Chiche le pois

20 novembre 2011,

Reprint Le Sauvage, février 1979

par Misette Godard

Le pois chiche est originaire des bords de la Méditerranée et y est resté. « On n’en fait pas de cas à Paris où il vient cependant aussi bien et aussi bon que dans les pays chauds », disait le dictionnaire Burnet au XIXe siècle. Il avait au moins le mérite – rare dans la littérature culinaire – de le citer au premier rang des pois de fantaisie.

Si on peut limiter dans le temps l’usage du petit pois qui appartient à la même famille (apparition au XVIIe siècle à la cour de France), cela est impossible pour le pois chiche dont l’utilisation remonte à des millénaires. En revanche, si on essaie de délimiter géographiquement l’utilisation de l’un et de l’autre, c’est le petit pois qui se perd sur la mappemonde et le pois chiche qui reste serré sur le pourtour de la Méditerranée.

Le pois chiche a en outre le désavantage d’appartenir à la cuisine des peuples dits sous-développés. Il fournit à lui tout seul six recettes dans le livre La cuisine des pauvres d’Huguette Couffignal (Robert Moul éd.).

« Ils sont moins nourrissants que le pois ordinaire, plus difficiles à digérer, et peu appropriés à la nourriture des personnes qui n’ont pas une constitution robuste », dit du pois chiche Couverchel dans son traité des fruits. Et il est vrai qu’il est d’une digestion difficile et provoque des flatulences.

Donc, pour ceux qui aiment les pays de la Méditerranée et leurs cuisines, pour ceux qui sont sans préjugés contre la pauvreté et pour ceux qui ont une santé robuste, nous allons parler du pois chiche.

De la famille des légumineuses, le Cicer arietum ou pois chiche, cèse ou pese pounchu pour les Provençaux, est une plante haute de 30 à 40 cm, tige et feuilles poilues, gousses courtes ressemblant à des vessies contenant un ou deux grains. J’ai l’impression qu’une seule espèce de pois chiches est actuellement cultivée dans nos jardins, alors que les livres anciens parlent de variétés blanches, rouges ou noires, de pois chiche colombin…

Les Anciens croyaient que c’était Neptune qui leur avait appris à se nourrir de pois chiches. Ils préféraient les pois verts aux pois secs et les dégustaient de préférence bouillis à l’eau ou grillés.

Les Grecs de la période préhellénique importaient des pois chiches d’Égypte, des jarres contenant ces graines ont été retrouvées, coulées sur les bords de la mer Égée[1]. Plus tard, au temps de la Grèce historique, Xénophane de Colophon décrira le plaisir qu’il y a à s’amuser « d’un plat de pois chiches qu’on touche à peine ».

À Rome, le pois chiche se vendait rôti, dans les théâtres, pour tromper la faim des spectateurs pauvres. Apicius les accommode comme les haricots, avec du sel, du cumin, de l’huile et un peu de vin pur. Ou bien il les cuit dans l’eau et sert grains et cosses avec du fenouil vert, du poivre, du garum, du vin cuit. En Italie toujours, mais au XVIe siècle, Platine propose de les manger en potage ou en tarte.

Le potage aux pois chiches (bouillie ou purée seraient des mots mieux appropriés) se retrouve tout autour de la Méditerranée. C’est d’abord, avec ses variantes, la « soupe au bâton » des Provençaux. La purée de pois chiches, telle que la préparent les Arabes lui ressemble fort, mais en plus épicée. Dans les cuisines plus riches, les pois chiches accompagnent la viande, entourés d’autres légumes frais : c’est le pois chiche à la Catalane, le garbanzoz et l’olla potrida des Espagnols, le couscous des Arabes. Cuit et passé au four avec de l’huile, le pois chiche se sert comme les amandes salées en Israël. La salade de pois chiche semble d’origine martégale (c’est-à-dire de la ville de Martigues dans les Bouches-du-Rhône). Mais pour elle aussi, on trouve tellement de variantes dans les livres et les habitudes familiales qu’elle appartient à la tradition populaire provençale tout entière. Quant au pois chiche, cuit à l’eau sans autre accompagnement, on le mange le vendredi Saint dans les familles marseillaises, en signe de pénitence. Le pois chiche sec se met dans les chaussures pour monter en pèlerinage à Notre-Dame-de-la-Garde. Et puisque nous parlons douleur et pénitence, on peut aussi signaler que le pois chiche agit comme émollient et résolutif en cataplasme. En période de crise, torréfié, il peut remplacer le café.

