Les végétariens de la République revendiquent leurs droits

9 décembre 2013,

Nous donnons ici la parole aux végétariens, nous donnerons ensuite la parole à leurs opposants. Il nous semble que les arguments des végétariens, que nous Sauvages sommes peu ou prou, méritent une attention particulière eu égard au regard neuf que nous portons sur les animaux, sur leurs conditions concentrationnaires d’élevage, sur leur abattage industriel. Le Sauvage

par  Frédérique Courtin & Michel TarrierUnknown

Le droit, la loi

Le droit international définit une minorité comme  un groupement de personnes liées entre elles par des affinités religieuses, linguistiques, culturelles, ethniques, politiques, englobées dans une population plus importante, comme celle d’un État. Le droit des minorités est reconnu et décrit dans diverses chartes ou déclarations internationales selon les recommandations d’instances comme l’ONU et l’UNESCO. Il n’en reste pas moins que les minorités sont surreprésentées dans les prisons du monde, c’est tout dire.

Dans son article 9-1 (liberté de pensée, de conscience et de religion), la Convention européenne des droits de l’homme précise que : “Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites”. Et dans l’article 14 (interdiction de discrimination) : “La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation”.

Sous la dénomination de minorité culturelle, on peut distinguer celle alimentaire des citoyens “qui ne mangent pas comme tout le monde…”, et ce, pour des raisons de convictions de tous ordres, notamment par empathie pour les animaux, voire aussi de santé. Isolés, marginalisés faute d’être fédérés, ce qui importe aux végétariens est d’abjurer la cruauté et de tendre à un respect global de la vie pouvant s’inspirer de ce précepte attribué à Hippocrate : “primum non nocere”, qui se traduit par : “d’abord, ne pas nuire”.

À la base de ce choix, il y a certes la notion éthique qui prend une large place dans la décision de changer son alimentation, mais il s’agit aussi d’une option diététique pour une meilleure santé mentale et physique puisqu’on ne cesse de répéter que la consommation de viande animale est nocive à la santé, et ce, d’autant plus qu’on est prisonnier d’une vie sédentaire, trop peu mobile.

Disparité vs altérité

Des repas halal (et sans porc) sont de plus en plus servis aux musulmans dans les cantines des écoles et des collectivités, dans les prisons, dans les hôpitaux, et si cette prestation ressemble à une normalité, c’est tout de même le résultat d’une complaisante dérogation. S’il est démocratiquement logique que les musulmans aient accès à leur mode alimentaire, c’est tout de même en contradiction avec la loi française interdisant l’abattage avec souffrance car sans étourdissement préalable. Mais ce qui n’est vraiment pas admissible, c’est que dans ces mêmes collectivités des repas sans viande ni aucun produit carné n’y soient proposés et disponibles sur un même mode, avec un pareil respect de l’autre. La demande est simple et ne demande aucune entorse à aucune législation. Il est absolument illégal d’imposer dans les cantines scolaires un menu omnivore à des enfants de familles végétariennes alors que d’autres bénéficient, par exemple, d’un régime sans porc. Il y a pour le moins deux poids, deux mesures. À moins qu’il faille entendre que dans une république laïque il ne peut y avoir éthique sans religion ?

Et il n’est pas évident pour un végétarien ou végétalien en voyage de trouver un restaurant affichant au moins un vrai plat végé. Il n’est pas, non plus, très plaisant qu’à la formulation de sa demande de menu sans viande, il lui faille chaque fois s’entendre répliquer par le serveur ébahi et sur un ton trop souvent narquois : “Ah bon ! Alors vous prendrez du poulet, du poisson ? Ou alors juste la petite salade de l’entrée et une omelette…?” Faute d’un minimum de culture ou d’ouverture d’esprit, le personnel de la restauration estime que volaille et poisson sont des végétaux et regardent l’objecteur de bidoche comme un extraterrestre. Compte tenu de l’empreinte écologique démesurée de la production carnée, il parait aberrant qu’aucun  Grenelle de l’environnement n’ait promulgué l’obligation d’un menu végétarien alternatif au cahier des charges du secteur de la restauration. Même observation au niveau de la santé publique alors que le discours des nutritionnistes et du secteur médical contre les hauts risques de l’abus de viande et des charcuteries est ultra médiatisé. L’indifférence, voire le dédain à l’égard de la demande végétarienne sont partout les mêmes, y compris dans les établissements des plus grandes chaînes franchisées couvrant le territoire. Comme si sans viande, tout repas, voire toute gastronomie devenaient mission impossible. Et le client non carniste n’a pas toujours et partout l’opportunité de se réfugier dans un restaurants végé, tel un pestiféré.

Il est donc clair que la personne qui entend s’abstenir du régime omnivore est méprisée ou compte pour du beurre (végétal !), alors qu’elle représente en France presque deux millions de citoyens, mieux nommés écocitoyens. Les chasseurs, tendance pour le moins inverse puisque prédateurs armés, sont représentés par un moindre effectif d’un petit million de personnes mais jouissent de tous les droits, y compris de celui d’empêcher quiconque de se promener en forêt durant des mois. Les chasseurs représentent un potentiel électoral, mais les végétariens votent aussi !

