La vie extra – ordinaire d’un pèlerin sur le chemin de Compostelle

21 novembre 2013,

Ce récit de pèlerinage, que nous publions depuis deux mois, est original par son ton désinvolte, pratique, anecdotique, attentif aux détails, presque mystique… Nous voilà loin des effusions publicitaires de certains pipoles qui trimbalent au même moment leur égo enflé sur les chemins de Compostelle. Merci Jean-Luc.

par Jean-Luc Fessardforêt eucalyptus
Sixième épisode

Le 4.06.2013 Départ à 8H00 de Pampelune pour Puente la Reina

Aujourd’hui le ciel est totalement dégagé, je vais marcher au soleil toute la journée, pour la première fois depuis longtemps. La montée sur la colline Del Pedron est rude. Mais, avec son insolite alignement de statues en métal au sommet et toutes ces éoliennes aux alentours cela en vaut la peine. Dans la montée je suis doublé par un original habillé de l’ancienne tenue en tissu épais marron des pèlerins, chapeau, cape avec coquille et besace. Il marche très rapidement, avec un bourdon agrémenté d’une cloche à vaches qui s’entend à des centaines de mètres à la ronde.

Je tourne le dos aux Pyrénées, pour entamer la descente par un chemin peu agréable car il est rempli de cailloux. C’est une exception, car depuis mon arrivée en Espagne le chemin est souvent cimenté ou recouvert de bitume ou sinon il est bien empierré et même parfois pavé. Il n’y a pratiquement pas de problème de fléchage. Les guides sont inutiles pour suivre le chemin, ils servent essentiellement, la veille d’une étape, pour prendre connaissance de ce qu’elle nous propose. Pour l’instant, je n’ai toujours pas fait de réservations, le « miam-miam dodo », ne me sert à rien. Pourvu que cela dure, car les gites pour pèlerins sont pleins le soir. Heureusement je pars assez tôt et je marche suffisamment vite, sur des distances courtes, pour arriver parmi les premiers aux étapes.

J’arrive à 13H20 à Puente la Reina. 5H20 de marche pour 22km (853km)

Je suis en forme et j’apprécie, car plusieurs personnes, parties de Saint Jean commencent à avoir des problèmes aux genoux. Même mes blessures aux pieds faites par mes anciennes chaussures finissent par se résorber, c’est super. J’ai été voir le gite où se trouve Lutgarde et je suis content de mon choix d’aller dans des pensions. A l’arrivée une sorte de cerbère, enrégimente tous ceux qui arrivent : pas de sacs sur les lits !, pas de bâtons ni de chaussures dans les dortoirs !, votre crédencial !, une pièce d’identité !…etc. Les dortoirs sont pleins, avec des lits superposés et très peu d’espace pour circuler. Il faut faire la queue pour les douches et les toilettes. Mais de ce fait, je suis pour l’instant, totalement à l’écart de toute pratique communautaire ou religieuse. Alors que ceux qui vont dans des refuges tenus par des religieux peuvent parfois prendre des repas en commun ou assister à un office.

Cette fois je paie 45€ pour la chambre, le dîner et le petit déjeuner. En fait, comme je ne prendrai pas le petit déjeuner, qui n’est servi qu’à partir de 8H, la patronne me fait choisir dans une corbeille de fruits (hélas un peu avancés), je prends une pomme et une banane.

Aujourd’hui j’ai également apprécié mon choix de marcher seul. J’avais une cinquantaine de personnes qui marchaient devant moi et la même chose derrière, par groupes de cinq ou six pèlerins. Et dans chaque groupe cela discutait dur, à tel point que je m’arrangeais toujours pour m’en éloigner, afin de profiter du silence.

Par rapport à la France, ici le chemin est très différent. En Espagne les choses sont bien organisées et ce sont des volumes importants de pèlerins qui sont gérés. Il y a souvent des sièges pour s’asseoir sur le bord du chemin et l’offre de boissons et de nourriture est assez fréquente pour n’emporter que peu de provisions. Luxe suprême, les chiens n’aboient presque jamais. Alors qu’en France, près d’un endroit où il était possible de s’asseoir pour se reposer quelques minutes, tronc d’arbre, talus… il y avait toujours un, deux, ou trois chiens en train d’hurler au point de me dissuader de m’arrêter. Pourquoi est-ce que la majorité des chiens en France sont-ils aussi agressifs ? Alors qu’ils sont zen en Espagne !