La farine de pois chiche, souvent employée pour les potages, sert aussi à la fabrication des panisses, pâte que l’on sèche légèrement et frit à l’huile d’olive après l’avoir découpée en très fines rondelles. D’origine varoise, les panisses sont vendues au coin des rues de Marseille. On trouve d’ailleurs la même préparation sous le nom de panizza au Portugal et de calentica, en Afrique du Nord.

On pourrait ajouter aussi que le pois chiche se mêle à tout : aux déchets de pâtes en Italie, au riz en Roumanie, à tous les légumes, à toutes les épices (ou presque), à beaucoup de condiments, au pain, etc.

Nous avons retenu la recette de la soupe au bâton. Nous avons pris l’habitude de repas riches et variés, mais ces soupes épaisses étaient le plat unique et maigre des paysans d’autrefois. Elles nourrissent suffisamment pour qu’avec une salade et un fruit – qui rafraîchiront la bouche – elles composent un repas. Le nom de « soupe au bâton » vient de ce qu’on la tournait avec un bâtonnet de laurier. À l’origine, la soupe était faite avec la farine de pois chiche délayée dans de l’eau bouillante salée et dans laquelle on avait mis une gousse d’ail, une feuille de laurier et un peu de très bonne huile d’olive. Quand le bâton tenait droit dans la soupe, elle était à point. Nous avons dû, pour la recette qui suit, avoir recours aux pois entier, car il est assez difficile de se procurer de la farine.[2] Le résultat est excellent aussi.

La salade peut faire une très bonne entrée d’hiver. L’idée de présenter les accompagnements dans des raviers est du Dr Raoulx de Toulon.

Il faut acheter, si possible, ses pois chiches en vrac. L’emballage de carton empêche de voir si le pois est brillant (donc de l’année) et s’il n’est pas transformé en termitière par les vers. On fait tremper les pois chiches la veille pour faciliter la cuisson.

M. G.

Mots-clés : Méditerranée, pauvreté, pois chiche.

Soupe au bâton

Denrées nécessaires pour 6 personnes :

–      500 g de pois chiches ayant trempé suffisamment pour être ramollis (entre 6 et 12 h),

–      1 oignon piqué de deux clous de girofle,

–      1 bouquet composé d’une carotte coupée en long, d’un poireau, d’une branche de céleri, d’un cœur de laitue, d’un brin de cerfeuil (mais ce bouquet peut être remplacé par une poignée d’épinards blanchis et hachés ou par d’autres herbes de jardin que l’on ajoute à la fin de la cuisson),

–      1 gousse d’ail

–      1 feuille de laurier

–      un filet de très bonne huile d’olive,

–      sel.

Laver les légumes du bouquet et les lier. Préparer l’oignon piqué.

Déposer les pois chiches égouttés dans une casserole avec le bouquet et l’oignon, l’ail, le laurier, le sel. Couvrir d’eau (environ 3 l). Certains ajoutent l’huile à ce moment, ce n’est pas mon cas.

Déposer la casserole sur le feu pour faire prendre l’ébullition, régler ensuite la flamme pour garder une cuisson douce jusqu’à ce que les pois chiches « fondent », ce qui doit se produire en moins de deux heures si les pois sont de l’année et venus dans une bonne terre… mais il vaut mieux prendre ses précautions.

Passer la soupe à la grille la plus fine du moulin à légumes. Le bâton (ou la cuillère en bois) doit tenir droit dans la soupière.

Ajouter le filet d’huile.

S’il reste de la soupe pour le lendemain, on peut, pour varier, y ajouter du jus de citron, du cumin en poudre, du piment rouge et du poivre. Ainsi la soupe deviendra africaine.

Misette Godard

Salade de pois chiches

Denrées nécessaires pour 6 personnes :

–      1 kg de pois chiches trempés et cuits comme il est dit précédemment, mais sans les herbes et avec l’oignon piqué de deux clous de girofle ; la cuisson doit être arrêtée avant que les pois ne se défassent,

–      une vinaigrette épaisse, riche en moutarde et à laquelle on peut ajouter un peu de thym en poudre ou de muscade.

Égoutter les pois chiches cuits à point. Les déposer dans un beau saladier. Ajouter la vinaigrette et tourner.

Servir tiède, entourée des raviers d’accompagnement suivants :

• filets d’anchois au sel (lavés et essuyés),

• fines rondelles d’oignon blanc et doux,

• câpres au vinaigre,

• brisures de thon à l’huile,

• poutargue (caviar provençal) coupé en morceau,

• persil haché.


[1] Renseignements historiques tirés de Histoire de l’alimentation par le docteur Gottschalk.

[2] Aujourd’hui, assez souvent disponible dans les boutiques de produits biologiques.