C’était un féroce amoureux de la vie. C’était un grand croyant. En la vie. Il s’appelait Edward Goldsmith. On ne l’appelait que Teddy. Il n’aurait pas pu s’appeler autrement.
Il se saisissait la barbe à pleine main pour raconter des épisodes de sa vie d’enfant gâté, qu’il tournait en dérision.
Une campagne électorale dans le Suffolk, en 1969, avec des chameaux, ou bien pour annoncer le réchauffement climatique. Au cours d’une réunion d’Ecoropa, j’ai vu Denis de Rougemont tomber de rire de sa chaise en l’écoutant. Denis était un sérieux à cœur.
Teddy, selon l’humeur, était franco-anglais, franco par sa mère originaire du Bourbonnais ou anglo par son père, membre du parlement anglais. Il a d’abord publié en anglais, puis, avec l’aide de Jean-Marie Chevalier, en français chez Fayard. Un seul de ses titres résume tous les autres : « Changer ou disparaître » Il a lancé en 1969 le premier magazine écologique au monde : The Ecologist. Il a participé au numéro exceptionnel du Nouvel Observateur « La Dernière chance de la Terre » en 1972. Il m’a aidé à lancer le Sauvage un an plus tard. Il y a régulièrement collaboré. En 2000, il a lancé, avec Thierry Jaccaud, l’Ecologiste en français.
Teddy avait la réputation d’être millénariste. Il l’était. Tout ce qu’il a annoncé dès la fin des années 60 finit de se réaliser aujourd’hui : la pollution généralisée des eaux, des terres, de l’air, la surpopulation, la destruction de l’agriculture vivrière, la fonte des glaciers et de la banquise, l’extension de la famine dans le tiers monde… On attend l’accident nucléaire ou la rupture d’un grand barrage.
C’était un insoumis, c’était un visionnaire. Ca n’a pas plu au cœur des vierges amoureuses de la technologie qui n’en finissent pas d’annoncer un avenir glorieux grâce à des solutions miracles. Le jury du Prix Nobel l’ayant loupé, on lui a décerné en 1991 le Right Livelihood Award, le prix Nobel alternatif, entre autres à l’instigation de tous ses amis indiens de la Gandhi Peace foundation. Il peut se vanter de n’avoir pas été compris, ni par les hommes politiques, ni par les universitaires à la solde du pouvoir économique.
Il n’a voulu se déclarer ni de gauche ou de droite. On l’accusait d’être conservateur alors que ses idées étaient révolutionnaires.
En tant qu’anthropologue de formation, il pensait que l’histoire de l’animal humain avait déraillé dès le néolithique. Il pensait que l’adoption de l’agriculture avait été à l’origine de la guerre. On ne risque pas d’entrer dans les Académies avec ce genre de préalable. Même si l’on se passionne pour le modèle de « La Cité antique » de Fustel de Coulanges. Si l’on s’oppose violement aux multinationales et à la Banque Mondiale ou si l’on plaide pour le communautarisme, la convivialité, l’échange…
Il a publié en 2002 une synthèse de ses réflexions sous le titre « le Tao de l’écologie, une vision écologique du monde », (Le Rocher ed.).
Puissent ceux qui s’intitulent écologistes de nos jours, le lire, et s’en inspirer à chaque instant. Même si l’on ne se rallie pas à tous les détails de sa démonstration.
Teddy était amoureux de l’Italie. Il y vivait la moitié de l’année. De sa terrasse il voyait les remparts de la ville de Sienne dont il avait étudié l’étonnant système de gestion municipale, des « contradas » qu’il admirait sans réserves. Il y est mort le 21 août 2009 à dix heures trente, au milieu de ses cyprès. Il avait quatre-vingts ans. Pendant trois ans sa femme Cathy l’a aidé à vivre une lente descente vers l’ombre. Qu’elle en soit remerciée. Que soit également remercié son frère Jimmy qui l’a aidé dans toutes ses entreprises.
Nous avons côtoyé un prophète. Il n’a pas été compris par un establishment politique et économique aveugle et sourd. Nous avons partagé son enthousiasme, sa drôlerie, sa simplicité.
On ne peut s’empêcher dans l’église Saint Thomas d’Aquin où nous nous trouvons de faire un rapprochement. Thomas a bouleversé l’histoire de l’Eglise par son enseignement théologique. Teddy risque d’avoir lui aussi une influence déterminante sur l’avenir des sociétés humaines par son analyse radicale de l’impasse écologique dans la quelle nous sommes engagés.
C’était un grand homme. C’était notre ami.