WARNING

14 novembre 2017,

Oliver Day, Oregon State University

L’alerte des scientifiques du monde à l’humanité: un deuxième avis

par William J. Ripple, Christopher Wolf, Mauro Galetti, Thomas M Newsome, Mohammed Alamgir, Eileen Crist, Mahmoud I. Mahmoud, William F. Laurance. Et 15 324 signataires de 184 pays (La liste complète des signataires peut être trouvée dans le fichier supplémentaire S2)
Il y a vingt-cinq ans, l’Union of Concerned Scientists et plus de 1500 scientifiques indépendants, y compris la majorité des lauréats du prix Nobel dans les sciences, ont écrit l’Avertissement des scientifiques du monde à l’humanité, de 1992 (voir le Fichier Supplémentaire S1). Ces professionnels concernés ont appelé l’humanité à réduire la destruction de l’environnement et ont insisté qu’”un changement radical dans notre intendance de la Terre et de la vie sur elle s’avère nécessaire pour éviter la misère humaine à grande échelle”. Dans leur manifeste, ils ont montré que les humains étaient sur un cours de collision avec le monde naturel. Ils se sont dits préoccupés par les dommages actuels, imminents ou potentiels sur la planète Terre impliquant l’appauvrissement de l’ozone, la disponibilité en eau douce, les effondrements de la pêche marine, les zones mortes de l’océan, la perte de forêt, la destruction de la biodiversité, le changement climatique et la croissance continue de la population humaine. Ils ont proclamé que des changements fondamentaux étaient nécessaires de toute urgence pour éviter les conséquences que notre cours actuel apporterait.
Les auteurs de la déclaration de 1992 craignaient que l’humanité poussât les écosystèmes terrestres au-delà de leurs capacités à soutenir la toile de la vie. Ils ont décrit comment nous approchons rapidement plusieurs des limites de ce que la planète peut tolérer sans dommage substantiel et irréversible. Les scientifiques ont plaidé pour la stabilisation de la population humaine, en décrivant comment notre nombre important – gonflé par 2 milliards de personnes supplémentaires depuis 1992, une augmentation de 35% – exerce des tensions sur Terre qui peuvent annuler d’autres efforts pour réaliser un avenir durable (Crist et al., 2017 ). Ils ont imploré de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES), d’éliminer les combustibles fossiles, de réduire la déforestation et d’inverser la tendance à l’effondrement de la biodiversité.
À l’occasion du 25e anniversaire de leur appel, nous lançons un regard retrospectif sur cet avertissement afin d’en évaluer la réponse humaine, tout en explorant les données disponibles en séries chronologiques. Depuis 1992, à l’exception de la stabilisation de la couche d’ozone stratosphérique, l’humanité n’a pas réussi à faire des progrès suffisants dans la résolution générale de ces défis environnementaux prévus et, de façon alarmante, la plupart d’entre eux deviennent bien pires (figure 1, Fichier Supplémentaire S1). Particulièrement troublant est la trajectoire actuelle du changement climatique potentiellement catastrophique en raison de la hausse des GES poussée par la combustion des combustibles fossiles (Hansen et al., 2013), la déforestation (Keenan et al., 2015) et la production agricole – en particulier des ruminants pour la consommation de viande (Ripple et al. 2014). En outre, nous avons déchaîné un événement d’extinction de masse, le sixième en environ 540 millions d’années, où de nombreuses formes de vie actuelles pourraient être anéanties ou au moins condamnées à l’extinction d’ici la fin de ce siècle. 18

L’humanité reçoit maintenant un deuxième avis, comme le montrent ces tendances alarmantes (figure 1).

Nous mettons en péril notre avenir en ne résistant pas à notre consommation matérielle intense, quoique géographiquement et démographiquement inégale, et en ne prenant pas conscience de la croissance rapide et continue de la population en tant que principal moteur de nombreuses menaces écologiques et même sociales (Crist et al., 2017). Faute de limiter adéquatement la croissance de la population, réévaluer le rôle d’une économie enracinée dans la croissance, réduire les gaz à effet de serre, inciter les énergies renouvelables, protéger l’habitat, restaurer les écosystèmes, mettre fin à la défaunation et contraindre les espèces exotiques envahissantes, l’humanité ne prend pas les mesures urgentes nécessaires à sauvegarder notre biosphère en péril.
Étant donné que la plupart des dirigeants politiques répondent à la pression, les scientifiques, les influenceurs des médias et les citoyens en général doivent insister pour que leurs gouvernements prennent des mesures immédiates, comme un impératif moral pour les générations actuelles et futures de la vie humaine et des autres espèces. Avec une vague d’efforts populaires et organisés, l’opposition obstinée peut être vaincue et les dirigeants politiques forcés de faire le bon choix. Il est également temps de réexaminer et de modifier nos comportements individuels, y compris en limitant notre propre reproduction (idéalement au niveau de remplacement au plus) et en diminuant drastiquement notre consommation par habitant de combustibles fossiles, de viande et d’autres ressources.
Le déclin mondial rapide des substances appauvrissant la couche d’ozone montre que nous pouvons faire des changements positifs lorsque nous agissons de manière décisive. Nous avons également fait des progrès dans la réduction de la pauvreté extrême et de la faim. D’autres progrès remarquables (qui ne se présentent pas encore dans les ensembles de données globales de la figure 1) comprennent: la baisse rapide des taux de fécondité dans de nombreuses régions, attribuable aux investissements dans l’éducation des filles et des femmes, le déclin prometteur du taux de déforestation dans certaines régions et la croissance rapide du secteur des énergies renouvelables. Nous avons beaucoup appris depuis 1992, mais l’avancement des changements urgents de la politique environnementale, du comportement humain et des inégalités mondiales est encore loin d’être suffisant.
Les transitions vers le développement durable se déroulent de manières diverses et exigent toujours une pression de la société civile et un plaidoyer fondé sur des preuves, un leadership politique et une compréhension solide des instruments politiques, des marchés et d’autres facteurs. Des exemples d’étapes diverses et efficaces que l’humanité peut prendre pour passer au développement durable comprennent (pas dans l’ordre d’importance ou d’urgence):
• prioriser la mise en place de réserves connectées, bien financées et bien gérées, pour une proportion significative des habitats terrestres, marins, d’eau douce et aériens dans le monde;
• maintenir les services écosystémiques de la nature en arrêtant la destruction des forêts, des prairies et d’autres habitats naturels;
• restaurer les communautés de plantes à grande échelle, en particulier les paysages forestiers; 19

