Bon rapport qualité ou bonnes valeurs? Le marketing de la durabilité.

3 septembre 2012,

de Londres par Patrick Laine

“N’achetez pas cette veste” lançait comme slogan la marque Patagonie à l’approche des fêtes de Noël lors de la plus grande journée commerciale de l’année. Les cyniques peuvent voir là simplement une habile  astuce de marketing pour vendre encore plus. Les connaisseurs des valeurs affichées par l’entreprise Patagonie pourront admirer leur appel aux consommateurs de n’acheter que ce qui est nécessaire, s’engageant aussi à réduire, réparer réutiliser et recycler avant d’acheter du neuf.
Le défi de Patagonie est certes noble, mais pas nouveau. Il y a déjà longtemps que des ONG et des militants font campagne pour une consommation durable. Mais comment cela opère-t-il? Pas bien, si la mode du renouvellement rapide des biens constitue un bon indice du sujet. La plus grande entreprise de mode rapide au Royaume-Uni, un nom bien connu, a triplé de dimension depuis 2005. Cela correspond à un taux de croissance annuel de près de 20% dans l’environnement économique le plus mauvais que l’Occident a connu depuis 80 ans. Le mouvement « coton biologique »  s’était fixé en 2000 l’objectif audacieux d’atteindre 10% du marché en une décennie. Or selon dont le chiffre auquel vous vous  référez, la pénétration réelle du coton biologique sur le marché se situe entre 0,8 et 1,5%. Des produits forestiers durables parviennent à un taux de présence sur le marché de 19% après deux décennies de campagne, une performance certes formidable, mais très éloignée de ce qui serait nécessaire. Et la liste des résultats décevants est longue.
La conclusion est claire. Sauf pour quelques produits de niche écologique, le marketing durable a échoué. Compte tenu de l’ampleur des dommages causés à la planète, il est temps pour les ONG et les militants de le reconnaître et de modifier  d’urgence leur approche. Mais que faire?
Le Dr Tom Crompton du WWF, en collaboration avec un certain nombre d’autres organisations de premier plan, croit que nous devons nous adresser aux valeurs des gens si nous voulons un véritable changement. Il montre un vaste corpus de recherches qui conclut que ce n’est pas en faisant appel aux valeurs « extrinsèques » des gens, telle la recherche de statut social ou de réussite financière, que l’on parviendra à améliorer la société et protéger la planète, mais au contraire, en se rapprochant de leurs buts plus intimes, tel leur lien à la famille et aux amis, leur désir de plus d’humanité et d’un monde plus naturel. Cette école de pensée va jusqu’à dire que nous ne devrions pas demander aux gens d’«acheter vert», car cela ne fait finalement que de perpétuer le modèle de consommation dominant. Ils soutiennent que la satisfaction des valeurs extrinsèques ne peut se faire au détriment des plus importantes valeurs intrinsèques.
Ces valeurs gagnent du terrain dans un large éventail de leaders d’opinion et même d’entreprises. Pour autant est-ce que d’autres entreprises pourraient reproduire le noble slogan de Patagonie?
Une autre approche, sans doute moins conceptuelle, est de se concentrer, au moins pour le court terme, sur le changement de comportement plutôt que d’essayer de changer les valeurs. (Il existe une école de pensée qui dit que ce n’est pas l’un ou l’autre, soutenant que les deux stratégies sont complémentaires). Les tenants de la stratégie du «changement de comportement» soutiennent qu’un changement préalable de valeurs prendrait trop de temps alors que nous n’avons pas le confort du temps si l’on veut éviter des dommages catastrophiques, et peut-être irréversibles, pour la planète.
Mais quel modèle de comportement devons-nous favoriser en tant que consommateurs, entreprises, gouvernement? Le WWF a une équipe qui travaille sans relâche pour éduquer, informer et tenter d’influencer les politiques gouvernementales. Alors que certaines victoires notables ont été remportées, le leadership politique occidental a spectaculairement révélé son manque de vision à propos du défi le plus important de notre époque.
Le comportement des consommateurs est-il plus facilement modifiable que celui des politiciens? Il y a actuellement 1,3 milliards d’individus membres de classe moyenne sur la planète, et ce chiffre devrait encore augmenter de 3 milliards sur les 30 prochaines années. Ce sont eux qui font des dégâts massifs à la planète (pas ceux qui sont au bas de la pyramide sociale). Si nous voulons changer leur comportement, nous avons certainement besoin de trouver une nouvelle stratégie puisque le marketing de la durabilité que nous connaissons a lamentablement échoué. Il est beaucoup trop axé sur la valeur des choses mais est resté cruellement en manque de valeurs. Peut-être que des agences de communication tenteront de relever ce défi et de convaincre les gens d’acheter moins, mais mieux. Malheureusement, la plupart des agences de publicité disent qu’elles travaillent juste aux représentations du client ; toutefois le «moins mais mieux» ne figure pas dans ces représentations
Cela laisse de côté le secteur des entreprises. WWF consacre beaucoup d’énergie à travailler avec les entreprises grand public afin d’identifier leurs principaux impacts environnementaux, et d’élaborer des stratégies pour réduire ces impacts. L’idée est que si nous pouvons changer le comportement des grandes entreprises, cela aura un effet multiplicateur à travers leurs chaînes d’approvisionnement, leurs bases de clients, leurs concurrents, et peut-être même les politiciens désespérés. Cette approche donne des résultats tangibles, mais si nous ne changeons pas certaines valeurs référentielles, faudra-t-il attendre que ce soit le prochain effondrement financier qui fasse changer de comportement ?
Le marketing « vert », de la durabilité, comme nous le savons n’a pas réussi à aller au-delà de quelques niches écologiques certes intéressantes, mais trop petites pour avoir un impact significatif. Il n’est pas conforme à la conduite des affaires. Un nouveau modèle est nécessaire d’urgence : celui qui poussera les gens à réfléchir à ce qui est fondamental pour eux, à leurs valeurs intrinsèques. Celui-la même qui correspond à la mesure du défi.

