Aventures en permaculture – 31, Que planter pour un jardin-forêt à Nice ?

9 août 2019,

par Ghislain Nicaise

Comme je le racontais dans le précédent épisode, ma principale préoccupation quand je feuilletais Permaculture One en 2008 était d’aller à la fin du livre pour savoir ce qu’il fallait planter. Je ressens moins cette urgence aujourd’hui mais je reste capable d’imaginer la question principale que se posent les débutant·es : que planter ? J’évite de présenter des diaporamas sur la permaculture en général pour laisser ce créneau à de jeunes personnes qui ont très bien compris la théorie et qui devraient pouvoir en vivre, mais j’ai au moins une particularité à faire partager, un retour d’expérience de dix années sur le choix des plantations, plein d’échecs enrichissants…

À l’Université de Nice-Côte d’Azur, la prise de conscience de la responsabilité de l’institution universitaire dans le futur de notre société s’est traduite par la création d’un poste d’ingénieur·e chargé·e de mission zéro déchet et économie circulaire. Par chance la personne qui occupe ce poste, Émilie, possède la formation de recherche fondamentale qui lui permet de communiquer avec la population universitaire, lui donne l’habitude de travailler sans compter son temps, et possède en plus de solides convictions écolos qui lui permettent d’affronter l’ampleur de la tâche. J’ai donc proposé de l’aider en présentant un diaporama sur ce qu’il serait intéressant de planter dans les jardins des campus de Nice, en particulier dans le parc Valrose. Dans une perspective permacole, ce devrait être des associations de plantes utiles, principalement comestibles, avec le plus possible de plantes pérennes pour économiser l’énergie humaine. Dans la perspective du respect des usages reçus d’un passé récent, ce devrait ressembler à un jardin public fleuri et policé comme on peut en voir ailleurs. La jungle viendra en son temps. Je ne reprendrai pas ici les bases théoriques du jardin-forêt, faciles à trouver sur internet et en particulier sur le site du Sauvage.

Mon diaporama commençait par le choix de la canopée, les arbres qui seront les plus élevés, et fourniront une ombre légère l’été. Les albizzias (Albizia julibrissin) paraissent remplir le cahier des charges, ce sont des Fabacées, a priori fixatrices d’azote atmosphérique par leurs racines. Leur feuillage fin ne se développe qu’à la fin du printemps. La taille leur donne facilement une forme de parasol (Fig. 1). Leurs fleurs en pompons roses, mellifères, sont assez décoratives pour en faire des arbres de jardin public. Ils supportent bien la sécheresse, un atout qui prend de l’importance avec l’incidence croissante des irrégularités climatiques ! Ne croyez pas qu’ils soient réservés aux régions méridionales, j’ai pu en repérer un superbe en pleine terre au Jardin des Plantes de Paris. 

Sur le sujet délicat de quels grands arbres planter, je dois mentionner un classique permacole, le févier d’Amérique (Gleditsia triacanthos), de culture facile, parfois utilisé comme arbre d’alignement (vu à Aix) ou de jardin public (vu à Nice) mais qui n’est pas restreint aux climats doux, il supporte bien le gel comme j’ai pu le constater à La Penne. C’est une Fabacée donc en principe fixatrice d’azote (1). Elle aurait sur albizzia l’avantage de donner des gousses comestibles, au moins pour les herbivores, ressemblant à des caroubes. Elle est épineuse comme son nom savant l’indique mais il en existe des cultivars inermes. 

Il peut être intéressant de rappeler que Martin Crawford, pour moi le meilleur spécialiste du jardin-forêt en climat tempéré, a choisi pour sa canopée l’aulne de Corse (ou d’Italie), Alnus cordata, fixateur d’azote avec l’aide d’un microorganisme différent du Rhizobium des Fabacées. Essayant de suivre son exemple, j’en ai acheté et planté à trois reprises sans succès et me suis arrêté là.

