Archive pour septembre 2011

Les ours

26 septembre 2011,


Ces derniers jours de septembre, les conversations sont désenchantées, une mélancolie allègre imprégne l’atmosphère, un désir joyeux d’en finir, de ne plus attendre les échéances.
Et les ours sont revenus, mais leurs numéros autrefois cocasses semblent bien fatigués, les pièces ne tombent plus des balcons, leur temps est passé. Ils sont repartis pour la Grande Hibernation.
A deux pas, l’épicier de Djerba a cédé la place à une superette asiatique. Adieu chorba et coriandre fraîche…
C’est alors que j’ai repris la Vie Brève.

L’ail

24 septembre 2011,

par Misette Godard

reprint Le Sauvage, septembre 1979

Au paléolithique apparaissent les premières civilisations humaines avec des outils de pierre taillée. C’est aussi l’époque où l’humanité passe de la satisfaction animale de la faim à l’appétit, c’est-à-dire au plaisir de manger. L’art de condimenter qui apparaît alors est une réelle phase de civilisation, une étape intellectuelle en même temps qu’une sensualisation intéressante de la vie. Les cendres et le sel seront les premiers assaisonnements et l’ail vient en tête, dès cette époque, des plantes condimentaires. Au Néolithique, il sera cultivé.

Chez les Égyptiens, 2800 ans avant notre ère, une inscription est gravée sur la pyramide de Chéops, rappelant que chaque matin une gousse d’ail est distribuée aux esclaves y travaillant dans le but de leur donner des forces. Au moment de l’exode, les Hébreux pleureront l’ail d’Égypte, autant que l’oignon.

Dans la Grèce historique, Athénée cite l’ail parmi les condiments qu’un chef doit toujours avoir sous la main. Mais, chez les Romains, il est réservé aux paysans, aux soldats et aux marins qui, paraît-il, ne s’en privaient pas. Les gens délicats l’écartent de leur table et il n’est cité que dans une seule recette d’Apicius.

On n’est pas très sûr du moment où l’ail a été connu en France mais, si les Gaulois ne le connaissaient pas, les légions romaines les ont certainement initiés à son emploi. Ce que nous savons, par contre, c’est qu’au Moyen Âge, il était fortement consommé dans tout le pays, et cela aussi bien dans le Nord que dans le Midi. Il est à la base de plusieurs sauces de l’époque : sauces d’aulx blanche ou verte, sauce d’aulx au lait, aillée rousse ou à la moutarde, aulx camelins, jance, etc. À la Renaissance, on attribue l’intelligence politique de Henri IV au fait que son père lui avait frotté les lèvres avec une gousse d’ail dès sa naissance.

Au XVIIIe siècle, il disparaît, tout au moins le bulbe, mais la tige de l’ail frais est mangée, hachée, dans la salade, en fourniture. Après la Révolution, au moment où toute une bourgeoisie frustrée se découvre un goût immodéré pour la nourriture après le grand jeûne de la Terreur, la cuisine régionale y conquiert droit de cité, et les Marseillais « montent » à Paris avec leur cuisine à l’ail et à la tomate.

Je crois que depuis ce moment, l’ail est admis dans la cuisine, mais avec une extrême discrétion, sauf dans le Midi. D’ailleurs, je me demande si dans la façon d’utiliser l’ail, exception faite bien sûr pour les Provençaux qui l’utilisent pour son goût piquant, il n’y a pas vaguement l’idée que l’ail prévient toutes les maladies.

De la famille des Liliacées, l’Allium sativum, ou ail, était déjà considéré par Pline comme le meilleur médicament de son temps. Connu comme antiseptique, il entre dans la fabrication du « vinaigre des 4 voleurs » dont des générations se sont servi pour se protéger de la peste et des infections diverses. On en confectionnait même des colliers que l’on attachait au cou des enfants (pour les protéger des vampires ?). On l’utilisait aussi pour lutter contre le venin des serpents, et l’École de Salerne dit :

« Poire, Rue, Ail, Raifort, Noix avec Thériaque,

Repoussent du venin la dangereuse attaque. »

Il a été et est toujours utilisé contre les vers intestinaux. Étant diurétique, on l’a employé contre l’hydropisie. En pansement, on l’a appliqué sur les plaies, les ulcères variqueux et les piqûres de guêpe. Aujourd’hui, il figure toujours dans la pharmacopée comme vermifuge, bactéricide et correcteur de l’hypertension.

