Le Solaire Direct 2/2 : l’agriculture

1 mars 2024,

Suite du dossier sur le Solaire Direct, c’est-à-dire l’utilisation directe d’électricité photovoltaïque sans stockage (sans batteries).

Plaçons nous dans le contexte d’un monde en décroissance forte, en raison de la fin des ressources énergétiques à bas coût, de la fin des ressources minières à bas coût, en raison des perturbations du climat, en raison de tous les troubles sociétaux associés. Dans 20 ans par exemple.

Le photovoltaïque sera toujours là, et aura même progressé vers une empreinte écologique minime, grâce aux pérovskites, vers une industrialisation presque propre. On espère en effet imprimer les pérovskites sur n’importe quelle surface. Il y aura peut-être des batteries plus propres, ce qui changerait la vocation de cet article, mais on n’en voit toujours pas la couleur malgré plus d’une centaine d’années de recherche.

Le pétrole devenant rare, les agrocarburants étant peu disponibles (et n’étant pas une solution viable pour de multiples raisons), il viendra un moment où le coût d’exploitation des machines agricoles thermiques ne sera plus compatible avec les impératifs économiques de la production. Mêmes si les dernières gouttes de pétrole-à-bas-coût seront affectées prioritairement à l’agriculture, dans les pays qui peuvent le garantir et l’organiser, il est évident que la mutation post-pétrole-à-bas-coût nécessite un changement de paradigme très important.

Une machine à assistance électrique de l’Atelier Paysan. Il y a encore des batteries, mais nous allons voir qu’on pourrait s’en passer.

Les petites surfaces pourront continuer à utiliser la traction animale, la main d’œuvre humaine, ou bien une mécanisation simple à pédales associée à une assistance électrique, comme certaines machines de l’Atelier Paysan. Mais les immenses surfaces, généralement consacrées aux céréales, continueront à être mécanisées, en culture agroécologique, pour des raisons de manque de mains d’œuvre, de manque d’animaux de traction ou d’infrastructures associées.

Un tracteur électrique dernier cri, mais ni écologique, ni résilient. Réservé au green washing et aux amateurs de prêts sur 20 ans.

Dans les pays riches, les marchés financiers et industriels liés à l’agriculture nous vendent actuellement le modèle de la croissance verte, à base de mobilité électrique: le tracteur électrique sur batteries, ultra-connecté, c’est-à-dire truffé de matériaux et technologies non résilientes par leur complexité et leur sourçage, et le prêt sur 20 ans qui va avec.

Mais tous les spécialistes des ressources sont formels pour signaler qu’il n’y a pas assez de ressources énergétiques et minières sur terre pour remplacer les véhicules thermiques par des  véhicules électriques. Les excellentes analyses documentées de Bihouix, Pitron, Stephant, Meilhan, Jancovici ou Izoard sont tout à fait claires sur le sujet.

Nous n’avons pas le choix: il est impossible de généraliser une électrification de l’agriculture avec des machines hightech sur batteries. A terme, seules les basses technologies, les technologies appropriées,  sont réalistes: basées sur un modèle de construction sobre, solide, réparable et recyclable, c’est à dire conçues et commercialisées en matériel libre (open source hardware).

 

Transformation d’un mini-tracteur thermique en tracteur électrique (voir notre article sur le rétrofit).

C’est dans ce contexte que l’on peut imaginer des équipements agricoles à solaire direct. Ce n’est pas une utopie, non seulement, parce que toutes les technologies qui vont être décrites ci-après sont actuellement réalisables à peu de frais, mais aussi parce que le solaire direct est déjà l’orientation technologique actuelle dans certains pays pauvres.

Panneaux sur remorque pour irrigation en solaire direct au Pakistan

Ainsi l’irrigation, en Inde ou au Pakistan. L’eau existe dans certaines zones agricoles, mais il faut la pomper très profond. Depuis une dizaine d’années, c’est-à-dire le début des panneaux photovoltaïques à bas coût, on peut voir des pompes énormes fonctionner en solaire direct. Pompe et panneaux sont amenés auprès des puits. Les panneaux sont articulés sur des remorques, appelées “Solar Trolley”, et se déploient exactement comme sur les satellites, avec toutes sortes de puissances, de la centaine de watts à plusieurs kilowatts, en courant continu comme en alternatif. Ces remorques sont tirées à l’endroit voulu par les véhicules disponibles sur place, tracteurs, voitures, motos, et même animaux de trait.

 

Ici, au Pakistan, les panneaux arrivent en moto.

6 kilowatts pliés en accordéon sur cette remorque, avant déploiement

Petit modèle de 800 W environ. Au Pakistan, tous ces “solar trolley” sont  autoproduits, ou produits par les artisans du coin, avec des panneaux indiens ou chinois.

On voit également des installations en fixe, comme ci-dessous en Inde, ce qui nous ramène à l’agrivoltaïsme, dont Le Sauvage dénonce des effets pervers dans certains cas, mais pas le principe en lui-même.

Socle fixe mais panneaux orientables

Il est donc possible d’apporter de l’énergie jusqu’aux champs, et de l’exploiter pour l’agriculture. Reste à la transmettre à la machine agricole, tracteur, moissonneuse ou autre système. C’est ici que nous proposons d’imaginer plusieurs stratégies low-tech et résilientes.

