Feulements féminins à la Comédie-Français

14 mai 2012,

Par Michèle Valmont

« La voix humaine » de Jean Cocteau, qui fut créée en 1927 à la Comédie-Française par Berthe Bovy, est actuellement reprise au Studio-Théâtre par Martine Chevallier dans une mise en scène de Marc Paquien.

Il s’agit du monologue d’une femme d’âge mûr rompant au téléphone avec son jeune amant qui se marie. Personnage classique du début du 20ème siècle, qui n’est pas sans rappeler la Maréchale du « Chevalier à la rose » d’Hofmannsthal ou la Léa du « Chéri » de Colette.

Bien qu’avertie de la situation inéluctable obéissant aux mœurs bourgeoises de l’époque, où un jeune homme « de bonne famille » devait faire son apprentissage amoureux avec une femme d’expérience avant de se marier conventionnellement en sacrifiant son initiatrice, la femme agrippée à son téléphone souffre. Elle tente d’abord de donner le change en feignant le calme et la résignation, mais au fil de la conversation, la tension douloureuse croît. Le talent de Cocteau est d’avoir utilisé le téléphone comme un élément dramatique. Au gré de l’incompétence de l’opératrice ou d’interruptions d’étrangers sur la ligne, la tension  monte, jusqu’à mettre à nu le désespoir de l’abandonnée. La femme sans nom tente de se raccrocher à des détails matériels, la restitution de lettres amoureuses, la garde du chien, le récit de sa vie après la rupture, pour clamer enfin sa solitude et sa tentative de suicide.

Le texte de Cocteau est criant de vérité, reflet sans doute de sa rupture avec Jean Desbordes.

Martine Chevallier est une interprète magnifique, aussi convaincante dans le roucoulement amoureux que dans les feulements passionnés. Parfaitement à l’aise dans la sobre mise en scène de Marc Paquien, elle se love au pied de son lit, se recroqueville sur une chaise, seuls éléments du décor, comme pour contenir la souffrance viscérale qui l’étreint.

La salle silencieuse est suspendue à son moindre murmure, consciente de vivre un grand moment théâtral.

Le spectacle s’ouvre sur « La Dame de Monte-Carlo », court monologue de Jean Cocteau et Francis Poulenc pour soprano et orchestre. Ici, ni soprano ni orchestre, seulement une comédienne-chanteuse et un pianiste.

On a transposé la partition originale pour l’adapter à la belle voix grave de Véronique Vella, discrètement soutenue par l’excellent pianiste Jorge Gimenez, tapi dans l’ombre. Magnifique éclairage, sobre costume et élégante mise en scène de Marc Paquien créant une atmosphère-cabaret séduisante, différente de la version habituelle. Peut-être aurait-on souhaité un piano plus présent pour mettre en valeur la belle musique de Poulenc.

Michèle Valmont