Mais l’ail a aussi ses inconvénients. Il ne peut être facilement digéré par les estomacs délicats. L’École de Salerne le cite aussi parmi les choses qui gâtent la vue, avec le bain, le vin, l’amour, etc. On prétend aussi qu’une gousse d’ail administrée en suppositoire assurait une fièvre immédiate aux conscrits…

Un inconvénient de l’ail que nous ne pouvons passer sous silence est l’odeur qu’il donne à l’haleine et à la sueur pendant les heures qui suivent sa dégustation. Pline déjà s’en inquiétait et préconisait pour cela de le planter quand la lune est sous l’horizon et de le récolter quand elle est en conjonction. Si ceux d’entre vous qui cultivent leur ail (culture facile, récolte 50 têtes au mètre carré) avaient la gentillesse de faire l’expérience et de me la communiquer, je leur en serais reconnaissante. Mais en attendant de pouvoir donner cette méthode comme certaine, mieux vaut, après l’absorption de l’ail, mâcher quelques feuilles de persil, manger une pomme râpée, sucer de l’anis ou — mais j’en ai horreur — un chewing-gum. Charles Monselet, un gastronome du siècle dernier, écrivait dans ses Lettres Gourmandes : « Pour faire un ailloli présentable, on met au fond d’un mortier de marbre à peu près une gousse d’ail par convive ; les hommes seuls sont comptés comme convive ; il y a d’ailleurs peu de femmes autour d’un ailloli. C’est un vrai plat de célibataire. Mieux que le tabac, cela tue le baiser. »

Je suis contre le racisme à table – comme partout ailleurs — et pense que l’ailloli est un vrai repas de société, même mixte. Cette sauce qui est faite d’ail pilé (une demi-gousse à 6 gousses par personne !), d’un jaune d’œuf et de beaucoup de très bonne huile d’olive, accompagne une grande variété de plats. On peut la servir simplement avec des légumes : pommes de terre, carottes, haricots verts, tomates, artichauts, etc. On peut aussi la servir avec des œufs durs. Elle est l’accompagnement classique de la morue pochée, mais aussi de tous les poissons bouillis, du maquereau à la sardine en passant par le mulet, la baudroie, l’anguille… Les amateurs ne la mangent pas sans quelques escargots ou limaçons, voire du poulpe en daube. Mais il est agréable de servir l’ailloli avec un grand plat contenant un peu de chacun de ces aliments.

Autrefois, les ouvriers des moulins à huile mangeaient l’ailloli chaque matin. Je dis cela pour ceux qui vont s’affoler devant une sauce contenant autant d’huile. Je crois qu’un être en bonne santé peut tout manger, mais à condition de ne pas avoir mauvaise conscience. Je dis cela en pensant aux gens dont la vie a été faite de régimes et qui, à 80 ans ou plus et perdant la tête, se mettent à manger de tout sans inconvénient. Pour ceux qui sont privés d’huile pour des raisons sérieuses, j’ai essayé de refaire la sauce aux aulx blancs du Moyen Âge. Elle me paraissait être la plus écologique des sauces et j’ai eu la surprise agréable de me régaler. L’« aigo boulido », ou « eau bouillie », est la soupe des lendemains de festin ou des veilles de grippe. On dit en Provence qu’elle sauve la vie car elle est salutaire à l’estomac. Mais on dit aussi qu’au bout d’un temps, elle les tue, car elle est peu nourrissante.

Misette Godard

Mots-clés : ailloli, Allium sativum.

Sauce aux aulx blancs

Denrées nécessaires pour 6 personnes :

–      1,5 l d’eau

–      3 gousses d’ail

–      2 feuilles de laurier sèches

–      1 brin de sauge

–      1 cuillère à potage d’huile d’olive

–      6 tranches de pain rassis

–      sel

Écraser l’ail et le mettre dans la casserole d’eau bouillante salée. Laisser bouillir 7 minutes sur feux doux.

Éteindre alors la flamme et ajouter les herbes qui doivent infuser trois bonnes minutes.

Pendant ce temps, déposer le pain dans la soupière et l’arroser avec l’huile d’olive.

Après l’infusion, verser le bouillon sur le pain.

