Besoin de Toits

2 juin 2019,

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Pour que le Foyer Notre Dame d’Aiacciu garde sa vocation par Jean-François Bernardini

En annonçant l’utilisation du Foyer Notre-Dame d’Aiacciu aux fins de nouveaux bureaux, la CDC (Cullettivita di Corsica) a provoqué une indignation salutaire. Je suis convaincu qu’elle a ainsi voulu diriger nos regards sur une question qui est au coeur de nos sociétés.

La CDC doit être en cela remerciée. Personne n’en doute, elle a dû depuis imaginer une autre solution pour installer les nouveaux bureaux dont elle a besoin. Vu le champ de bataille immobilier qu’est devenue l’entrée d’Aiacciu, je ne doute pas un seul instant que l’on puisse y trouver des surfaces à usage de bureaux.

Dans mon enfance, il y avait au coeur de mon village une maison au fronton de laquelle était gravé dans la pierre : « Casa di i povari » – Maison des pauvres.

Elle n’était pas une exception. La Corse entière est parsemée de ces joyaux d’humanitude. Ils sont le signe de notre intelligence dans la vie commune, un héritage venu de loin, cette assurance morale, cette conviction qu’il y a ici une place pour chacun.

U Signore hà fattu à tutti, dicenu induve noi, et le Foyer Notre-Dame en est une des plus belles illustrations.

C’est cela l’honneur de la Corse. « Je vais mieux quand tout le monde va mieux ». Il y a là une grande intelligence sociale et politique. C’est bien pour cela que nous chantons…  « per tutti i tribbulati, pé tutti i scunsulati… »

Laissez moi donc en cette occasion soupçonner chacun des meilleures intentions, désireux d’entendre la volonté citoyenne, car cette cause qui mérite notre vigilance et notre détermination en vaut la peine.

Non, élus de la CDC, ce n’est pas vous les méchants. Personne ne veut le mal. Mais la systémique avance.

La « méchanceté » se trouve dans une logique pernicieuse qui produit en masse pauvreté, exclusion et vulnérabilité. Au nom de la loi du marché, elle prétend nous dicter ses impératifs.

Si au centre de mon village comme au centre de nos villes, ces « mètres carrés »-là ne sont plus disponibles pour accueillir nos détresses, nos souffrances, nos pauvretés, serait-ce parce qu’il nous faut les cacher et les tenir à l’écart à tout prix ?

Prenons garde à cette infidélité qui nous guette, infidélité à ce que nous sommes, dans une attitude et des choix qui nous menaceraient bien plus que la misère elle-même. Cela nous met en danger. Cela nous ronge l’âme. Ci rode l’anima.

Le système économique actuel crée de l’exclusion, parce que nous tombons dans le piège de la résignation et de l’avidité. Nous laissons faire. Nous avalons, nous bétonnons l’idée que telle serait notre nature. Ce sont là nos nouvelles « maladies mentales », nos nouvelles « pathologies du cœur ».

La raison du plus avide prétend triompher partout. Et pourquoi pas in Corsica ? Notre « Padduc intérieur », celui qui gouverne nos têtes et nos cœurs, en est terriblement modifié.

Voulons-nous vraiment dévoyer, aliéner, vendre les bijoux de famille ?

La bonne nouvelle, c’est que nous pouvons nous passionner pour construire d’autres réponses. La bonne nouvelle c’est que nous pouvons choisir, influencer notre réalité, déterminer et autodéterminer notre destin, choisir de conserver, de créer – ou pas – des structures utiles, intelligentes, solidaires, en commençant par préserver la vocation de celles qui ont existé avant nous. Nous pouvons mettre à l’œuvre notre intelligence collective, généreuse, combattive, efficace, amoureuse des solutions.

Si la société corse est devenue une vraie machine à produire de la précarité, c’est d’abord et surtout parce qu’elle s’est laissé déposséder de son premier outil de production : la terre nourricière. Ce bien précieux où se tissent tous les liens. Un jardin à cultiver et un toit, un toit et un jardin à cultiver. Un ortu è un tettu pè tutti.

Quand « subsistance et existence » se séparent, nous sommes tous appauvris, orphelins de cette souveraineté première, et cela est une des sources de nos pauvretés. Nous en ressortons tous un peu hors sol, hors terre, et forcément hors lien.

Certains en ressortent sans toit, sans abri, mais pas sans en appeler à nos consciences. Il nous appartient alors de ne pas fermer la dernière porte. Celle du village dans la ville. Celle où nos blessures cherchent refuge. Il y a là un gisement précieux d’énergies politiques, d’intelligences collectives, et de réponses à construire.

Rien n’est plus urgent que de demeurer fidèles à ce que nous sommes vraiment. Il se pourrait que ce soit cela, le vrai nom du progrès.

Prenons en soin, car existe un tout autre progrès.

Quand il avance, l’âme s’enfuit.

Quand’ellu avanza, l’Anima fughje.

Jean-François Bernardini

u 30 di maghju 2019

http://www.muvrini.com/liens.htm