Aventures en permaculture -5, RUBUS : LA SUITE

21 août 2012,

par Ghislain Nicaise

5- Rubus : la suite (La Gazette des Jardins n° 87, Septembre-Octobre 2009)

Les lectrices et lecteurs fidèles qui ont encore en mémoire l’épisode précédent sur la taille des ronces méritent un suivi. D’abord les premières ramifications qui se sont formées à partir de certaines pousses d’un an raccourcies portent des fruits dont on peut déplorer qu’ils ne portent que quelques grains. Ce n’est pas une particularité de ces plants car les ramifications les plus basses portent des fruits normaux. Mon interprétation est qu’un excès de vigueur a résulté d’une taille trop sévère et que ces fleurs se sont épanouies trop tôt, avant que les insectes pollinisateurs n’aient eu la diligence de les féconder. Les ronces sont de toute évidence des plantes entomophiles, en clair dont les fleurs apparentes ont été sélectionnées par l’évolution pour attirer les insectes. Une seconde différence remarquable, moins gênante, est que plusieurs pousses de l’année 2009 sont tellement vigoureuses qu’elles sont déjà ramifiées : j’y vois une conséquence de mes opérations de nettoyage, ou d’un printemps chaud et pluvieux, ou des deux à la fois. Si je veux continuer mes tailles l’hiver prochain, il faudra que je fasse plus attention à la couleur des tiges et moins à leur ramification.

Parmi les espèces du genre Rubus auquel appartiennent les ronces, j’apprends quil y a le framboisier, Rubus idaeus. Les framboisiers ont en fait été ma première plantation à la montagne mais pour choisir mes plants je n’ai pas fait d’étude de marché. Je n’ai pas acheté l’ouvrage du CTIFL uniquement consacré à cette espèce et je n’ai pas erré dans les jardineries. Sans état d’âme, je savais ce que j’avais à faire. Au début de l’hiver, mon voisin qui produit pratiquement tout ce qu’il mange, sans engrais chimiques ni pesticides, m’a donné des rejets de ses framboisiers, avec un peu de racines, enveloppées dans un journal humide. J’ai réquisitionné une douzaine de pots pour faire reprendre racine aux rejets qui ont ainsi passé l’hiver à Nice et les ai mises en terre à la montagne début Avril. Je les ai alignés le long de la clôture, espacés d’environ 60 cm, dans une tranchée peu profonde mais enrichie de mon compost urbain et d’un peu de cendres de bois. Le soleil direct a un peu grillé les premières feuilles, qui avaient poussé à Nice à la mi-ombre, mais un feuillage plus résistant leur a vite succédé (Fig. 1).

Fig. 1.  A la mi-juin, les framboisiers ont bien repris. A droite un framboisier local, à gauche un plant de la variété niçoise importée. On distingue quelques feuilles qui s’étaient développées à Nice avant transplantation et qui ont pâli au soleil de la montagne (F). Les nouvelles feuilles sont par contre d’un vert soutenu.

Sa couleur est d’un vert bien plus intense qu’à Nice, il est clair qu’ici la rareté du calcium ne fera pas tort aux framboisiers et que je n’ai pas à redouter la chlorose. Une couche d’herbe coupée et de broussailles broyées couvre le sol.

J’ai complété l’alignement de framboisiers avec 5 plants d’un cultivar qui était déjà dans le jardin niçois lors de notre installation en 1984 et qui a donné de bien meilleurs résultats que les framboisiers type Zeva que j’avais essayé pour comparer. J’ai gardé une certaine méfiance des framboisiers sélectionnés depuis mes essais de plantation de “Malling promise” lorsque nous habitions la région lyonnaise : de gros fruits assez insipides. A la réflexion j’achèterais bien des framboisiers à fruits jaunes, pour éviter le pillage par les oiseaux mais pour le moment le pillage que je déplore est l’oeuvre de guêpes et je doute qu’elles se laisseraient berner par la couleur.

Nos trois voisins les plus proches cultivent le framboisier d’une manière très différente de la mienne, en carrés densément plantés et coupent les tiges en fin de saison en gardant 30 à 60 cm au dessus du sol, ce qui a pour but de limiter la croissance en hauteur à la saison suivante. Ils obtiennent ainsi une sorte de fourré qui arrive quand même à hauteur d’homme (Fig. 2).

