par Alain Hervé
Cette somme de six cents pages est dans l’ensemble une entreprise de dédiabolisation d’Albert Camus et de mise en valeur de sa pensée, qualifiée pour l’occasion de libertaire. Pourquoi pas ? Il s’agit en effet de révéler la conspiration mise en place par Sartre et Beauvoir pour salir et discréditer Camus. En avait-on, -il, besoin ? Sans doute en ces temps de bigoterie politiquement correcte.
Camus à nos yeux n’a jamais été atteint par la bave des susdits. Mais pour certains c’était effectivement nécessaire. Nous avons déjà parlé de Camus et de Noces, ce texte initiatique pour notre génération, sur ce site. Nous n’y reviendrons pas.
Onfray fait surtout œuvre à nos yeux de démystificateur de cet énorme courant bien pensant qui a paralysé les intellectuels français pendant des décennies. Sartre et Beauvoir en étaient les imprécateurs et les censeurs. Heureusement jamais le pouvoir politique ne tomba entre leurs mains.
Que le marxisme ait apporté de nombreuses analyses pertinentes de l’évolution de nos sociétés nous ne le contestons pas mais de là à en faire des Tables de la loi mosaïques, il y a de la marge, beaucoup de marge.
On peut penser en dehors du marxisme, ce qui rend rafraîchissante la lecture du pavé onfryen.
Pour ce qui en est de la philosophie, qui est philosophe ? Est-ce celui qui est diplômé de philosophie ? Selon Onfray ce n’est pas suffisant. Tout au plus obtient-on des professeurs de l’histoire de la philosophie. Le vrai philosophe est « philosophe artiste » c’est à dire selon Nietzsche le contraire du philosophe universitaire. Onfray qui souscrit à cette définition, précise : « le philosophe artiste engage sa vie dans son œuvre et son œuvre dans sa vie – du moins il essaie » (p.92) Hegel est quant à lui désigné comme « le prototype du penseur institutionnel, incapable de mettre en relation son œuvre et sa vie ». Sartre dont ce fut le maître, en est un autre. Tandis que Camus accède au statut suprême du penseur dionysiaque. Dois-je dire à quel point je me réjouis de cette réhabilitation. J’ai eu jadis un remarquable professeur de philosophie au lycée Condorcet qui s’appelait Pierre Viali , c’était un admirable philosophe artiste, qui lorsque nous lui rendions visite dans son pavillon de banlieue nous mettait une pelle dans la main et nous faisait déplacer son tas de charbon en guise de propos philosophique. Maurice Maschino lui a rendu hommage.
Le livre d’Onfray souffre du travers habituel de cet auteur, la surcharge. Son lecteur s’essouffle, saute des pages, mais revient sur ses pas et découvre de nouveaux gisements. Merci lui soit rendu pour cette somme que l’on rangera dans sa bibliothèque en y revenant de temps à autre. Un seul reproche : avoir angélisé Camus.
Nobody is perfect. Certes Camus a enchanté notre adolescence avec son Noces à Tipaza. (voir mon précédent article) Mais sa Peste n’atteint pas la stridence du Hussard sur le toit et son Homme révolté ainsi que son Mythe de Sisyphe ne sont pas à la hauteur du Gai savoir ou d’Ainsi parlait Zarathoustra. On se souviendra qu’il fut un des seuls Français à conserver la hauteur nécessaire lors de la guerre d’Algérie.
Je voudrais redire à Michel Onfray qu’il n’a pas rendu son dû au peintre algérien Sauveur Galliero, ami de Camus et son coturne à Alger lorsqu’il écrivait l’Etranger. Il lui emprunta de nombreux traits de caractère pour son personnage. Sauveur incarnait un Algérois du bord de mer sans autre domicile fixe que le soleil. Sauveur fut un philosophe artiste qui n’écrivit jamais une seule ligne