des Cévennes, les bruyères des Landes, la lavande et le romarin des basses Alpes donnent néanmoins les meilleurs miels.

Sur le terrain, la ruche doit être entourée d’une abondante flore mellifère, abritée du vent et située près d’un point d’eau. Les abeilles de chaque région ayant des exigences particulières, une visite à l’apiculteur local s’impose.

L’OSEILLE ET LE MIEL

Pas question de gagner sa vie avec quelques ruches. Une exploitation uniquement agricole ne devient rentable qu’à partir de huit cents ruches. Pas question, non plus, d’économiser sur le matériel nécessaire. Il faudrait être un bricoleur génial pour construire sa ruche soi-même. Avec une ruche du type Dadant, du genre « simple mais confortable », tout ira bien mieux. Elle s’adapte dans toutes les régions et peut s’agrandir au fur et à mesure que la colonie d’abeilles se développe. Son prix d’achat : environ 300 F. Comme toujours, les fabricants vendent moins cher. Deux adresses : maison Thomas, à Fey-aux-Loges, B.P. 2, dans le Loiret (45450) ; maison Le Rouge, 91, rue Mangin à Saint-Just-en-Chaussée, dans l’Oise (60130). À Paris, deux adresses de revendeurs : Manufacture, 42, rue du Louvre, et Alphandéry, 20, rue de Montevideo.

Pour repeupler votre ruche, un apiculteur local vous fournira un essaim (130 F environ). Pour la meubler, vous achèterez une barre de cire (40 F environ). Tout un bric-à-brac d’ustensiles moyenâgeux permet de faciliter la vie à l’apiculteur. Un voile (25 F) pour se protéger le visage ; un couteau à désoperculer (16 F) pour procéder à la récolte du miel ; et enfin un enfumoir (50 F). La fumée est le seul moyen de diriger vos abeilles comme un troupeau. Mais, surtout, il ne faut pas faire feu de tout bois et brûler des fibres synthétiques, de la soie, ou des sacs ayant contenu des pesticides. La fumée qui plaît aux abeilles, c’est celle dégagée par les copeaux et les sacs en toile de jute.

POUR AVOIR DU MIEL

« Une ruche que l’on ennuie le moins est une ruche qui produit le mieux », disent les vieux apiculteurs. Votre ruche ne demande qu’un seul jour de travail dans l’année, ce jour béni où vous récolterez le miel (10 kg par ruche en moyenne). Autrement, seules quelques rares visites de contrôle sont nécessaires pour vérifier l’état extérieur de la ruche et la santé des abeilles. Un sirop médicamenteux, distribué en septembre, permet de maintenir en bonne forme vos mouches à miel. Aucune crainte d’intoxication : des expériences de laboratoire, menées par M. Douault de l’INRA, montrent que ce médicament ne laisse aucune trace dans la première miellée.

TOUS DES PIQUES

Les apiculteurs se font piquer pendant toute leur vie. Ils ne s’en portent pas moins bien pour autant. Le venin d’abeilles a d’exceptionnelles propriétés thérapeutiques. Il soulage les rhumatismaux et les bronchitiques, il est en plus un excellent révulsif et un tonique général. Les médecins soviétiques, adeptes de l’apipuncture, soignent même leurs malades par piqûre naturelle d’abeilles ou par injection sous-cutanée de venin. Une piqûre d’abeille est donc plutôt bénéfique. Les douillets feront passer la douleur en pratiquant sur la région touchée un massage au savon.

POUR EN CONNAÎTRE UN RAYON

À Paris, la Société centrale d’apiculture (28, rue Serpente, 75006 Paris, tél. : 633 10 73) donne à la fois des cours théoriques et pratiques. Les élèves paient 100 F pour un cycle d’enseignement complet de vingt-trois semaines (à raison de quatre heures hebdomadaires). En province, le lycée agricole de Laval organise quatre sessions d’apiculture par an.
Pour ceux qui préfèrent faire l’école buissonnière, voici une petite sélection réalisée parmi les 20 000 ouvrages consacrés à l’abeille. D’abord deux guides pratiques : la Conduite du rucher, par Edouard Bertrand, à la Maison rustique et, aussi précis mais plus bavard, l’Apiculture pour tous, d’Eugène Libis chez Flammarion. Les souffreteux se régaleront à la lecture du livre de N. Loïriche, les Abeilles, pharmaciennes ailées, aux éditions de Moscou. La grande initiation aux mystères de la ruche passe bien sûr par la lecture de l’ouvrage de Karl von Frish, Vie et Mœurs des abeilles, collection « J’ai lu – Documents ». Deux autres ouvrages décrivent avec une étonnante précision les mécanismes sensitifs de l’abeille et, plus généralement, de tous les animaux : le Merveilleux dans le règne animal, de Vitus B. Drosher (« J’ai lu – Documents »), et les Sens oubliés, de Donald E. Carr, grande fresque biologique où l’homme fait figure de mutilé. Enfin, pour rire entre amis ou chasser le cafard : la Vie des abeilles, par Maurice Maeterkinck (Livre de Poche), une saga de l’anthropomorphisme débridé.

NE LEUR DONNEZ PAS LE BOURDON

Les abeilles aiment la propreté et ne supportent pas l’odeur de la sueur. Les individus sales ou ceux qui dégagent de trop fortes vapeurs éthyliques ne feront pas long feu dans l’apiculture. Inutile de masquer votre mauvaise odeur par du numéro 5 de chez Chanel : le moindre parfum artificiel révulse l’abeille. Elle a par ailleurs des goûts vestimentaires très précis. Les blouses sombres et rugueuses sont regardées d’un sale œil. Une combinaison de coton blanc reste la tenue la mieux acceptée.

Près de la ruche, il faut éviter les mouvements brusques et les réflexes de mauvaise humeur. Selon la formule traditionnelle, l’intervention de l’apiculteur doit être comme un geste de bénédiction sur ses abeilles.