La foi en la vie

Le végétarisme est une pratique alimentaire dont la raison d’être principielle est le respect des autres formes animales de vie et le refus du principe de l’exploitation des animaux considérés comme des amis. Mais cette non-consommation de chair peut être inspirée par d’autres motivations, comme diététiques ou spirituelles pour ce qui concerne certaines religions, notamment l’hindouisme et ses confessions affines. Certaines personnes en sont venues à adopter le régime végétarien en réaction aux méthodes d’élevage, d’abattage, de traçabilité, d’autres comme approche critique aux modes de production, à la disparité de l’accès aux denrées alimentaires ou par solidarité humanitaire et environnementale.

Entre :
– Ovo-lacto végétarien, dit couramment végétarien (dénommé pythagoréen jusqu’au XVIIIème siècle en référence à la pratique alimentaire du philosophe présocratique du même nom), incluant les œufs et les produits laitiers ;
– Lacto-végétarien ou végétarisme indien acceptant les produits laitiers mais excluant les œufs ;
– Pescotarien (ou pescetariste) qui implique le poisson et les fruits de mer ;
– Flexitariste ou semi-végétariste, dont le végétarisme est à temps partiel, un jour oui, un jour non ;
– Voire régime paléolithique, reposant sur le principe de s’alimenter spontanément, de façon naturelle à l’image de nos ancêtres de l’Âge de pierre, avec des fruits, des légumes faibles en amidon, des champignons, ainsi que toutes les noix et les graines, et accidentellement de la viande ;
– Et enfin le végétalien, régime prôné par le Jaïnisme, qui exclu tous les aliments d’origine animale, jusqu’au miel, la gélatine et la présure ;
– Et l’atteinte d’une perfection par le véganisme, vraie philosophie et style de vie, qui ne mange ni utilise les produits ayant une quelconque relation avec le règne animal ou ayant impliqué des animaux  (produits d’hygiène, fourrure, cuir…).

L’omnivore néophyte a de quoi s’emmêler les fourchettes mais surtout mettre un peu sa conscience à l’épreuve. On peut encore citer d’autres régimes alimentaires plus stricts, comme le crudivorisme ou alimentation végétale vivante (ne pas chauffer la nourriture à plus de 48 °C), ainsi que le frugivorisme (ou fruitarisme) dont la consommation d’aliments strictement d’origine végétale, crus et entiers, est gage de santé mais strictement soumise à la cueillette sans menacer l’arbre ou la plante, rejetant donc les tubercules.

La diaspora végé

Excessivement minoritaire en France en dépit d’une relative conscience écologique et nutritionnelle, laquelle est néanmoins polluée par la lourdeur des traditions spécistes et carnivores des terroirs, l’estimation des citoyens végétariens au sens large est d’un peu moins de 2 millions de personnes, soit de quelque 2 % de la population. Cette pratique alimentaire était plus populaire au Moyen Âge, du moins en France méridionale, en raison du catharisme qui faisait abstinence de viande, lequel mouvement hérétique fut vite combattu, il va sans dire, par la Croisade catholique et l’Inquisition à l’encontre des Albigeois.

En Europe, ce sont les Allemands et les Italiens qui font montre du plus d’intérêt pour le végétarisme et ses modes associés, avec respectivement 8 et 6 millions de consommateurs déclarés. 25 millions de végéta*iens  honorent les États-Unis et au Moyen-Orient c’est Israël qui en regroupe le plus grand nombre, avec plus de 8 % de la population.

L’Inde est évidemment le pays où le végétarisme est le plus pratiqué puisqu’il s’agit d’un héritage spirituel. 40 % de la population est concernée, soit presque 500 millions d’adeptes inconditionnels du végétarisme indien qui exclue les œufs. Les Indiens qui mangent de la viande ne s’y adonnent néanmoins que très rarement et il existe moins de 30 % de consommateurs réguliers. Les femmes indiennes sont plus nombreuses que les hommes à être végétariennes, ce qui n’étonnera personne quand il s’agit d’attitude respectueuse. L’État du Gujarat est le plus concerné puisque 80 % des Indiens sont concernés par cette éthique. Dans le monde, la grande majorité des villes végétariennes par la loi se situent en Inde et il s’agit des cités saintes de l’hindouisme et du jaïnisme. La vente et la consommation de viande et de produits carnés y sont strictement interdites, tout comme est prohibée la présence d’abattoirs. En raison de la tradition religieuse de non-consommation des animaux, il existe en Inde un judicieux label permettant le distinguo immédiat et sans équivoque des produits végétariens de ceux qui ne le sont pas pour contenir une dose, aussi infime soit-elle, de produit issu de viande, de poisson ou d’œuf. Un point rouge dans un carré rouge indique la présence d’ingrédient carné, tandis qu’un point vert dans un carré vert signale que le produit en est indemne. Même signalétique pour les médicaments. Par respect pratique et politique du choix éthique ou sanitaire du consommateur, il ne serait pas abusif d’envisager le recours mondial d’un tel signalement dans la distribution alimentaire.