J’ai la chance, pour mon tampon  sur la crédenciale, qu’un employé municipal me fasse rentrer dans la mairie alors qu’elle est fermée. De Puente la Reina, je vois principalement la rue qui traverse la ville de part en part pour aboutir sur le très beau pont ancien. J’y retrouve Hugo et Sarah qui sont avec plusieurs Brésiliens. Sarah à une telle douleur au genou qu’elle va probablement prendre un bus demain.

Le 5.06.2013 Départ à 7H30 de Puente la Reina pour Estella

Pour la deuxième journée consécutive, le soleil est au programme. La journée est très agréable, je marche à un très bon rythme sur un chemin presque totalement sec. Les champs sont verts parsemés de coquelicots rouge vif, c’est beau.

J’arrive à Estella à 13H, 5H30 de marche, arrêts compris, pour faire 23km (876km).

Je suis affûté et marche plus vite qu’au début. J’ai perdu un peu de poids. J’ai déjà atteint le dernier trou de ma ceinture celui qu’en plaisantant Evelyne R., lorsqu’elle me l’a vendue, avait ajouté pour Compostelle. Je profite d’une offre avantageuse pour acheter un deuxième mobile pour mes appels en Espagne : 19,50€ incluant 10€ gratuits pour les appels, c’est cadeau d’autant plus que lors du premier rechargement de 10€ je bénéficierai à nouveau de 10€ d’appels gratuits.

Par contre Estella sera, je ne sais pas bien pourquoi, l’une des seules villes d’Espagne que je n’aimerai pas beaucoup. Peut-être est-ce parce que l’Hôtel Christina où je suis hébergé, proche de la plazza major. A 38€ en liquide, pour uniquement la chambre, est d’un mauvais rapport qualité-prix. Que cette chambre donnait sur une rue qui s’est avérée bruyante le matin, même quand tout est fermé. Par contre j’ai bien mangé, le midi dans un petit restaurant proche et le soir, les tapas que j’ai prises dans un café étaient bonnes. Sinon la ville contient son lot d’églises, de monastères et de palais habituels dont je ne verrai comme à d’autres endroits que l’extérieur. Les horaires d’accès n’étant pas forcément compatibles avec les miens.

Pour cette étape, mon bon souvenir, ce sont des enfants postés à l’entrée et au milieu du village de Villatuerta. Les premiers, avec leur enseignant faisaient un concours et devaient prendre 100 pèlerins en photo. Les seconds nettement plus jeunes, car ils devaient avoir environ 5 ans, étaient restés à côté de leur école. Très organisés avec leur enseignante ils se répartissaient les rôles. Ils avaient préparé des questions en Espagnol ou en Anglais et l’un d’entre eux demandait : « Comment tu t’appelles ? D’où viens-tu ? Cites trois objets que tu portes dans ton sac ? Pourquoi fais-tu le chemin ? Et il notait les réponses. Un autre élève prenait une photo (la maitresse également, en cadrage plus serré) et enfin un troisième élève offrait un dessin, fait en classe, comportant un court texte nous souhaitant un bon chemin. Ils nous remettaient également une carte de visite pour que nous leur fassions parvenir un message plus tard. Une bonne approche des enseignants pour faire appréhender le chemin à leurs élèves.

J’hésite à nouveau à acheter un duvet de 600gr pour 60€ parce qu’il semble qu’à Logrono il y a une fête le jour où  j’y serai et que je risque d’avoir des difficultés pour trouver un hébergement. Mais je ne suis pas mûr pour aller dans les auberges pour pèlerins. Etrange, cette appétence qu’ont  tant de personnes à la retraite, pour un retour à des conditions d’hébergement style colonies de vacances. Dans des dortoirs avec des lits superposés, des nuits difficiles à cause des ronfleurs, un réveil très matinal, à la cloche ou par ceux qui partent alors qu’il ne fait pas encore jour. En prime, la queue aux toilettes, aux douches et même en cuisine à cause d’un manque d’ustensiles pour préparer son repas. Comme si marcher avec un sac à dos de 8 à 12 kg n’était pas suffisamment difficile.

