Archive pour janvier 2011

“Indignez vous!” dit-il

15 janvier 2011,

Nous n’avons pas attendu ce charmant et très estimable monsieur pour nous indigner. Mais nous espérons n’en être pas restés là. Oui nous sommes encore indignés par l’état dans lequel notre espèce a mis la planète et ceux qui l’habitent. Nous sommes indignés par ce qui arrive aux Palestiniens, mais aussi au Nord Coréens, à la main d’oeuvre chinoise et à toutes les espèces vivantes qui disparaissent.

Mais nous nous souvenons d’une autre formule que nous avions promue dans le Sauvage (1er avril 1991): ” Memento audere semper” penser à toujours oser. Certes son auteur Gabriele d’ Annunzio est loin d’être irréprochable. Ce fut même un bel imbécile parfois mais on ne peut que sentir le vent de son exhortation. Oser, c’est à dire entreprendre, ne pas en rester à l’indignation.

On craint à lire Stephane Hessel qu’il ne donne qu’ un crouton à ronger aux désespérés, aux exploités. C’est mieux certes que de céder au découragement mais ce n’est pas assez.

Entreprenons un potager, ou de changer la vie, ou d’aimer, ou de déménager, ou de formuler un programme politique écologique qui parle de vie. Entreprenons, osons.

La brièveté de cette critique correspond à la brièveté de l’ouvrage qui en est l’objet.
Et nous saluons l’éditrice Sylvie Crossman qui écrivit jadis dans le Sauvage et peut y revenir.

A.H.

Françoise Biro

15 janvier 2011,

Elle a écrit dans le Sauvage dès les débuts. Nous nous sommes connus à Rome en 1968,  lorsqu’elle vivait avec Andras Biro. Puis elle a travaillé à Paris à Jeune Afrique. Mais pourquoi parler se sa carrière?

Françoise était une héroïne, une Jeanne d’Arc laïque. La vie l’avait accablée de tous les maux physiques. Elle avait un corps en ruine qu’elle menait comme un étalon à la bataille. Elle piaffait en trainant la jambe. Elle écrivait avec ses larmes et son sang pour produire une prose heureuse, joyeuse. Vous lirez ci dessous un de ses articles. Elle était généreuse sans un sou. Elle était heureuse de vivre, elle est morte lorsqu’on ne s’y attendait plus. Discrètement.

C’est un des êtres humains que l’on a eu la chance de rencontrer au cours de sa vie.

Monsieur Georges

par Françoise Biro

Les « Parisiens » l’appellent Monsieur Georges. Pour les gens du pays, c’est Georges tout court.

Le pays, à une douzaine de kilomètres de Barcelonnette, c’est un massif de montagnes de Haute-Provence. L’une d’elles s’appelle les Maures ; et sur son flanc s’étagent quelques fermes éparses. Une fois franchie l’Ubaye, on contourne le village de Méolans, puis on arrive au lieu-dit Gaudessart et, par une route en lacets, puis par de simples chemins de plus en plus étroits, on parvient au sommet, fait de pâturages. 1 600 m d’altitude.

Le clos de l’Aigle marque la dernière halte avant le sommet. Stupeur : un canal sur ce versant aride ! De l’eau potable même qui coule dans un canal bien tracé. Ensuite, elle va se perdre dans les sous-bois, le long d’un joli chemin.

Le clos a été entièrement débroussaillé. On y cueille des fleurs. On ramasse le genêt. Les grandes prairies ont été fauchées et un potager a même été aménagé en contrebas, asperges, persil, salade.

Qui est le paysagiste ? Qui a amené l’eau ?

Monsieur Georges, bénévolement, et pour le plaisir de tous. Cette montagne, il l’aime farouchement et comme il ne recule devant rien…

Monsieur Georges est un homme tout petit, sec et vif, comme savent l’être les montagnards. Enfant trouvé, il a suivi l’itinéraire habituel de l’Assistance Publique : placé dans une famille, il est allé à l’école jusqu’au Certificat, puis a fait de menus travaux. Il est ensuite devenu ouvrier agricole dans le Vercors.