La population mondiale végé est donc actuellement une importante communauté de 600 millions de personnes dispersées en diaspora puisque sans état-nation et dont la vie n’est pas du tout facile, ni facilitée. Faute d’une Terre promise, certains états de l’Inde peuvent tenir lieu de terre d’accueil.

Besoin de reconnaissance

Faute d’être entendus ou au moins reconnus, sur la même longueur d’ondes que les amis des animaux, les habitants de la planète végé ont décidé de se fédérer dans un mouvement qui se nomme “all-apologies” et qui leur sert d’étendard pour clamer à l’unisson leur légitime requête. Il s’agit de conquérir la visibilité et le respect auxquels ils ont tout autant droit que d’autres. La requête porte aussi l’écho de la maltraitance animale et la mise en question du spécisme qui fait que des espèces plutôt que d’autres sont estimées comestibles, alors qu’aucun animal ne devrait ni être esclavagé, ni finir dans un plat.

Pour être reconnus, ces résistants au dogme omnivore  portent un écusson qui identifie leur lutte commune. Le député européen Yves Cochet et quelques autres n’y sont pas insensibles. Mais en politisant leur conviction, n’y a-t-il pas risque de radicalisation ? Ils répondent par l’étymologie du vocable “radical”, soit radicalis, dérivé du latin radix (racine), en bon français dans le texte : absolu, efficace. S’il y a intolérance, c’est envers eux qu’elle se manifeste.

Cette pacifique insurrection est aussi une réponse à une fronde de végéphobie dont ils sont victimes. En dépit de la liste infinie de personnages historiques de tous pays, de tous bords et de toutes disciplines qui leur servent de référence depuis 2500 années, de Pythagore à Bill Clinton, et encore tout récemment avec Al Gore “converti” au végétarisme par souci pour la planète, ceux qui abjurent la viande reçoivent l’anathème à chaque coin de rue, se faisant traiter de tous les noms d’oiseaux : ayatollah, khmer vert, éconazi, écoterroriste, sectaire… Tout ça pour avoir pris la sage décision de se faire les porte-paroles des sans-voix dans une société aux valeurs inversées.

Même quand elle se montre bon enfant, la plaisanterie végéphobe et répétitive devient lourde. Cette mise au ban de la société en tant qu’objet de curiosité est pour le moins insupportable et inadmissible. Le phénomène n’est pas sans rappeler le temps où racisme et sexisme jouissaient d’une certaine complaisance. Comble du paradoxe, il n’y a pas si longtemps, c’était même le fumeur passif qui dérangeait… “Excusez-moi de ne pas fumer”, était sa répartie. Les choses ont changé et se sont inversées au profit de l’anti-tabagisme. Le végétarien, lui, doit continuer sans répit à justifier son option. On l’interpelle sur la normalité alimentaire des origines, à savoir si le régime herbivore (non ruminant !) peut figurer dans les canons de la société, sur les tendances omnivores de Mr et Mme Cro -Magnon ou Neanderthal auxquelles, des millions d’années plus tard, il faudrait encore se conformer, jusqu’à insinuer que les Bonobos ne rechignent pas devant un bout de charogne… Et alors ? Tout ça avec l’argument d’une autre demande que celle d’un steak ? Comme s’il fallait encore faire montre d’homophobie en insinuant que la norme est hétéro, ou de racisme anti-Blanc en argumentant que notre peau originelle était noire. Pour couper court, il est finalement plus simple de faire valoir un motif nombriliste qu’éthique, tel celui de la santé et d’une ordonnance médicale prohibant toute protéine animale. L’incompréhension tenace, voir l’intolérance envers le végétarisme n’est pas dépourvu d’analogie avec celle  qui sévissait il y a une génération à l’encontre de la non-violence. Le pacifiste objecteur de conscience d’antan avait tout intérêt à arguer en faveur d’un état pathologique pour ne pas accomplir son service militaire, et non son appartenance aux citoyens de la Terre.

Les consommateurs qui refusent la viande n’ont pas à être discriminés et il est urgent de pénaliser la végéphobie, au même titre que l’est l’homophobie, l’antisémitisme et le racisme.

Alors, le végétarien devra-il continuer, à table, de s’excuser de ne pas dévorer de la chair animale ? Va-t-on encore longtemps le railler avec le cri de la carotte ? Après tout, le cri de la carotte n’est rien à côté du hurlement de l’animal égorgé. Et puisqu’il faut manger pour vivre, mieux vaut avoir les mains tachées de sève que de sang. Y compris pour le bien de la planète et d’un devenir moins compromis.

Frédérique Courtin & Michel Tarrier

Éthique, revendication, (r)évolution :
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