Attention: Les exemples ci-dessous ne sont pas des solutions abouties, mais quelques propositions de concepts parmi des dizaines à explorer.

Il reste au génie humain (des utilisateurs) à finaliser ces machines. Car, comme pour l’Atelier Paysan, comme pour des million d’agriculteurs dans le monde qui fabriquent leurs propres machines, c’est le paysan ou la paysanne qui sont les mieux à même de concevoir, ou réaliser, des outils adaptés à leurs besoins et à leur territoire.

Stratégie 1 : Tracter l’outil agricole, à partir du bord du champ

Dans ce concept, il faut amener le courant électrique photovoltaïque au bord du champ. Puis tirer l’engin agricole, une charrue par exemple, à partir du bord du champ. Ce dispositif, ci-dessous, est en usage en Europe de l’Est.

Le câble sur le sillon labouré n’est pas un câble électrique mais le câble tracteur qui tire l’outil agricole (ici, une charrue)

 

La charrue, tractée par un câble fixé sur un anneau central

 

 

 

 

L’enrouleur du câble tracteur. Un module équivalent tracte de l’autre côté du champ pour labourer au retour, dans l’autre sens.

Ici, en Russie, un enfant s’amuse en faisant poids. Dans ce modèle à un seul enrouleur de traction, c’est peut-être lui qui ramène la charrue pour un nouveau sillon. (vidéo)

L’enrouleur électrique du câble de traction, en bleu et jaune, tracte le module “Charrue”, puis se décale pour effectuer le sillon suivant. L’alimentation électrique pourrait être sur un autre enrouleur qui mènerait aux panneaux photovoltaïques installés au bord du champ. Un module équivalent tracte la charrue pour le trajet retour, de l’autre côté du champ, après inversion du soc. L’ensemble du système de retour et d’inversion peut être automatisé de façon électro-mécanique ou mécanique, par exemple avec des “témoins” vissés sur le câble au moment du réglage. Le système d’avance du module tracteur le long du champ peut également être automatisé de façon électro-mécanique.

 

Stratégie 2: Le courant est transmis par câble à l’engin agricole

 

Dans ce bricolage hasardeux en Europe de l’Est, le courant 230V est transmis au moteur par une grande rallonge…valable pour un petit jardin.

Dans ce concept, on envoie le courant jusqu’au module tracteur électrique, par câble électrique déroulable. Dans le cadre d’une très grande exploitation, il faut imaginer que le dérouleur de câble électrique est embarqué sur l’engin agricole, par exemple tracteur ou moissonneuse, afin d’être piloté en rotation synchrone avec le déplacement. Courant alternatif obligatoire pour limiter le diamètre du câble électrique. On y utilise le même genre de principes physiques et de mécanismes que les arrosages géants actuels à base de tuyaux déroulables dans les champs de maïs industriels.

On peut également imaginer un principe de trolley, à l’image des tracteurs trolley pour péniches en bord de Seine à Paris, ou bien à l’image du trolley de campagne de 1882 à Berlin, comme présentés sur notre article sur les véhicules électriques sans batterie . Mais dont les caténaires seraient déplaçables, éventuellement automatiquement,  pour couvrir tout le champ.

Dans des serres, des caténaires pourraient être équipées en fixe, sous forme de rails d’aluminium suspendus à la structure de la serre (en basse tension DC pour des raisons de sécurité). Le tracteur électrique ci-dessous, actuellement sur batteries lourdes et couteuses, pourrait parfaitement utiliser le principe du trolley,  y compris pour revenir jusqu’à son hangar.

Stratégie 3: remorquer son énergie dans le champ

 

Sur d’immenses surfaces, par exemple des champs de céréales qui font plusieurs kilomètres de long, comme on en voit partout dans le monde. Il est imaginable que la machine agricole tracte une remorque photovoltaïque qui l’alimente en direct. Cette remorque longiligne, ou bien composée d’un train de remorques légères, dispose de panneaux, éventuellement orientables. Un panneau de 540W pèse environ 20kg. Un tracteur optimisé (plus léger car sans batteries) peut s’imaginer avec un moteur à partir de 15 KW, au lieu des 60KW en moyenne sur les tracteurs électriques actuels. En effet, les techniques agro-écologiques ont besoin de moins de puissance, et de moins de vitesse. Les manœuvres de retournement de remorque (ou non) en bout de champ pourraient se faire à l’aide d’un stockage électrique léger sur supercondensateurs, peu polluants et extrêmement durables.

 

Un agrivoltaïsme éthique est donc à étudier d’un nouvel oeil, à l’aune du solaire direct, car il peut être une des solutions appropriées pour bénéficier d’énergie au plus près des champs, afin de ne plus émettre de gaz à effet de serre, ne plus être dépendant du diésel pour l’exploitation des surfaces agricoles.

Il est évident que cette mutation ne peut actuellement pas surgir du marché, en tout cas dans les pays riches, mais des paysans avertis. Il est probable également que ce soient les pays pauvres, habitués à la sobriété et à la résilience technologique, qui soient les moteurs du changement de paradigme inévitable issu de la raréfaction des ressources….