par Jean-Claude Villain
On craignit un nouveau caprice. Le très jeune empereur demanda qu’on lui fît porter du papier. Son maître de calligraphie s’empressa d’étirer devant lui un rouleau qu’il tint, écarté bien à plat, dans la largeur de ses deux bras grand ouverts. L’encre était prête. On tendit à l’enfant un pinceau souple. Chaque jour il s’exerçait à cet art difficile, y prenait goût et progressait vite. L’admiration de la cour l’encourageait.
Au mitan exact du rouleau il traça un simple trait sur toute la hauteur. A droite de celui-ci, à l’est donc, bien en haut, il demanda qu’on écrivit l’idéogramme « nous », et à gauche, à l’ouest donc, l’idéogramme « eux ». Reprenant le pinceau il enferma ces deux signes en une lune dessinée en quartier, chacune faisant mimétiquement face à sa jumelle, inversée. Dans la partie droite, « nous », il se mit à improviser en une fantaisie joyeuse, des formes, rondes, carrées, des polygones simples ou plus compliqués, tous fermés et ne figurant rien de reconnaissable. Quand l’est fut ainsi rempli et que l’ouest restait vide, il l’investit pareillement avec des formes aussi libres et abstraites, dépourvues de toute suggestion figurative. Aucun des courtisans présents, tous restés impassibles, ne se serait hasardé à demander ce que ces figures énigmatiques pouvaient exprimer ou signifier. Le maître calligraphe s’inclinait le premier après chaque nouvelle improvisation, sans rien laisser paraître de son questionnement, s’il en avait un. (suite…)