Biosphère-info spécial Alain Hervé

4 juin 2019,

Les Amis de la Terre France déposèrent leurs statuts à la préfecture de Paris le 11 juillet 1970. Les principaux fondateurs étaient Edwin Matthews, un avocat américain résidant à Paris, et Alain Hervé, un poète, navigateur et reporter. Le Comité de parrainage comprenait Jean Dorst, Pierre Gascar, Claude Lévi-Strauss, Théodore Monod et Jean Rostand. Alain Hervé donne quelques précisions dans l’Ecologiste n° 21 (décembre 2006 – mars 2007)  : « A New York, Gary Soucie me raconta en mars 1970 le vécu d’une association créée en 1969 par David Brower, Friends  of the Earth, dont le journal était intitulé « Not man apart ». David Brower avait été licencié de son poste de directeur exécutif du Sierra Club en 1969 alors qu’il avait voulu donner une dimension beaucoup plus politique, polémique et militante à la philosophie de la protection des grands espaces sauvages aux Etats-Unis. Lors de sa venue à Paris en novembre 1970, David développa son thème principal, celui de la vie sur la petite planète Terre et les destructions perpétuées par l’homme au détriment de cette vie depuis le début de l’ère industrielle. Il s’en prenait au désordre démographique de l’espèce, au gaspillage des ressources naturelles pour promouvoir des modes de vie insoutenables. Je me suis toujours demandé pourquoi je fus aussi disponible à recevoir une remise en cause aussi radicale de la religion du progrès. En effet à l’époque, la formule idiote des Trente Glorieuses n’avait pas encore fait fortune. Aujourd’hui nous devrions les rebaptiser les Trente Désastreuses ; trente ans dont nos descendants mettront des centaines ou des milliers d’années à réparer les dégâts sur la Biosphère. Le premier numéro du Courrier de la Baleine est paru dès 1971. Dès cette époque, on y retrouve ce qui fait encore l’actualité aujourd’hui, l’amiante, le bétonnage, la destruction de l’agriculture vivrière au profit de l’agriculture industrielle, la critique des pesticides de synthèse, l’urbanisme centré sur l’usage de l’automobile. En 1974, nous soutînmes la campagne de René Dumont pour les présidentielles… »

Alain Hervé a dirigé le numéro spécial du Nouvel Observateur, « La dernière chance de la terre », en avril 1972. Ce supplément a été tiré à 200 000 exemplaires. Voici l’éditorial d’Alain Hervé, Pour éviter la fin du monde :  « Les malheurs qui nous attendent sont étranges car ils sont le fruit de l’homme lui-même. Les hommes peuplent la Terre depuis des centaines de milliers d’années. Mais depuis un siècle, au nom de progrès qui faisaient la spécificité et la fierté des hommes, a commencé la plus gigantesque entreprise de destruction qu’une espèce ait jamais menée contre le milieu qui soutient la vie et contre la vie elle-même. La plus spectaculaire des opérations-suicide.

La Terre est en danger. Elle a été mise en danger notamment par le développement de la civilisation industrielle occidentale. C’est ce qu’on appelle le péril blanc. Océans pollués, terres stérilisées, atmosphère empoisonnée, tissu social disloqué, civilisations tribales écrasées. Pendant ce temps des imbéciles, qui ne sont même pas heureux, chantent des hymnes au progrès : le produit national brut s’accroît, la consommation d’énergie s’accroît, la population s’accroît. Nous voici contraint de découvrir que l’histoire ne peut se répéter. Une loi nouvelle, celle de l’accélération, change notre destin. En cinquante ans, la vie a changé davantage qu’au cours des millénaires. Et tout va aller encore plus vite désormais. En vérité, il reste dix ans à peine pour définir des solutions.

Cent trente-deux nations sont réunies à Stockholm du 5 au 16 juin prochain (1972) pour débattre de l’homme et de son environnement. Cette conférence, dont certains voudraient bien qu’elle se réduise à des études techniques pour lutter contre la pollution, va être conduite à aborder le cœur du sujet : la continuation de la vie sur la planète Terre. Les délégués des 132 nations, s’ils nous lisent, seront bien obligés de regarder en face les démons de l’expansion. Ils devront tenir compte des travaux de la plus subversive des sciences, l’écologie. »

En 1973, le patron du Nouvel Obs Claude Perdriel, à la suite du succès de son numéro spécial, lance le mensuel Le Sauvage. Alain Hervé est à la tête de la rédaction. Le premier numéro paraît le 1er avril 1973 sous le titre : L’Utopie ou la mort. Le texte suivant a été écrit par Alain Hervé en décembre 1973, au moment du premier choc pétrolier marqué par un quadruplement du prix du baril.

« Le commerce pétrolier consiste à échanger une matière première qui devient rare contre du papier-monnaie. De ce papier, les principaux producteurs ont assez ; si les Bédouins du désert laissaient le pétrole en terre, il risque de doubler de valeur en un an. Pourquoi n’ont-ils pas coupé le robinet plus tôt ? Parce que les circonstances politiques ne s’y prêtaient pas et parce qu’ils ont eu le rapport du Club de Rome entre les mains. Ils ont eu l’occasion d’y lire que d’ici trente ans environ leur seul capital leur aurait été totalement extorqué et qu’il leur resterait le sable pour se consoler. Ils ont aussi compris à quel point les Occidentaux et leur fragile civilisation étaient devenus dépendants du pétrole. Gérants intelligents, ils ont donc décidé de vendre de moins en moins et de plus en plus cher. Logique, non ? Curieusement cette logique surprend tellement les occidentaux qu’ils refusent encore d’y croire. Le pétrole était entré dans les mœurs. On savait qu’un jour il se ferait rare, mais on ne voulait pas le savoir. On misait toutes les chances de l’industrie aéronautique française sur le supersonique Concorde. On savait qu’une flotte de 200 de ces avions aurait épuisé en cinq ans l’équivalent de la totalité du gisement de Prudoe Bay en Alaska, et cependant on construisait le Concorde.

Il faut dire que sans pétrole, adieu l’agriculture industrielle, adieu les loisirs, adieu la garantie de l’emploi, adieu la vie en ville… toute l’organisation économique, sociale et politique est remise en cause. Le château de cartes vacille. Et si ce n’est pas pour cette fois-ci, ce sera dans deux ans, dans cinq ans. Restriction, pénurie, disette, les machines ralentissent, s’arrêtent. La dernière explosion dans le dernier cylindre nous laisse apeurés, paralysés… libérés. En effet la société conviviale, désirée par Ivan Illich, peut naître, c’est-à-dire une société dans laquelle l’homme contrôle l’outil. »

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