Le 6.06.2013 Départ à 7H00 d’Estella pour Los Arcos

C’est à nouveau une belle journée et le chemin qui s’offre à nous est beau. Je dis « nous » car, si je marche la plupart du temps seul, c’est en même temps que les autres pèlerins. Et régulièrement je suis doublé ou je double des personnes que je finis par connaitre et avec qui j’échange au moins quelques paroles. Contrairement à la plupart, Je ne m’arrête pas à la fontaine d’Irrache pour goûter le vin offert aux pèlerins. D’abord parce qu’il est tôt, mais surtout, parce qu’un groupe de touristes fraîchement débarqués d’un minibus, quelques centaines de mètres auparavant, sont arrivés juste avant moi. Je n’ai pas la patience d’attendre qu’ils aient fini de se prendre tous en photo, en train de boire ou de prendre la pose devant la fontaine.

A part une montée assez longue au début, le chemin devient ensuite relativement plat et large. Il ne présente aucune difficulté autre que le temps nécessaire pour parcourir les 20km de l’étape. A mon arrivée à midi, je trouve tout de suite une pension à 30€ petit déjeuner compris. Heureusement que je suis arrivé tôt, car j’y serai rejoint par un groupe d’Espagnols, qui marchent sans sac et vont récupérer de grosses valises apportées par leur accompagnateur en camionnette.  Certainement ceux qui trustaient la fontaine d’Irrache. Je fais une brève visite à l’église surchargée de dorures qui est encore ouverte et à son agréable cloître attenant. Puis, avant que de l’office de tourisme ferme, j’attends longuement que l’hôtesse revienne de la mairie pour le rituel du tampon. Je déjeune (bien d’ailleurs) pour 10€ dans le restaurant qui dépend de la pension Mavi où je suis logé. La ville est petite, il y a essentiellement deux places sur lesquelles je retrouve des pèlerins que je côtoie depuis maintenant plusieurs jours. Dont une Espagnole plutôt sympathique, qui parle très fort et tout le temps. Elle a déjà fait le chemin et cette fois accompagne sa nièce pour quelques jours. Il y a également un trio de Canadiens, dont je reparlerain car nous deviendrons au fil des jours, amis. Sont également là, plusieurs des personnes que j’ai rencontrées à Ostabat, les Toulousaines…etc. Le soir, nous dînons entre amis avec Hugo, Sarah et Lutgarde.

Hugo, un jeune Portugais, pas encore trentenaire d’environ 1,80m, brun, bronzé et musclé juste ce qu’il faut. Il est en couple avec Sarah une jeune Belge blonde, solide et élancée, assez réservée mais très affectueuse. Elle a vécu, avec sa sœur jumelle, une enfance partagée entre la Belgique et le Portugal, au gré des pérégrinations de ses parents.

Hugo très sportif, d’un caractère anxieux, va transformer le chemin en une occasion de défis quotidiens de dépassement de soi et des autres. Le principe est simple, comme avec Sarah ils ne veulent pas se lever très tôt et qu’il n’est pas possible de réserver les gites, il va marcher le plus vite possible pour tenter d’arriver le premier aux étapes. Il faut dire que son égo le pousse en permanence, il veut toujours se rassurer sur ses capacités. Par exemple, il est vexé lorsque quelqu’un le double, surtout sans sac et n’a de cesse de le dépasser à nouveau.

Parcouru : 21km (897km)

Si mon guide est exact, il me reste environ 660km à faire soit un total de 1550km et donc 150km de moins que ce que j’avais calculé.

Le 7.06.2013 Départ à 7H00 de Los Arcos pour Logroño

En partant je retrouve les trois compères que j’avais rencontrés à Ostabat et qui marchaient ensemble. Les deux bretons de Rennes vont laisser filer celui qui vient de Cherbourg (et du Maroc) qui veut faire de plus longues étapes.