Attiré par les Maures, il y est devenu facteur. C’est de cette époque et de ce métier qu’il a gardé pour habitude de dévaler la montagne à la verticale, écartant branches et taillis et aboutissant là où il le souhaitait. Ignorant les chemins en lacets, il la remonte pareillement. Sinon, qui d’autre que lui aurait pu, hiver comme été, par la neige, pluie et grand soleil, aller porter des lettres sur le versant d’en face ?

Peu bavard, il pose un regard clair sur les choses et les gens. On est surpris de le voir soudain surgir d’un fourré. Il pend sa veste à une branche de pommier, accepte un verre d’eau, aime rire et écouter, se fait prier pour rester manger la soupe, et puis se met au travail. On fait appel  lui pour couper le bois, tailler les arbres, faucher, faire du jardinage.

Je l’ai observé un jour qu’il avait à arracher un cytise qui s’était mis en travers d’un sapin et d’un mélèze. Avec quel soin il a commencé à coups rapides d’émondoir à couper les branches du haut, puis celles du bas, les rangeant à part avant de s’attaquer au tronc avec une tronçonneuse.

De haut en bas, c’est ainsi qu’il raisonne quand il réfléchit à un travail qu’il n’a jamais fait. Le démonter mentalement, et la solution est là.

Monsieur Georges est un sacré bonhomme.

L’été, il habite le Clos de l’Aigle (il dit de l’Aigre, comme les habitants de la montagne, allez donc savoir pourquoi ?). Une cabane au toit pentu en tôle ondulée, on y accède par une échelle. Première pièce servant d’atelier, avec une paroi entièrement réservée à ses outils et tous ses clous, astucieusement disposés de façon à voir vite et à prendre vite. Ensuite la chambre, un poële, un lit surmonté de quelques vêtements pendus à des clous, un buffet, une belle table et, accrochée, une branche de tilleul qu’il renouvelle chaque année.

Des photos au mur et, je le sais, rangés quelque part, des poèmes que Monsieur Georges écrit lorsqu’il ressent quelque vague à l’âme. Sous le plancher de la pièce se trouve la réserve de bois. Le tout très propre, soigné, aimé.

La première fois que je me suis trouvée à mi-flanc du versant — c’était en plein été vers onze heures du matin —, on m’a dit « Regarde ! ». J’ai eu le souffle coupé. Scintillant au soleil, j’ai vu ces montagnes qui forment comme un cirque autour de la vallée : le grand et le petit Sénar, Séolane, l’Ailette, l’Aupillon. Je ne trouvais pas mes mots.

Monsieur Georges fait corps. Il veille sur chaque brin d’herbe. Il est attentif.

Françoise Biro

(Le Sauvage — De la simplicité —n° 9-10, août-septembre 1991)

vérification

15 janvier 2011,

Je me suis réveillé à cinq heures ce matin et me suis levé pour griffonner dans le noir ma stupéfaction : « nous sommes détenteurs de la prodigieuse qualité d’être vivants… » Oui c’est bien ça : « nous sommes vivants » Et j’ai replongé dans le sommeil, écoutant ce flux qui m’emportait. AH.

Conversation avec un botaniste

14 janvier 2011,

Sans les plantes, il n’y aurait ni hommes, ni animaux, mais par sa force et son immensité, le règne végétal nous fait peur.

Un entretien avec Pierre Lieutaghi (Le Sauvage, avril 1975)

Pierre Lieutaghi, faisons connaissance, qui êtes-vous ?

J’ai trente-cinq ans, je vis ici en haute Provence depuis neuf ans. A Paris, où j’habitais auparavant, j’avais fait des ateliers d’art. J’étais peintre. Je suis né en Bretagne, j’y ai vécu quinze ans. Je suis breton par ma mère, chinois par mon père. J’ai pris goût à la nature là-bas, grâce sans doute à une tendance native et à des rencontres, des instituteurs qui mettaient déjà l’accent sur les problèmes de la protection-pollution de la nature. J’ai eu un prof à Quimper qui s’appelait Michel-Hervé Julien. Il a lancé l’idée des parcs nationaux en France. Il était à l’époque professeur de musique et se passionnait pour la protection de la nature. Alors que le professeur de sciences naturelles ne s’intéressait pas tellement à la ces questions, lui, le prof de musique, nous emmenait faire des promenades au bord de la mer, le dimanche, et nous apprenait à baguer les oiseaux. Il était ornithologue amateur. Plus tard, il est entré au Muséum de Paris. Il est mort beaucoup trop tôt, malheureusement.