• re-naturaliser des régions avec des espèces natives, en particulier des prédateurs apex, pour rétablir les processus et la dynamique écologiques;
• élaborer et adopter des instruments politiques adéquats pour remédier à la disparition de la faune, au braconnage et à l’exploitation et au trafic d’espèces menacées;
• réduire le gaspillage alimentaire grâce à l’éducation et à une meilleure infrastructure;
• promouvoir des changements alimentaires vers surtout des aliments à base de plantes;
• réduire davantage les taux de fécondité en veillant à ce que les femmes et les hommes aient accès à l’éducation et aux services volontaires de planification familiale, en particulier là où ces ressources manquent encore;
• renforcer l’éducation en plein air pour les enfants ainsi que l’engagement global de la société dans l’appréciation de la nature;
• réorienter les investissements financiers et diminuer la consommation pour encourager des changements environnementaux positifs;
• concevoir et promouvoir de nouvelles technologies vertes et adopter de manière massive des sources d’énergie renouvelables, tout en supprimant progressivement les subventions à la production d’énergie par des combustibles fossiles;
• réviser notre économie pour réduire les inégalités et veiller à ce que les prix, la fiscalité et les systèmes incitatifs tiennent compte des coûts réels que les modes de consommation imposent à notre environnement; et
• estimer une taille de population humaine scientifiquement défendable et durable à long terme tout en rassemblant les nations et les dirigeants pour soutenir cet objectif vital.
Pour éviter une misère généralisée et une perte de biodiversité catastrophique, l’humanité doit adopter des pratiques alternatives plus durables sur le plan environnemental que les modalités actuelles. Cette prescription a été bien formulée par les plus grands scientifiques du monde il y a 25 ans, mais, à bien des égards, nous n’avons pas tenu compte de leur avertissement. Bientôt, il sera trop tard pour dévier de notre trajectoire défaillante, et le temps s’épuise. Nous devons reconnaître, dans notre vie quotidienne et dans nos institutions gouvernementales, que la Terre avec toute sa vie est notre seul foyer.
Remerciements
Peter Frumhoff et Doug Boucher, de l’Union of Concerned Scientists, ainsi que les personnes suivantes ont enrichi cet article par des discussions productives, commentaires ou des données: Stuart Pimm, David Johns, David Pengelley, Guillaume Chapron, Steve Montzka, Robert Diaz, Drik Zeller, Gary Gibson, Leslie Green, Nick Houtman, Peter Stoel, Karen Josephson, Robin Comforto, Terralyn Vandetta, Luke Painter, Rodolfo Dirzo, Guy Peer, Peter Haswell e Robert Johnson. 20

Références citées
– Crist E, Mora C, Engelman R. 2017. The interaction of human population, food production, and biodiversity protection. Science 356: 260–264.
– Hansen J, et al. 2013. Assessing “dangerous climate change”: Required reduction of carbon emissions to protect young people, future generations and nature. PLOS ONE 8: e81648.
– Keenan, RJ, Reams GA, Achard F, de Freitas JV, Grainger A, Lindquist E. 2015. Dynamics of global forest area: results from the FAO Global Forest Resources Assessment 2015. Forest Ecology and Management, 352: 9–20.
– Ripple WJ, Smith P, Haberl H, Montzka SA, McAlpine C, Boucher DH. 2014. Ruminants, climate change and climate policy. Nature Climate Change 4: 2–5. doi:10.1038/nclimate2081

William J. Ripple (bill.ripple@oregonstate.edu), Christopher Wolf et Thomas M. Newsome sont attachés au Global Trophic Cascades Program, Department of Forest Ecosystems and Society, à l’Oregon State University, Corvallis. TMN aussi est attaché au Centre for Integrative Ecology, de la School of Life and Environmental Sciences, à la Deakin University, Geelong, Australie. Mauro Galetti est attaché à l’Instituto de Biociências, de l’Universidade Estadual Paulista, Departamento de Ecologia, São Paulo, Brésil. Mohammed Alamgiris est attaché à l’Institute of Forestry and Environmental Sciences, à l’University of Chittagong, Bangladesh. Eileen Crist est attaché au Department of Science and Technology in Society, de la Virginia Tech, Blacksburg. Mahmoud I. Mahmoud est attaché à l’ICT/Geographic Information Systems Unit of the National Oil Spill Detection and Response Agency (NOSDRA), en Abuja, Nigéria. William F. Laurance est attaché au Centre for Tropical Environmental and Sustainability Science and the College of Science and Engineering, à la James Cook University, Cairns, Queensland, Australie.