Fig. 2. Un voisin et son petit-fils dans leur massif de framboisiers. Ce voisin m’a dit avoir fait de petites allées à la débroussailleuse pour pouvoir récolter dans le centre du massif.

Il faudra que je compare les bénéfices de cette méthode avec mes alignements et l’éclaircissement des tiges, mieux adaptés au jardin de Nice. S’ils sont laissés à eux-mêmes les framboisiers niçois donnent peu de fruits. Dans une touffe, il faut garder la tige la plus vigoureuse et lui donner de l’espace. Il est certain que comme le remarquait une voisine, dans leur habitat naturel, personne ne les éclaircit.  On peut répondre que la Côte d’Azur n’est clairement pas l’habitat naturel du framboisier, ce qui justifierait mes pratiques d’espacement. Cette technique n’est d’ailleurs pas originale, par exemple sur le site “pommiers.com” on trouve “Distance de plantation du framboisier : entre 30 et 40 cm entre pieds, entre 40 à 50 cm entre les rangs“.

Les framboisiers sauvages, dans leur habitat montagnard, forment des taillis denses, qui leur permettent de lutter contre la concurrence d’autres végétaux pour le sol et la lumière. Mon respect pour les plantations serrées de mes voisins augmente, c’est peut-être la solution la plus conforme aux objectifs de la permaculture,  pour établir un écosystème qui minimise le travail humain.

Les framboisiers locaux que j’ai planté m’ont été recommandés comme remontants, fructifiant à la fin de printemps et à l’automne. Un autre voisin m’a proposé des plants non remontants que j’ai refusé mais peut-être serai-je amené à en accepter pour étaler la période de récolte. A Nice je sais que si je veux une remontée à l’automne, il faut supprimer toutes les tiges qui ont donné des fruits en juin. Les tiges du printemps, qui fleurissent en automne forment un bouquet de fleurs terminal et de gros fruits, il est conseillé de couper cette infructescence terminale après récolte et en Juin de l’année suivante la tige va se ramifier en portant des framboises plus petites mais bien plus nombreuses (Fig. 3).

Fig. 3. Schéma de la fructification portée par mes framboisiers remontants de Nice (variété inconnue). La taille consiste en hiver à supprimer le sommet qui a fructifié à l’automne et en juin à supprimer toute la tige qui a fructifié.

Leur voisinage au sein du genre Rubus a certainement facilité la réalisation d’hybrides entre mûres et framboises, probablement aussi facile qu’entre différents types de mûres. On trouve quelques exemples de ces hybrides dans la littérature (1). J’ai gardé d’un séjour ancien en Californie la nostalgie des loganberries et je vais essayer de m’en procurer. J’ai en tous cas fait l’expérience jardinière récente d’un autre hybride de mûre et de framboise, le tayberry. Sur ses tiges on retrouve la couverture serrée des petites épines du framboisier, avec la différence que ce sont d’assez grosses épines plus proches de celles de la ronce et plus redoutables. Il semble d’ailleurs qu’en nomenclature botanique ce ne sont pas des épines mais des aiguillons, en pratique ça pique fort. A Nice, en deux ans, ce plant vigoureux a donné de gros fruits assez savoureux, ils font merveille en confiture. Une particularité de cet hybride est sa précocité : il fructifie au printemps, bien avant les framboises. Cela me semblait un avantage mais je n’en suis plus si certain. L’hiver dernier (2008-2009), toutes les parties aériennes sont mortes. J’en incriminais l’armillaire (ce champignon appelé de façon assez parlante pourridié, qui sévit dans mon jardin), ce qui est remis en question par l’observation que le plant est reparti de la racine au printemps, quoique sans la vigueur première. Le Pontoppidan (1) signale une sensibilité au froid de cet hybride. On ne peut pas dire que l’hiver ait été exceptionnellement froid à Nice mais il était plus froid que les trois hivers précédents. J’ai mis en pot une marcotte et je l’ai plantée à la montagne, si elle ne passe pas l’hiver, je saurai vraiment que le tayberry, ainsi que probablement le loganberry qui est aussi signalé “sensible au gel d’hiver”, sont à réserver pour les régions à hivers cléments.

(à suivre)

(1) A. Pontoppidan. 2008. Fruitiers au jardin bio, arbres et arbustes. Terre Vivante. 206 p.