Comment naît votre intérêt pour les plantes ?

Je m’y suis intéressé après les oiseaux. Vers 1960, j’ai eu un coup de foudre, sans doute à cause d’un problème de santé. Je croyais que je ne pourrais plus courir la campagne et j’ai pensé que les plantes seraient plus accessibles. C’est venu assez brutalement. J’ai acheté une flore de Bonnier, j’avais vingt et un ans. J’ai passé tout mon été en Bretagne à étudier les plantes, puis j’ai monté un petit herbier. Ça a commencé comme ça. Je me suis mis à faire de la botanique en amateur et, à côté de cela, je faisais de la peinture. A l’époque, je faisais autant de botanique que de peinture. Dès que j’étais à la campagne, je ramassais des plantes. En même temps, je lisais des bouquins sur l’écologie. En fait, l’écologie a récupéré tous ceux qui s’occupaient de sciences naturelles. Les gens qui étaient botanistes ont fait de l’écologie végétale, les zoologistes se sont mis à faire de l’écologie animale. Ils s’appelaient naturalistes, maintenant ils se donnent le nom d’écologistes ; c’est un terme plus vaste qui englobe davantage d’éléments et qui pose mieux son spécialiste. Et puis je me suis intéressé aussi aux plantes médicinales.

(suite…)

la fuite de mademoiselle Berthe

12 janvier 2011,


Mademoiselle Berthe partit la première. A l’époque, c’était une adolescente un peu empesée dans ses manières mais d’un tempérament impétueux, un volcan sous la banquise…

Un désastre familial survint qui la fit héritière d’une fortune considérable qu’elle plaça judicieusement.
La Patagonie sauvage l’attirait, elle s’y enfuit, elle parvint en Terre de Feu, c’était son élément.
Elle apprit le patagon, s’emmouracha d’un bâtard d’Antoine de Tounens, roi d’Araucanie.
Les gérants suisses de ses comptes lui envoient régulièrement ses dividendes.
Elle a fondé un hôpital, une distillerie d’aquavit et une église locale où des indiens alacalufes invoquent le Grand Lièvre Rédempteur, père des Hommes-aux-grands-Pieds.

Retrouvez Daniel Maja sur son blog

Le Salon de musique

11 janvier 2011,

Nous avons revu « le Salon de musique », le film noir et blanc de Satyajit Ray datant de 1958, au cinéclub Claude-Jean Philippe le dimanche matin 9 janvier 2011, au cinéma l’Arlequin rue de Rennes à Paris. (On fêtait le vingtième anniversaire de cette très noble institution)

Un chef d’œuvre qui nous transporte en onirie pure avec l’aide de l’hypnotique musique indienne. Merci au réalisateur, aux acteurs, aux musiciens, à la danseuse…

Merci à la poussière, à l’éléphant, au bruit du lointain générateur électrique, aux miroirs, aux coffres forts, aux colonnes rongées et aux lustres…

Les lustres sont les vedettes de ce film. Ils sont là dès le générique, répandant une faible lumière à travers leurs pampilles et leurs verrines, oscillant dans les courants d’air, mourants de leurs chandelles consumées…

On manque de s’endormir saisi par la langueur du rythme, bercé par une Inde d’outre-mousson. On jubile ailleurs.

Vous pouvez le voir grâce au DVD.

A.H.

Mais quand vont-ils parler d’écologie ?