Patrick Laine, environnementaliste,
commentaire de Jean-Claude Villain
Ce constat est lucide et c’est de lui qu’il faut partir pour déblayer d’autres pistes et formuler  d’autres propositions. Il s’agit en effet d’éduquer à grande échelle une classe moyenne encore peu consciente et peu investie, s’accommodant facilement de quelques menues taches en faveur de la planète alors que c’est une véritable et urgente révolution des comportements qu’il faut opérer. Celle-ci doit toucher aux valeurs référentielles auxquelles ces gens sont le plus sensibles. Des campagnes publicitaires s’y essaient en France mettant souvent en avant les enfants mais j’ai l’impression que cela ne parvient pas au but (peut-être simplement parce que le langage publicitaire est mauvais).
Le “moins mais mieux” va dans le sens du courant d’une certaine décroissance, critiquée par de nombreux politiciens et économistes, apôtres de la fuite en avant, et souvent aveugles ou simplement intéressés par la gestion à très courts termes d’intérêts privés. L’aspiration à plus de qualité, l’éducation à la reconnaissance de la qualité des produits (parlons d’abord de qualité “naturelle” des produits) doit être stimulée afin que ce type de demande pèse sur l’offre de produits mis sur le marché. Les ONG et les Etats doivent stimuler dans ce sens en aidant à des mises en oeuvre qui peuvent paraître au départ économiquement risquées pour les entreprises préoccupées par un insuffisant rendement commercial. Mais une fois les consommateurs éduqués en ce sens, ce sont les “anciens produits” qui deviendront automatiquement obsolètes, et alors un pas important aura été franchi. Il faudra veiller cependant à ce que ce ne soit pas une économie chère qui, par ce biais qualitatif, se mette en place, privant par là une grande partie de l’humanité de ces nouveaux produits respectueux de la qualité (les pauvres continuant alors à subir une offre de la médiocrité -aussi bien négatrice de la santé des gens que de la préservation environnementale).(De ce point de vue l’observation que l’on peut porter aujourd’hui sur cette partie à la mode de la classe moyenne qu’on nomme en France “les bobos” laisse entrevoir le risque d’une clivage socio-économique durable,susceptible donc de se répéter une fois de plus).
Reste un autre point à envisager : celui du cynisme de la société marchande devenue ultra-libérale qui jusqu’ici a montré davantage son habileté à récupérer et recycler, les nouveaux thèmes porteurs susceptibles d’être sources de profit en fonction de SON seul propre intérêt capitalistique, plutôt que de s’ouvrir à une participation efficace à des causes “moins rentables” (quand bien même celles-ci s’avèreraient incontournables pour l’avenir même de la planète et donc de l’humanité)
. En cela, oui, c’est bien de mutation profonde de valeurs dont il s’agit mais la responsabilité de cette mutation revient d’abord aux institutions privées et publiques qui exercent, directement ou indirectement, un rôle de leaders sur l’opinion et d’acteurs des grands mouvements de la vie collective.
Jean-Claude Villain, écrivain.