Le ciel est menaçant mais il ne pleuvra qu’après mon arrivée à Logroño. Je rencontre à nouveau l’original avec son bourdon tintinnabulant. Mais cette fois sous la menace, de la pluie il est vêtu d’un seyant manteau en peau retournée. Vu son volume, ce manteau ne tient pas dans sa petite besace. C’est probablement le secret de sa marche très rapide, il doit disposer d’hébergements sur le chemin et en fonction du temps, il change de tenue. Je fais plus de 28km en juste 7h pauses comprises. Le temps plus frais, la forme physique, c’est idéal pour marcher, surtout que le chemin, par ici, est vallonné mais sans grand dénivelé. Tout est encore vert (surtout du bé et des herbages) avec encore une multitude de coquelicots, de fleurs jaunes et de marguerites. Tout cela est très agréable, même si à la fin j’avais hâte d’arriver et que j’étais content de franchir le pont qui rejoint le centre-ville. J’aide un picard cyclotouriste à s’orienter dans un dédale de voies rapides. Contrairement aux autres nationalités, le chemin étant totalement international, de nombreux Français présents sur le chemin, le font par petites tronçons et vont s‘arrêter à Logroño pour repartir au travail. Lutgarde s’est fait échanger ses chaussures, elle a dû en racheter. Je suis hébergé pour 18€ avec  Lutgarde et deux de ses compatriotes (dont John que je reverrai par la suite) dans une résidence universitaire un peu excentrée. Avec la pluie je n’ai pas pu visiter la ville, qui semble intéressante. Aussi le soir plutôt que d’attendre le repas qui n’est servi qu’à partir de 20H30, nous décidons d’aller au centre-ville. Je le regretterai, car il y a effectivement une fête locale, mais c’est un peu triste car elle a été gâchée par la pluie. Et surtout, avec la foule, nous ne trouverons qu’un bar qui nous a vend, très cher, ce qu’il appelle des Tapas. En fait ce ne sont, ni des sandwichs, ni des plats, mais des pâtés de viande ou de fromage étalés sur des mini-biscottes. Désormais je ne prendrai plus de tapas, je prendrai « el menu Del dia » ou « el menu Del Pellegrino »qui, aux alentours de 10€ pour l’entrée, le plat, le dessert et la boisson avec un choix de 3 où 4 plats différents par service, est une vraie aubaine.

Parcouru : 29km (926km)

Je suis à mon 40ème jour de marche. Je me rends compte que le guide « miam-miam dodo », n’est en fait que le dodo, c’est dommage.

Le 8.06.2013 Départ à 7H00 de Logroño pour Najera via Navarette

Je pars de la résidence Jordan le ventre vide, aussi en centre-ville je décide m’arrêter à la première occasion.  Je retrouve par hasard, dans le seul café ouvert à cette heure, Hugo et Sarah qui prennent un petit-déjeuner. Le cyclotouriste picard est là aussi avec d’autres cyclistes. Je prends le chemin à 7H30. En sortant de la ville je cherche un peu mon chemin, car le fléchage laisse à désirer. Je suis aidé par la guide d’un groupe de marcheurs sans sacs, car assistés d’une camionnette, que je reverrai souvent au cours de la semaine. Comme hier le ciel sera couvert et menaçant, mais il ne tombera que quelques gouttes. A nouveau un temps idéal pour marcher sur un chemin relativement plat. Je marche rapidement, les 28km sont parcourus en 7h pauses comprises. En cours de route je discute avec des Bordelais (qui en fait vivent à Cambon près de Bazas), je fais une pause avec un Breton, Samuel, parti lui aussi du Puy avec une tente, un réchaud… Et qui se fait chauffer un plat, lorsque nous sommes rejoints par Sophie une Québécoise. Puis plus loin je marche et discute avec José, un Espagnol parti de Saint Jean Pied de Port que j’avais déjà croisé alors que sa poche d’eau venait de se vider dans son sac. Lui, vit très mal sa solitude, il s’arrête demain et ne repartira sur le chemin qu’avec de la compagnie. Il faut dire qu’il ne parle qu’espagnol et n’engage pas la conversation de lui-même. J’apprends qu’il vit à Madrid, qu’il est l’ingénieur technique de la mairie. Il est divorcé, avec deux filles qu’il adore, mais qui vivent avec leur mère. Le point fort de la journée sera l’église de Navarette. Pour une fois qu’une église sera ouverte et non payante, je ne serai pas déçu. Robert, l’un des trois canadiens avec qui je marche depuis Roncevaux me dit qu’elle vaut le détour. En fait elle est comme beaucoup d’églises espagnoles, surchargée de dorures. Mais quand j’y entre, je constate qu’il y a de la musique avec une chanteuse. Je me dis que c’est une bonne idée. Il me faudra, un peu de temps pour réaliser que, ce que j’ai cru être de la musique et des chants enregistrés, se passe en réalité en direct. Un homme est à l’orgue et la chanteuse avec un micro, sous une peinture représentant l’archange Saint Michel, chante en anglais. Elle a une voix magnifique, forte et cristalline. Emotion garantie, c’est de toute beauté je suis au bord des larmes. C’est véritablement un merveilleux cadeau qui nous est fait sur le chemin.