Si l’on est gourmand, on peut ajouter un peu de fromage râpé sur la table et, aussi, lier le bouillon d’un jaune d’œuf.

L’ailloli

Denrées nécessaires pour 6 personnes :

–      6 à 12 gousses d’ail suivant que l’on est vraiment provençal ou pas, mais six gousses suffisent amplement

–      1 jaune d’œuf (mais il vaut mieux en prévoir un deuxième en cas où la sauce ne « prenne » pas)

–      6 dl de très bonne huile d’olive de première presse, bien verte

–      1 filet de jus de citron ou de bon vinaigre de vin

–      1 cuillère d’eau chaude

–      sel

Éplucher les gousses d’ail. Les déposer dans le mortier pour les écraser. Pour simplifier l’opération, on peut les écraser au préalable avec une pince à ail.

Quand l’ail est en pommade, y ajouter le jaune d’œuf, bien mélanger.

Transvaser l’huile d’olive nécessaire dans une burette ou une petite bouteille d’où on pourra la verser plus aisément en mince filet.

Ajouter l’huile d’olive dans le mortier en filet, presque goutte à goutte, en tournant toujours avec le pilon, mais sans s’affoler. Si vous avez l’habitude de vous servir d’un batteur électrique pour la mayonnaise, je ne pense pas que vous commettiez un sacrilège en vous en servant pour l’ailloli. Quand le mélange forme une pommade ferme, ajouter le citron ou le vinaigre et l’eau chaude. Si au lieu d’être lisse, l’huile se sépare de l’œuf dans la sauce, mettez un deuxième jaune d’œuf dans une terrine et recommencez à verser la sauce tournée comme s’il s’agissait de l’huile, peut-être en passant le pilon à un voisin plus calme.

Quand toute l’huile est absorbée, salez et goûtez.

L’aigo-boulido

Denrées nécessaires pour 6 personnes :

–      6 petites gousses d’ail blanc

–      1 tranche de pain complet rassis

–      1 bon décilitre de verjus

Laver du raisin non mûr (verjus), l’égoutter. Détacher les graines saines, les fouler et les passer dans une toile à passer les gelées ou dans une passoire très fine. Garder un bon décilitre de ce jus.

Râper la mie de pain sur les entailles fines de la râpe.

Broyer les gousses d’ail, comme il est dit pour l’ailloli.

Y ajouter la mie de pain en la passant à travers un tamis ou une passoire fine (je me suis servie pour cela du tamis à farine).

Ajouter le verjus et bien mélanger à nouveau.

Misette Godard

Le soleil se lève à Athènes

24 septembre 2011,

reprint Le Sauvage, juin 1979

La société solaire souhaitée, attendue, prochaine, a un ancêtre. Ce n’était pas une société idéale mais elle croyait à l’oisiveté et à la jouissance.Trente ans plus tard et que l’on attend toujours la société solairece texte inspire toujours réflexion.

par Brice Lalonde

Ne vous y trompez pas. Une société solaire ne serait pas forcément paradisiaque. Elle ne serait pas non plus l’opposé en tout point de la société nucléaire. Condition nécessaire, mais non suffisante, d’une démocratie écologique, le recours au soleil limiterait, mais n’éliminerait peut-être pas toutes les retombées (suite…)

Vauban le penseur précurseur par Alain Monod

24 septembre 2011,

par Alain Hervé

Alain Monod nous révèle un Vauban inattendu qui devrait occuper une autre place dans l’histoire de France que celle de bâtisseur de citadelles. Le titre du livre: “ Vauban ou la mauvaise conscience du roi” (Riveneuve éditions) annonce le rôle moral, social et intellectuel de ce curieux ingénieur.

Non content de s’épuiser dans la construction de fortifications et de conduire des sièges aux quatre coins (suite…)

Montebourg/Onfray

24 septembre 2011,

par Christophe Chelten

Lorsque l’un vient soutenir l’autre on ne peut que s’en féliciter. Car ils sont l’un et l’autre estimables. Très.

Pour le moment c’est Arnaud Montebourg qui nécessite soutien. Il navigue de manière un peu floue entre ses concurrents socialistes. Il manque encore de charisme oratoire mais ne manque pas d’idées. Il a (suite…)

Habemus papam

23 septembre 2011,

par Alain Hervé

Un film titré en latin, c’est intéressant si l’on sait combien de gens parlent le latin en France.Très peu. 5% des lycéens vont étudier le latin cette année. Mais combien parlent Anglais pour des centaines de titres dans cette langue?

