La vie est ici, maintenant

9 décembre 2013,

par Alain Hervé

Fresque dans la Cathédrale de la Chaise-Dieu

Fresque dans la Cathédrale de la Chaise-Dieu

C’est un banal sujet de réflexion que de considérer notre appréciation du passé, du présent et de l’avenir. Et pourtant nous ne savons pas très bien où nous nous tenons. Nous naviguons entre des moments de réminiscence et de nostalgie pour le passé, d’espoir, d’illusion et d’angoisse pour l’avenir.

La perception du présent nécessite davantage de sang-froid. Est-ce bien moi qui  regarde la stupéfiante immobilité de l’arbre devant ma fenêtre ? Un robinier immense, qui lui en a vu d’autres. Pas une feuille ne bouge. Où est parti le vent ?

Le présent est instantanément contaminé de passé par nos connaissances et de craintes pour l’avenir.

Et pourtant, quoi de plus beau que le présent ? Le présent c’est de la vie émergente, l’eau jaillissant de la source. Le présent est stupéfiant de présence.

C’est un éclair de vie, une foudre de vie, une explosion orgasmique…

On devrait en rester commotionné, ahuri. On devrait hurler « présent ». Jouir de la stupéfaction d’exister, de respirer, de voir ce robinier, d’entendre l’immobilité de ses milliers de feuilles… Et le monde autour. Notre monde bizarre, qui vit sous nos yeux. Ce présent c’est la vie. Le présent c’est la vie.

Mais on voudrait nous faire croire que le présent c’est autre chose. Rien à voir avec la vie. La vie ils s’en foutent. Pour nous faire oublier le présent vivant, ils hystérisent l’avenir. Ils ont inventé un gigantesque leurre pour oublier la Vie. Ils ont inventé la Croissance. Ils lui vouent un culte.

Ils brûlent des bougies devant ses autels, et devant ses saints : Saint Plein emploi, devant Sainte Trente Glorieuses, devant Sainte Consommation,  devant Sainte Finance, martyre et pas vierge, devant Sainte Economie, devant Saint On ne sait pas où l’on va mais on y va vite…

Tandis que l’on chasse les hideux démons de la Sobriété, de l’indigeste Lenteur, de l’abominable Malthusianisme, de la minable Simplicité, du démodé Art de vivre, de la peureuse Précaution…

L’écologie gêne, encombre le jardin à la française de la politique française. Ce sont les herbes folles qui bousculent le gazon tondu.

Rousseau ne connaissait pas le mot écologie et s’il l’avait connu il ne l’aurait pas employé. Le mot écologie range la nature dans le placard aseptisé des sciences.

C’est un des lieux communs les plus persistants de prétendre que l’écologie politique est un enfant de Mai 68.

Nenni . Aucun des leaders du mouvement étudiant ne connaissait seulement le mot écologie. A commencer par Daniel Cohn Bendit. Pour une simple raison : le mot n’avait encore pas d’autre sens que celui d’être une discipline confidentielle des Sciences Naturelles.

Quatre ans plus tard, en 1973, lorsque nous avons publié le numéro spécial du Nouvel Observateur intitulé « La dernière chance de la Terre », nous avons hésité à utiliser le mot écologie, car de nombreux membres de la rédaction en ignoraient le nouveau sens.

Quarante ans sont passés et on constate que la politique en France, qu’elle soit de droite ou de gauche n’a toujours pas digéré l’Ecologie.  Tout au plus se barbouille t-on en vert du camion poubelle au député. L’obstacle reste l’impossibilité de concevoir une trajectoire sociale qui ne soit pas anthropocentrique. Ou qui ne vise pas la sacro sainte croissance. La croissance à beau mourir d’elle même  sous nos yeux et sans que l’on ait pris la moindre mesure pour l’assumer, on continue de viser une cible qui s’éloigne de nous. Nos élites athées pratiquent une nouvelle religion. Ils rendent un culte obscurantiste à la croissance.

On refuse d’admettre que toutes les ressources naturelles sont en voie de raréfaction. On continue de prétendre ignorer que nos terres, notre eau, notre air sont dramatiquement pollués. On continue de spéculer sur des innovations scientifiques miraculeuses.

Les dénonciateurs du catastrophisme flattent un auditoire qui demande désespérément à être rassuré. Il faut prétendre que l’âge d’or de la surconsommation va se poursuivre.

Souriez on vous photographie.

Alain Hervé