Je pense à Yu

15 juin 2013,

par Michèle Valmont

v_Piece.1367Madeleine vit seule dans un appartement en friche, au milieu de cartons vides. Elle a raté sa vie sentimentale et compromet sa vie professionnelle à cause de l’obsession qui la mine : elle ne pense qu’à Yu.

Yu Dongyue est un journaliste chinois qui, en mai 1989, pour avoir, avec deux camarades, lancé des oeufs emplis de peinture sur un portrait de Mao sur la place Tienanmen, a été incarcéré pendant 17 ans. Depuis que Madeleine a appris cette histoire dans un journal, elle a mis sa vie entre parenthèses : elle passe son temps à enquêter, à essayer de comprendre les motivations de ces jeunes chinois qu’elle ne connaît pas, à s’interroger sur le bien-fondé de la révolte devant la dictature, à réinterpréter sa propre existence mise en parallèle avec celle de Yu. Le monstre Mao qui a tué des dizaines de millions de Chinois par famine et répression apparaît sur scène en poster scotché au mur.

Elle est interrompue dans son introspection par une jeune chinoise à qui elle donne des leçons de français et un voisin solitaire, père d’un enfant anormal, pas du tout concernés par l’affaire de la place Tienanmen.

Insidieusement, l’histoire de Yu va venir perturber à des degrés divers leur comportement et servir de révélateur à leur angoisse existentielle.

La Canadienne francophone, Carole Fréchette, l’auteur, a trouvé ici un sujet sensible et essentiel : où l’individu se situe-t-il dès lors qu’il prend conscience de la marche de l’Histoire ? Le propos est clairement exprimé, parfois avec une certaine pesanteur. Les interprètes défendent leur personnage avec véhémence. Marianne Basler, tour à tour agaçante et attendrissante, clame sa détresse avec une justesse et une vérité qui touchent le spectateur. Antoine Caubet, Jérémie, lui aussi emmuré dans son problème familial, au jeu puissant, est bouleversant de désespoir contenu. Quant à Yilin Yang, sa fraîcheur et sa vivacité séduisent. La mise en scène de Jean-Claude Berutti est lumineuse, tout au service de l’œuvre.

« Je pense à Yu », on n’est pas près de l’oublier.

 

Michèle Valmont

 

Théâtre Artistic Athévains : 01 43 56 38 32