Le film est réussi, très réussi. Le faste de l’Eglise catholique romaine flatte l’oeil de ses chamarrures pourpres. On navigue dans les coulisses du Vatican. On se laisse aller à de suspectes émotions.

Ces déploiements cardinalesques sur fond de marbres michelangelesques sont à la fois naïfs, obsolètes, émouvants. On succombe à ce théâtre fastueux qui convoque l’Histoire d’une institution millénaire. Même si on ne souscrit pas aux croyances qu’il invoque.Un pape élu par ses collègues cardinaux s’effondre devant l’ampleur du rôle qu’on lui assigne.

La rencontre de la religion et de la psychanalyse qui est racontée à travers des personnages attachants, démontre la naïveté des deux croyances. Nanni Moretti a sans doute loupé les développement qui auraient été les plus intéressant. C’est a dire le drame intérieur de cet homme mis en question par sa promotion vertigineuse.

Il y avait là matière à spéculer sur la destinée humaine, sur “l’âme”, sur la mort, sur le gouffre de la conscience. Et Michel Piccoli en eut été très capable. Moretti l’effleure seulement et fabrique des longueurs avec une pittoresque partie de volley ball. Ce n’est pas une excuse d’être passionné à titre personnel par cette forme de sport.

On passe un bon moment, on sort un peu frustré. C’eût pu être un chef-d’oeuvre. Allez le voir pendant qu’il est encore temps. Nous en parlons trop tard.

Formidable simplicité

23 septembre 2011,

reprint le Sauvage août-septembre 1991

seulement une citation de Charles-Albert Cingria, la Fourmi rouge, L’Age d’homme éd.

« Eh bien alors…Comprenez que ce n’est pas tout d’avoir de l’argent, du confort, de la vitesse, de la chaleur, des boissons, de l’instruction, de l’éducation, le téléphone, des chiens, de la sensibilité, de l’exquisité, de la finesse, de la répartie, de la maigreur, de la souplesse, de la propreté, de la propriété, des photographies, le fou rire, de la société, le sourire, de la philanthropie. Il y a un moment où l’on éprouve le besoin d’être seul et sérieux et où l’on envoie tout dinguer par-dessus les étoiles. La rue bien nettoyée est à vous : ses arbres, ses chevaux, ceux qu’il y a encore. Un formidable Napolitain pisse contre un mur. On lui parle : il ne parle pas. Son gros regard est chargé, son gros pas fait crisser les pierres. Il est bon : c’est l’homme. Ayez donc un peu d’humanité…

L’homme-humain doit vivre seul et dans le froid : n’avoir qu’un lit -petit et de fer obscurci au vernis triste- une chaise d’à côté, un tout petit pot à eau. Mais déjà ce domicile est attrayant ; il doit le fuir. A peine rentré, il peut s’asseoir sur son lit, mais, tout de suite, repartir… »


Le tigre, l’enfant, la vie

23 septembre 2011,

par Pierre Lieutaghi

Reprint Le Sauvage 1er décembre 1990)

« Sauvage », terme riche de connotations multiples en nous et hors de nous. Il parle aussi bien de puissances natives, brutes, capables de jungles et de printemps, que de nos pulsions les plus destructrices.

Nous appartenons à une civilisation qui rêve sauvage mais qui tend à dégrader les forces fondamentales de la terre et de l’homme. La sauvagerie ne s’entend plus que comme mythe ou violence. A travers les (suite…)

21 septembre 2011,

“Culture et écologie”, car les écologistes ne sont pas des obscurantistes.

LE SAUVAGE N0 9 JANVIER 1974

LE SAUVAGE N0 9
JANVIER 1974

Voilà maintenant treize ans que le Sauvage reparaît sur Internet. Près de deux mille articles sont désormais disponibles, dans lesquels vous trouverez une réflexion écologique fondamentale commencée en 1973 . 50 ans après la création du journal, et au moment où le bouleversement climatique que nous avons créé nous amène au bord du gouffre, il nous apparait nécessaire de montrer une vision radicale de l’écologie, basée sur une transformation urgente et profonde de la société.