Je parcours les 12km restants le cœur léger. José mon comparse espagnol un peu déprimé rencontré plus loin, a lui aussi cru d’abord à de la musique enregistrée. Puis il a ressenti la même émotion quand il a compris que cela se passait en direct. D’autant plus qu’il voyage avec un enregistrement, sur son Smartphone, du chant qu’il a entendu et qu’il aime beaucoup. Le chemin passe maintenant au milieu des vignes de la Rioja et d’oliviers. Et aujourd’hui, bonne surprise, les bleuets alternent en nombre avec les coquelicots.  Najera, ancienne capitale de la Navarre, est comme souvent une ville qui a préservé les marques de son passé historique. L’arrivée se fait par la ville la plus récente puis, après avoir franchi la rivière qui sépare la ville en deux, on pénètre par des petites ruelles dans la ville ancienne. Je visite l’intéressant monastère de Santa Maria la Réal avec son cloitre des chevaliers et ses tombeaux.

Le midi, repas du pèlerin, seul dans un bar puis le soir dans le restaurant de la pension : La juderia. Un repas avec Hugo et Sarah au cours duquel nous avons bu une bonne bouteille de vin de La Rioja dont nous avons partagé la fin avec d’autres pèlerins. Pension à 30€ pour la chambre.

Parcouru : 28km (954km)

Le 9.06.2013 Départ à 7H20 de Najera pour Santo Domingo de la Calzada

Départ sous la pluie, je retrouve le temps d’avant la frontière. La pluie va tomber s’en arrêt jusqu’à mon arrivée à Santo Domingo de la Calzada à 12H. Le chemin est parfois boueux, parfois inondé, mais reste pour l’essentiel praticable alors que la pluie tombe dru. Contrairement à d’autres pèlerins, je ne serai pas affecté par cette pluie. Je constate que, sur le chemin, alternent douleurs et bonheurs, mais je suis privilégié car je ressens surtout du plaisir.

Une journée de marche peu intéressante à cause du temps. Il s’agit d’être vigilant par rapport à l’état du chemin pour ne pas glisser et tomber ou s’embourber. Le paysage lui-même est bouché. Je ne verrai pas les cimes enneigées aperçues la veille.

Je suis hébergé dans la belle hospéderia de l’Abbaye Cistercienne Nostra Segnora de l’Annonciacion pour 25 €. En me perdant un peu dans la ville je finis par trouver la cathédrale où se déroule la messe dominicale. Ce qui me permet de voir le coq et la poule blanche qui sont installés là, dans une niche décorée, fortement éclairée et en hauteur, depuis le célèbre épisode jacquaire « du pendu-dépendu ».  Ils resteront parfaitement tranquilles durant tout l’office et ne se manifesteront que plus tard. Dans la ville il y a une fête et sur une place il est distribué gratuitement des côtes d’agneau et du vin.

Je marche plus rapidement depuis quelques jours. Avec la pluie je me suis très peu arrêté et j’ai fait 21km en seulement 4H40. Je viens de faire ma sixème semaine de marche, tout va très bien, mes seules douleurs sont maintenant aux épaules, car j’ai maigri et je n’arrive plus à faire reposer le sac principalement sur la ceinture ventrale. Pour les pieds, mes problèmes antérieurs sont pratiquement réglés, par contre il serait bien que je trouve d’autres paires de doubles chaussettes. Car plusieurs des paires que j’utilise sont usées et cela risque de me provoquer des ampoules.

Parcouru : 21km (975km)

Si j’en crois les bornes kilométriques qui jalonnent le chemin, il ne me reste que 563km à parcourir.

