Jeune et jolie

20 septembre 2013,

21005923_2013051510325393.jpg-r_160_240-b_1_D6D6D6-f_jpg-q_x-xxyxxpar Saura Loir

Un film de François Ozon avec Marine Vacth, Géraldine Pailhas

Visage d’ange, grands yeux innocents, frêle silhouette de jeune fille à peine pubère : telle nous apparaît Isabelle dès sa première apparition à l’écran – qu’elle ne quittera plus guère à quelques exceptions près. Qui est-elle ? Que cache-t-elle derrière cette grâce Botticellienne, presque désincarnée ? Le visage est doux mais sa mâchoire un rien carrée suggère autre chose. Ses yeux rêveurs ont parfois quelque chose d’implacable, les talons aiguille et la veste empruntés à sa mère soulignent une démarche assurée d’executive woman. Etrange enfant, qui es-tu ? Après quoi cours-tu ? Es-tu consciente du danger ? Oui, on le sait, l’adolescence, l’éveil des sens, la quête d’identité, la révolte, le besoin de s’affirmer, d’explorer la vie parfois jusqu’à la transgression…..cela s’accompagne en général de beaucoup d’émotions, de crises de larmes, d’explosions de colère. Toi pas. Tu traces ton chemin au milieu des autres comme s’ils étaient invisibles, tu mènes ta recherche silencieuse comme si tu n’étais pas là, étrangère à toi-même et à tout ce qui t’entoure. Tu accomplis ce que tu sembles devoir accomplir dans un état de dédoublement, spectatrice neutre de tout ce qui advient, de tout ce que tu crées.

Ainsi s’étire le film et cela suscite en nous une impression de malaise,  un sentiment d’inquiétude mêlée de compassion pour elle – c’est presque un enfant ! – comme pour son entourage car elle n’épargne personne, elle va son chemin et coupe les liens sans le moindre état d’âme, le moindre souci de l’autre. Seule son amie de cœur semble avoir droit à son affection ;  son petit frère aussi, mais peut-être plus comme spectateur admiratif et complice que comme un être à chérir. Silencieuse et l’air absent, elle déambule à travers l’appartement familial, dans des couloirs d’hôtel, des escaliers et des couloirs de métro. A maintes reprises on la voit  descendre dans le métro ou  en sortir, toujours seule (seule dans le métro à Paris ?) et à chaque fois la descente devant elle est plongée dans l’obscurité la plus totale ; quand elle remonte elle quitte cette totale obscurité pour aller vers la lumière. De là à  voir dans le métro  une métaphore de l’inconscient avec toutes ses pulsions « d’en bas » il n’y a qu’un pas que je franchis allégrement. Plan séquence très explicite, au cas où cela ne serait pas assez clair : arrivée en bas d’un escalier, elle pénètre dans un couloir et là, elle se trouve devant une énorme bouche de femme, écarlate et gourmande, qui occupe tout le mur d’en face et qui semble ne s’adresser qu’à elle. Une publicité sans doute, mais sans le moindre logo.

Le sexe donc, y compris dans ce qu’il a de plus obscur, de plus interdit. Le sexe aussi comme monnaie d’échange, comme exercice de pouvoir, comme un lieu où se joue un duel d’où on ne sort pas forcément indemne. Le sexe est un thème omniprésent dans le film, personne n’échappe à son emprise,  enfants, adolescents, parents. Le sexe sous toutes ses formes, obsédant et dévorant, mis à la portée de tout le monde grâce à la Toile. Isabelle semble forte parce qu’elle ne cède jamais rien, rien ne semble pouvoir fléchir sa détermination ou l’intimider, ni le client abusif, ni les larmes ou les gifles de sa mère, ni la police, ni le savoir-faire (éventuel) d’un psy et il en faudra beaucoup pour voir apparaître une larme dans ses beaux grands yeux. Quand cela arrive on est soulagé : ce n’est donc pas  un monstre ! Pourtant quelque chose en elle finit par changer, quelque chose de pas facile à définir mais qui fait qu’elle abandonne le look adulte -femme d’affaires et se rend à un rendez-vous habillée comme la lycéenne qu’elle est, jeans parka baskets, comme si elle assumait davantage ce qui l’habite. Oui, il y a eu une sorte de glissement et on peut juste espérer, parce qu’on l’aime bien quand-même, que l’évolution qui s’annonce sera positive pour elle et pour sa vie. On n’en saura pas plus.

Un sujet scabreux d’où la grâce infinie de l’actrice  exclut tout risque de vulgarité et qu’Ozon a traité avec retenue, justesse et élégance. A recommander surtout à tous ceux qu’intéressent les méandres troubles et mystérieux du « monde d’en bas ».