Le temps de l’Aventure

6 mai 2013,

par Saura Loir de358b6852

Cinquième long métrage de Jérôme Bonnell, jeune cinéaste français plusieurs fois finaliste du Prix Junior du meilleur scénariste. Il met en scène la rencontre improbable entre un britannique d’âge mûr, professeur de littérature (Gabriel Byrne) et une jeune française actrice de théâtre (Emmanuelle Devos).

S’agissant d’un homme et d’une femme, le mot « aventure » évoque un de ces moments dans la vie où les personnes concernées, lassées peut-être d’une vie trop bien réglée et raisonnable, jettent la prudence par dessus les moulins et s’engagent dans une expérience à la fois déraisonnable et censée ne pas durer, attirés par l’attrait de sensations nouvelles. Ici c’est le mot que l’auteur a choisi, mais est-ce vraiment d’aventure qu’il s’agit ? La question se pose tout au long du film car ce qui surgit entre ces deux êtres-là ne semble pas relever d’une recherche de frisson passager mais bien de quelque chose qui les dépasse, quelque chose d’insondable, empreint de gravité.

Qu’est-ce qui peut bien pousser une jeune femme engagée dans une relation stable à laquelle visiblement elle tient, qui n’a rien apparemment ni de la bourgeoise qui s’ennuie ni de quelqu’un qui partirait à la dérive, qu’est-ce qui peut bien la pousser à prendre l’initiative de suivre un homme à peine entrevu dans un train et à le suivre jusque dans sa chambre d’hôtel ? Et lui ? Tout cela elle ne le fait pas toute seule. Dans le train, leurs regards se sont rencontrés puis évités, à l’arrivée en gare du Nord il lui a adressé la parole avec un prétexte qui semble futile mais qui va s’avérer déterminant et quand, hors toute attente, la jeune femme le rejoint, il  ne se dérobe pas, bien au contraire. Quelque chose de plus fort qu’eux semble les river l’un à l’autre et ce quelque chose passe par les regards, par des yeux qui jamais ne se quittent. Pendant que les lèvres prononcent des mots insignifiants, destinés à faire semblant, à jouer le jeux social que requiert la bienséance, leurs yeux témoignent de quelque chose d’insondable et qui crie l’urgence de ne pas se perdre, surtout ne pas se perdre.

Il flotte dans ce film une atmosphère étrange, l’impression vague d’être en présence d’événements qui échappent à toute logique et qui obéissent à des forces invisibles. Des forces qui les dépassent et qui les poussent l’un vers l’autre tout en les confrontant constamment à de nouveaux obstacles, comme s’il s’agissait de les mettre à l’épreuve, de tester leur désir de se rejoindre. Pour ajouter à l’étrangeté, une « coïncidence » fait que la rencontre se produit juste au moment où l’homme est en train de se rendre aux funérailles d’une femme qu’il a autrefois passionnément aimée. Pendant ce temps, le compagnon de la jeune femme semble s’être inexplicablement volatilisé et n’est plus qu’une voix de répondeur  résonnant dans le vide d’une cabine téléphonique. Cela ajoute à l’impression d’être dans le temps suspendu d’un château de conte de fées, dont un sort étrange aurait figé tous les habitants. Et pourtant non, on est bien dans Paris, le Paris contemporain avec son trafic incessant et, qui plus est, envahi par le tintamarre de la Fête de la Musique.

Avec un sujet connu et maintes fois traité, celui de la brève rencontre, Jérôme Bonnel a réussi à créer une œuvre originale et cela en dépit de sa forme classique. On se serait passé de certains détails de la vie de la jeune femme, comme celui de la relation avec sa sœur – même s’il sont censés nous permettre de mieux cerner le personnage – car ils alourdissent inutilement l’ensemble. Tout l’intérêt du film repose dans le mystère que représente la rencontre et on se surprend à devenir impatient quand l’histoire s’en éloigne. Emmanuelle Devos est de tous les plans, c’est un rôle magnifique et elle le joue à merveille. Le fait que son aspect physique en lui-même ne justifie pas une telle fascination chez un homme qui, en plus, vit le deuil d’une femme autrefois aimée, et que l’auteur l’ait voulue sans le moindre fard, vient renforcer l’impression que le Destin est en marche. Ces deux-là se sont reconnus, le Fatum des anciens Romains dicte sa loi et, à n’en pas douter, ne s’en tiendra pas là.

Saura Loir