Dans le jardin que j’avais à Nice, la canopée était principalement établie par deux avocatiers (Persea americana) – Fig. 2. Avec un climat doux, il faut planter cet arbre qui est une source alimentaire d’exception, dont la production peut s’étaler sur une bonne partie de l’année (2) mais son feuillage persistant et épais ne laisse pas passer assez de lumière pour la plupart des végétaux qui pourraient être plantés en sous-bois. Il faut cultiver des avocatiers certes, mais comme un massif, en limitant leur hauteur et en associant plusieurs cultivars pour une meilleure fertilisation. C’est un arbre à croissance rapide qui peut atteindre une taille considérable mais ce n’est pas une canopée pour la forêt comestible de nos projets, ou alors il faut s’astreindre à un élagage fréquent pour laisser passer la lumière, ce qui n’est pas très permacole.

En dessous de la canopée nous allons planter, comme petits arbres, des agrumes (Citrus spp.). La plupart fleurissent et fructifient à mi-ombre. Ils sont bien entendu mellifères et leurs fleurs un régal pour notre odorat. Je n’ai pas la place ici de faire l’éloge de leurs fruits. Ayant remarqué que leur apparition sur le marché était limitée dans le temps, lorsque j’ai hérité d’un jardin à Nice avec deux orangers, je ne m’attendais pas à pouvoir presser un jus d’orange tous les matins pendant six mois. La gestion familiale de la récolte n’a rien à voir avec les impératifs industriels et commerciaux.

Un peu plus exigeant sur sa ration de soleil, le néflier du Japon ou bibacier (Eriobotrya japonica) – Fig. 3. Il fleurira à l’ombre mais si l’année est humide les fruits seront alors souvent gâtés par un champignon noir (Fusicladium ?). Sa floraison mellifère automnale, tardive et parfumée, justifierait à elle seule la plantation. Les fruits en juin sont délicieux, ce dont on ne peut pas vraiment se rendre compte si l’on s’en tient à ceux qui sont commercialisés.

Un autre arbre de taille moyenne, assez rare bien que de culture facile, tolérant au froid, est le ritha (Sapindus mukorossi). Les fruits ne sont pas comestibles mais leur pulpe riche en saponine forme ce que l’on trouve dans les magasins « bio » sous le nom de noix de lavage (Fig. 4). Je distribue les graines à qui m’en fait la demande, il faut pour s’en procurer un arbre en production (elles ont la taille d’une bille, au nombre d’une seule par noix, et ont été retirées dans les sacs de noix commercialisées). Dans mon jardin, les branches et feuillages de ce Sapindus poussent comme pour fuir un arbousier (Arbutus unedo) autre petit arbre que l’on pourrait être tenté de planter au voisinage, donc l’association est à éviter (3). 

Bien que je ne sache pas ce qu’il peut donner à Nice, je n’ai pas résisté à la tentation de citer l’asiminier (Asimina triloba), dont je venais de savourer mon premier fruit poussé à La Penne, charnu, entre mangue et crème anglaise. Je ne pense pas qu’il s’accommode de beaucoup d’ombre mais je sais qu’il fructifie jeune, dès les premières branches mises en place.

Par contre j’ai pu voir dans les rues de Nice des feijoas (Acca sellowiana) utilisés pour réaliser une haie vive en clôture de villa et me suis permis d’en manger un ou deux fruits qui s’offraient au piéton de passage. Il en existe plusieurs cultivars à fruits plus ou moins gros. Ils peuvent fructifier à la mi-ombre. À noter que l’on peut aussi manger les pétales des fleurs,  sans compromettre la formation du fruit, si l’on respecte l’ovule au centre. Ce petit arbre buissonant est particulièrement décoratif (Fig. 5) et ses fruits sont très bons.

Bien que je n’aie aucune idée de ses exigences de froid, je n’ai pu m’empêcher de parler du caraganier (Caragana arborescens), le siberian pea-shrub des anglophones. Fixateur d’azote, mellifère, graines abondantes et comestibles (j’ai essayé, les graines se rapprochent plus de la lentille que du pois), il est utilisé pour les jardins publics et de ce fait facile à trouver en pépinière.  Multifonction, c’est un arbuste permacole par excellence.

Le mahonia (Mahonia aquifolia) est un autre arbuste de jardin public, à feuilles vernissées persistantes, fleurs jaunes mellifères et fruits bleus comestibles. Les fruit sont un peu acides à mon goût mais probablement pleins de bons nutriments. PFAF (plants for a future) ne lui donne que 3/5 en note de comestibilité.