Le 10.06.2013 Départ à 7H20 de Santo Domingo de la Calzada pour Bellorado

Le ciel est légèrement couvert au début. Puis il devient ensoleillé, heureusement car le chemin sans grand intérêt, suit la nationale 120. L’endroit est vallonné mais le chemin est presque plat. De même Bellorado est une ville quelconque, il s’agit d’une étape de transition. Et pourtant aux abords de la ville, nous sommes accostés par un homme en voiture qui nous offre une bouteille d’eau fraiche. Sous le prétexte de fêter l’anniversaire d’une auberge, il racole les pèlerins en espérant les héberger. J’offre la bouteille à Hugo qui est déjà arrivé et se prélasse au soleil au bord de la piscine de son auberge, située à un kilomètre du centre-ville. Plus loin des pèlerins attendent près de l’auberge municipale que celle-ci ouvre enfin. Et moi je dois encore faire près d’un kilomètre car mon hôtel est à la sortie de la ville, ce qui n’était pas indiqué dans le « miam-miam dodo ». Je passe devant une fresque murale représentant un pèlerin selon l’imagerie classique. J’arrive à 13h, c’est-à-dire après les rituels pèlerins de la douche et de la lessive à la main du linge trempé de sueur de la journée, juste à temps pour passer à table. Dans cette situation l’horaire tardif des repas en Espagne s’avère judicieux.

Dans cet hôtel, malgré les mines patibulaires des serveurs et du patron, j’ai reçu une bonne prestation, pour les repas et le petit déjeuner. C’est dommage qu’il n’y ait pas un guide avec des appréciations type Guide du Routard. Le « miam-miam dodo » ne donne presqu’aucune indication concernant les restaurants et le Guide Rando indique quelques adresses sans commentaires qualitatifs, ni indication de l’emplacement. Par chance j’étais à la sortie de Bellorado et non à l’entrée, la différence qui est de 2km est sensible pour un marcheur (1/2 heure). Les commentaires, même très subjectifs, du Routard permettaient de guider le choix. D’ailleurs, comme ces guides ne servent qu’à se faire une idée du chemin tellement il est bien balisé, une partie plus qualitative sur l’hébergement et la nourriture serait bienvenue.

Parcouru 24km (999km)

Alors que nous sommes plusieurs pèlerins de toutes nationalités, attablés en terrasse d’un café sur la plazza major, une bourrasque de vent emporte les parasols. Pour l’instant, je n’ai rencontré qu’un seul pèlerin (Philippe) qui vient comme moi du chemin de Tours. Quelques-uns ont fait le chemin de Vézelay, surtout des Belges et des Hollandais, ceux qui viennent du Puy sont plus nombreux, mais la majorité a démarré de Saint Jean Pied de Port. La plupart des Français viennent pour une semaine ou deux, et sont nombreux à se faire porter  les sacs. Pour l’instant je n’ai pas encore revu, depuis leur séparation, les trois pèlerins partis du Puy que j’ai rencontré à Ostabat puis pendant la première semaine en Espagne.

Etrangement beaucoup de pèlerins, qui font le chemin en plusieurs séquences, commencent par la fin, ce qui ne me parait pas logique.

J’ai fait 24km en 5H40, je trouve que je vais vite, même si je suis nettement plus lent que de nombreux pèlerins. Par exemple Hugo, que je surnomme « Bip,Bip » n’a mis que 4 heures.

Le 11.06.2013 Départ à 7H20 de Bellorado pour San Juan de Ortega

Encore une étape sans grandes difficultés, avec un passage bien agréable dans une forêt de chênes rabougris puis de sapins. Un peu de vent rafraîchit cette journée ensoleillée. Je fais connaissance d’Aurora une franco-espagnole dont le mari est décédé l’an dernier. C’est une belle femme aux cheveux droits très noirs, bronzée, toujours élégante. Au fil des mois, elle navigue entre la France et l’Espagne. D’abord le Périgord, où elle a une grande maison familiale, en partie transformée en gite. Puis Salamanque, dans sa région d’origine, où elle a tenu des magasins de décoration.  Enfin, Paris où vivent son fils, sa fille et ses petits-enfants. Nous passons près d’un ancien charnier où les troupes de Franco avaient enterrés des dizaines de républicains qu’ils venaient de tuer.  A l’arrivée vers 13H, nous croisons un groupe de chevaux avec deux poulains d’environ 15 jours. Le village est minuscule avec un seul bar, qui ne sert pas de menu du pèlerin, mais un choix limité de plats simplifiés à l’extrême. Il n’y pas de possibilité de faire des courses et pas de petit déjeuner avant 8H. L’hébergement dans la Casa Rurale « La Henera » est d’un très bon niveau pour 40€. Par contre l’église de San juan de Ortega est, elle très fréquentée. Arrivent deux  cars  de tourisme et ce soir-là il y aura trois messes successives : une messe en plein air pour un groupe de touristes Allemands, une messe dans l’église pour un groupe de touristes Français et enfin l’habituelle messe en Espagnol avec une bénédiction en Allemand, en Français, en Anglais et en Espagnol, pour les pèlerins hébergés sur place. Nous serons d’ailleurs un peu moins nombreux que prévu car une rumeur infondée, prétendait qu’il n’y avait que peu de places. Et que beaucoup seraient obligés de coucher sur des matelas par terre, dans des bâtiments anciens et donc humides. Aussi plusieurs pèlerins ont décidé d’aller jusqu’au prochain village situé à 4km.