11 janvier 2011,

Aveuglés par les projecteurs, assourdis par la sono. Nous sommes les spectateurs du cirque médiaticopolitique où l’on distingue difficilement ceux qui jouent à droite et ceux qui jouent à gauche. Ce qui importe c’est de monter sur la scène télévisuelle et d’intéresser, de captiver ou de terroriser le public.
Les meilleurs acteurs ou acrobates sont manifestement Mélanchon et Besancenot, le père Le Pen nous manque. Sa fille n’a pas encore sa tchatche. Mais ça vient.
Elle vient de prodigieusement réussir son dernier numéro. On la siffle. Elle suscite une universelle réprobation. Ce qui lui vaut des milliers de citations. On n’entend plus qu’elle. Bravo l’artiste.
Elle se spécialise dans le non dit des autres candidats. Elle seule ose parler d’immigration et d’identité nationale. Elle fait un tabac. Attention, demain elle va se mettre à parler d’écologie…
Ségolène Royal perd la main, ne sait plus esbroufer le client, affoler la statistique et exploser le pourcentage.
DSK en financier international qui va gérer la misère sociale comme il prétend sauver la croissance est un peu pompeux pour ne pas dire sinistre. Il tente d’impressionner le client par son sang-froid qui commence à sentir le réchauffé. (voir la citation de Kenneth Boulding)
Du côté des écologistes on manque de spectacle. Ca se traîne. Joly nous fait dans le social tiède. Hulot dans le pas de deux. Cohn Bendit dans la fiancée perdue.
On l’avait bien dit jadis, l’écologie n’est ni de droite ni de gauche, elle est aujourd’hui médiatique comme les autres.
Nous sommes bien dans la société du spectacle.
Alain HERVE

Cher prince Charles de Windsor

11 janvier 2011,

J’ai beaucoup apprécié votre entretien avec l’hélicoécologiste Yann Arthus-Bertrand sur FR3 dans l’émission « Vu du ciel »le 5 janvier dernier*. La rapide visite de votre domaine de sept cents hectares de Highgrove est convaincante. Vous êtes un véritable écologiste en profondeur. On souhaiterait entendre dans la bouche de quelques uns de nos responsables politiques, y compris écologistes, vos propos sur la forêt primaire, la biodiversité, l’agriculture biologique, l’extinction des espèces, le changement climatique, la responsabilité de l’humanité ou la récupération des eaux usées des salles de bain pour arroser les platebandes de fleurs au pied du manoir.
Votre position éminente dans la hiérarchie sociale de l’espèce humaine vous offre une tribune exceptionnelle pour faire connaître ce qu’est vraiment l’écologie au grand public.
Elle vous dessert également car on peut critiquer cette situation anachronique, et les revenus colossaux dont vous bénéficiez. Même si l’on sait que vous avez demandé à payer des impôts, ou que vous entretenez des fondations diverses.
Votre déambulation dans le parc de votre propriété nous fait découvrir à la fois vos topiaires tarabiscotées et votre souci d’élever et de soigner votre bétail avec le moins de chimie possible. Bravo, mais pourquoi tous ces mammifères brouteurs dont vous devez connaître le désastreux bilan écologique? Pourquoi ne pas promouvoir auprès des consommateurs humains des diètes davantage végétariennes ?
Vous vous souciez de la disparition des forêts primaires. Bien. Mais vous savez que sur toute la planète on finit de les faire disparaître pour créer de la prairie et élever du bétail pour fabrique du steack.
Nous avons suivi avec intérêt votre critique violente de l’aménagement urbain contemporain et de l’architecture dite moderne. Vous êtes un sympathique provocateur, un réagisseur tonique. Lorsqu’on voit Oscar Niemeyer s’entêter à cent trois ans à continuer de construire ses monstres de béton démodés, on est tenté d’examiner votre position de plus près.
On se souvient que vous avez longuement fréquenté Laurens Van der Post, l’écrivain philosophe sud-africain qui a inspiré votre attitude devant la vie et pour assumer le rôle très difficile que vous devez jouer. Nous ne saurions trop recommander aux lecteurs du Sauvage de faire sa connaissance.
Nous vous assurons de notre sympathie
Alain HERVE

Boulding

11 janvier 2011,

Merci à Lolobo de nous rappeler la phrase prophétique de Kenneth E. Boulding:
“Anyone who believes exponential growth can go on forever in a finite world is
either a madman or an economist.”

“Celui qui croit qu’une croissance exponentielle peut se poursuivre indéfiniment dans un monde limité est soit un fou, soit un économiste.

et

Sauvage, c’est un homme vierge, le gisement pur de l’humanité, la part qui est en chacun de nous-mêmes et essaiera de nous sauver lorsque nous aurons touché le fond technologique de la bouteille du progrès.

Denis Tillinac