Arbuste permacole par excellence, le chalef (Elaeagnus x ebbingei) passé en revue dans une précédente aventure, j’en ai mangé des fruits récoltés au pied d’un immeuble à Nice mais je ne sais pas s’il fleurit et fructifie à la mi-ombre. Par contre un autre Elaeagnus justement appelé multiflora peut être couvert de fruits dans ces conditions (Fig. 6). Ses fruits associés avec des coings permettent de réaliser une confiture d’excellence.

Autre arbuste tolérant la mi-ombre, l’amélanchier du Canada (Amelanchier canadensis), à essayer à Nice pour sa fructification délicieuse en juin.

La ronce (Rubus spp.), mellifère, fructifère, acceptera également de fleurir à l’abri du soleil direct. Les cultivars sans épines s’imposent mais tous ne se valent pas en vigueur ou adaptation à votre terroir : ne pas conclure négativement sur un essai malheureux.

Hybride entre cassis et groseille, la caseille Josta, très fructifère, a bien résisté à la sécheresse de 2017.

Pour les abeilles seulement mais excellent pour la sortie d’hiver avec ses fleurs de janvier à avril, Lonicera fragrantissima (Fig. 7).

Encore arbustif mais à la limite du couvre-sol, le romarin rampant (Rosmarinus officinalis repens), une des « herbes de Provence » aux propriétés multiples, en particulier mellifère.

Pour les lianes, peu d’entre elles sont adaptables à produire en grimpant sur les arbres que nous avons passé en revue. Sous nos climats il faut souvent prévoir une tonnelle. 

Cependant il parait que dans la Rome antique la vigne était conduite comme une vraie liane grimpant aux arbres. Dans tous les cas, je peux recommander les cultivars sans pépins de l’INRA qui me permettent d’utiliser les raisins secs toute l’année. Ils sont particulièrement sélectionnés pour leur résistance aux maladies. Perlette par exemple (Fig. 8) va donner fin juillet des grappes d’un kg et davantage, de petits grains très sucrés faciles à faire sécher.

Le kiwi fructifie abondamment même à mi-ombre, moyennant quelques précautions : c’est une plante de climat atlantique, qu’il ne faut pas exposer à la sécheresse, surtout dans les premières années après plantation. C’est aussi une plante calcifuge, qui en terrain calcaire devra recevoir du fer une fois par an (le sulfate de fer des jardineries convient très bien, ne pas l’acheter en solution si l’on ne veut pas payer l’eau au prix fort). Enfin il faut prévoir un mâle pour fertiliser le ou les plants femelle : je n’ai eu que de mauvais échos des plants réputés autofertiles.(Fig. 9).

La chaillote (ou chayote, ou christophine, ou chouchou, Sechium edule) n’aura pas besoin d’une tonnelle et se faufilera dans les arbres. À Nice les parties aériennes meurent en hiver mais au printemps la liane repartira à partir des racines, et ceci pendant plusieurs années avant de mourir. C’est un légume sans saveur particulière mais qui aurait de très bonnes qualités nutritives. Facile à se procurer chez les fruitiers spécialisés ou en grande surface, autofertile, c’est un incontournable pour débuter (Fig. 10).

Une liane pérenne très décorative, la seule passiflore dont les fruits sont vraiment comestibles sous nos climats, Passiflora incarnata, ne se trouve que dans des pépinières spécialisées mais à retenir, ne serait-ce que pour ses fleurs.

Mi-liane mi-couvre sol, la capucine (Tropaeolum majus) dont les fleurs et feuilles sont comestibles (et les graines permettent de faire un substitut de câpres) se ressème et devrait traverser plusieurs hivers sans soin particulier.

Les fuchsias sont des plantes herbacées, décoratives, qui fleurissent volontiers à l’ombre (Fuchsia spp.). Leurs fruits sont réputés tous comestibles mais cela ne veut pas dire forcément abondants ou agréables à manger, donc à tester avant d’en installer un parterre.

L’origan, herbe à pizza (Origanum vulgare), plante herbacée pérenne, bon couvre-sol, restera productive à l’ombre tout en supportant bien la sécheresse (Fig. 11).

On pourrait dire la même chose de la menthe, qui a bien entendu d’autres usages culinaires (avec vous essayé des feuilles de menthe fraiche avec le melon ?) mais qui couvre un peu moins bien le sol, surtout s’il est sec.