Parcouru : 24km (1023km)

Le 12.06.2013 Départ à 6H50 de San Juan de Ortega pour Burgos

Départ très matinal, car le petit déjeuner ne pourra être pris que dans 4km à Agés. Il y a deux cafés ouverts, dans celui où je m’arrête la dame qui fait le service « tire la tronche » car elle est débordée. Mais elle finira par me faire une grosse bise sur le front. Elle ne parle qu’espagnol et je lui ai servi de traducteur auprès d’un pèlerin nord-américain, qui insistait pour avoir des œufs au bacon, alors qu’elle n’avait plus de bacon. A mon départ, après une centaine de mètres parcourus, j’ai dû revenir en arrière parce que j’avais oublié mes bâtons de marche, c’était cocasse car, à peine 10 minutes auparavant, je m’étais moqué gentiment d’un sud-coréen à qui il était arrivé la même chose.

Plus loin, j’aperçois Burgos à l’horizon. La marche vers la ville va s’avérer facile, y compris les 8kms d’accès par l’aéroport, la zone industrielle et commerciale, puis dans les faubourgs. Portion, pour laquelle il m’avait été dit qu’il était préférable de prendre le bus. D’autres ont choisi d’aller par un chemin plus agréable, car il longe le fleuve, mais il  rallonge le trajet de trois kilomètres. En fait le temps est au beau fixe, les rues sont très larges, ce n’est pas désagréable du tout. Mieux, cela me permettra de rencontrer une première fois Alain et son âne Pompon qui viennent d’Alsace.

Dans Burgos, une Québécoise qui marche devant moi et repère mieux les flèches, m’évite de perdre le chemin à deux occasions de suite. Elle ne veut pas s’arrêter dans la ville, il est trop tôt pour elle qui ne réserve jamais et avance en fonction de son humeur. Je la laisse lorsqu’elle entre dans une bonne pâtisserie.

J’arrive à l’hôtel Norte y Londres (52,60€ avec petit déjeuner) en plein centre-ville à 13H05 soit 27km effectués en 6H15.

J’apprécie beaucoup Burgos qui est une belle ville. Pour ses rues anciennes, ses nombreuses places et surtout sa monumentale cathédrale. Elle est spectaculaire avec ses multiples clochers et ses différents bâtis imbriqués les uns dans les autres. A côté, il faut aussi franchir la porte santa Maria avec ses sculptures et profiter des allées ombragées sur les berges du rio Arlazon. Comme il y a de nombreux magasins je cherche, mais en vain, des doubles chaussettes.  Il faut se rendre à l’évidence, les espagnols pourtant très nombreux à faire le chemin, ne connaissent pas cet accessoire indispensable, qui m’évite les ampoules. Je continuerai avec mes chaussettes usées. Je dine avec Hugo et Sarah avant une séparation de plusieurs jours car ils doivent ralentir pour soigner leurs pieds et jambes.

Parcouru : 27km (1050km)

Aujourd’hui, j’ai effectué plus des deux tiers du chemin il ne me reste que 500km à parcourir, une étape  importante est franchie, je suis heureux.

Le 13.06.2013 Départ à 7H30 de Burgos pour Hornillos del Camino

Depuis quelques jours, je vois des cigognes. Elles ont colonisé avec leurs immenses nids les toitures des églises et de nombreux …
à suivre