La citronelle des Indes (Cymbopogon citratus), supportera un peu moins bien la sécheresse mais ses nombreux usages en font un incontournable (essayez au moins les infusions, chaudes ou glacées). Bien que réputée tropicale, elle tiendra à Nice en pleine terre et à l’ombre (Fig. 12).

L’orpin (Sedum telephium/spectabile) est couramment utilisé pour des massifs fleuris (Fig. 13) mais ses feuilles tendres et croquantes sont excellentes en salade.

Les figuiers de Barbarie (Opuntia spp.) sont à retenir pour leur raquettes qui font un légume très cultivé au Mexique (taper nopal sur un moteur de recherche). À cueillir avant que les épines (qui sont fondamentalement les feuilles alors que la raquette est la tige) ne durcissent. Découpé en bâtonnets et cuit vapeur, ce légume rappelle le haricot vert en plus mucilagineux. Pour les fruits il faudra du soleil mais plutôt de l’ombre pour les raquettes.

Les hémérocalles (Hemerocallis spp.) très décoratives, ont des boutons floraux comestibles au goût légèrement poivré, à manger crus, vendus sur les marchés dans certains pays d’Asie (Fig. 14).

Il est difficile de ne pas évoquer la consoude (Symphytum x uplandicum), pérenne, mellifère, multi-usages, référence pour ne pas dire tarte à la crème de la permaculture, pour laquelle je vous renvoie au livre blanc gratuit que vous pourrez télécharger sur internet.

Nous avons l’habitude de voir des cannas (Canna edulis et C. indica.) dans les jardins publics sans soupçonner qu’il s’agit d’une plante aliment, connue des amérindiens sous le nom d’achira. Avec les cannas nous entamons le chapitre des plantes nourricières par leurs parties souterraines. J’exclus la pomme de terre, trop peu décorative mais je retiens la poire de terre ou yacon (Polymnia edulis), au feuillage esthétique et plus durable (Fig. 15).

La violette (Viola odorata) qui forme assez facilement à l’ombre des tapis pérennes, est devenue un de mes légumes de soupe préférés. Je parle des feuilles, qui peuvent aussi faire partie d’une salade crue, les fleurs ne peuvent servir que d’appoint pour parfumer.

L’onagre (Oenothera biennis) se resème toute seule et fleurit longtemps. Les racines évoquent le panais, en plus fin. Il n’est pas prévu d’utiliser les graines, faire de l’huile d’onagre nécessite un savoir-faire sophistiqué.

Le topinambour (Helianthus tuberosus) est une pérenne classique facile à se procurer. Il vaut mieux

jerusalem artichokes sunflower

choisir les variétés à racines rouges peu ramifiées, plus faciles à cuisiner (Fig. 16).

Je m’en sers souvent pour faire de l’ombre aux jeunes arbres (dans la nature, les jeunes arbres poussent généralement à l’ombre protectrice des vieux).

Le parc Valrose offre l’opportunité unique d’une grande pièce d’eau, biotope potentiel pour plusieurs plantes comestibles et décoratives. Il faudrait un article entier pour exposer les qualités des lotus (Nelumbo nucifera – Fig. 17).

À essayer aussi les massettes (Typha latifolia) qui ont été une plante nourricière importante pour nos ancêtres, et la châtaigne d’eau (Trapa natans).

G.N.

 

(1) Ce point est discuté, peut-être parce que l’on ne voit pas de nodosités sur les racines, auquel cas cet argument serait insuffisant (les nodosités ne sont pas obligatoire pour qu’il y ait symbiose), mais aussi peut-être parce que les bactéries fixatrices d’azote de type Rhizobium spécifiques du Gleditsia ne seraient présentes que dans les sols d’origine…

(2) Attention, les avocatiers issus de semis donnent rarement beaucoup de fruits, il faut les greffer.

(3) En termes savants il s’agit d’une allélopathie négative. Il faudrait un énorme travail de compilation de ce type d’interaction si l’on veut développer les forêts-jardins. Les feuilles émettent des molécules messagères qui modulent les interactions entre espèces. J’ai eu l’occasion d’évoquer la manière dont nos chênes empêchent le lierre de leur nuire, ce que les arbres d’Amérique du Nord ne savent pas faire.