Parasites manipulateurs

17 juin 2012,

par Ghislain Nicaise

Contrairement à ce que des esprits chagrins et/ou peu républicains pourraient supposer, il ne s’agit pas de politique mais de biologie, de la biologie du baiser plus précisément.

Le 15 juin sur France-Inter dans l’excellente émission La tête au carré, des scientifiques ont été interrogés sur le thème des parasites manipulateurs. Ces parasites, des virus, bactéries, champignons, vers…agissent sur le comportement de leur hôte pour faciliter leur propre reproduction. On enseigne dans les universités plusieurs exemples classiques comme celui de la petite douve qui paralyse la fourmi hôte en haut d’un brin d’herbe, ce qui facilite l’ingestion par le mouton, hôte ultérieur nécessaire à la complétion du cycle parasitaire.

Pendant que j’écoutais l’émission, je me suis souvenu d’un article paru dans “Le Monde” du 24 mars dernier intitulé “Flore intestinale. Le cerveau sous influence“. Le chapeau de l’article présentait ainsi le sujet : “Notre tube digestif héberge en moyenne 200 espèces de bactéries. On les sait indispensables à la digestion, on les découvre essentielles à la maturation de notre système immunitaire. Plus surprenant encore, elles seraient capables d’interagir avec notre cortex.” Cette interaction a été illustrée dans l’article par l’exemple de deux souches de souris, les souris timides et anxieuses d’un côté, les souris hardies et exploratrices de l’autre. Leurs flores intestinales sont différentes. On peut tout simplement inverser le comportement de ces deux souches en transplantant la flore intestinale d’une souche dans le tube digestif de l’autre souche. Ce résultat remarquable est obtenu des hardies vers les timides comme dans l’autre sens. Plusieurs indices permettent de penser que les bactéries de la flore intestinale produiraient des substances neuro-actives.

Il n’y a aucune raison pour que le comportement des Mammifères bipèdes de notre espèce ne soit pas aussi modulable par les sécrétions des microbes dont nous transportons environ 1 kg dans nos intestins. Il ne s’agit pas de parasites mais de symbiotes, la relation de symbiose étant à bénéfice réciproque. La différence n’est pas considérable si l’on admet que toutes les symbioses étaient probablement au départ des situations de parasitisme qui ont bien tourné. De plus les symbioses se sont établies sur des périodes de temps a priori supérieures à celles du parasitisme, ce qui augmente encore les chances d’interactions multiples entre les symbiotes.

Le corps d’un adulte en bonne santé héberge à peu près 1,2 kg de microorganismes. Les quelques 200 grammes qui ne sont pas dedans sont étalés dehors, sur la peau. Le bénéfice est réciproque. L’avantage pour ces microbes est évident si l’on prend seulement en considération la pullulation de l’espèce humaine. L’avantage pour les humains peut être mis en évidence très simplement : si vous stérilisez votre peau par des lavages trop fréquents (comprenez plusieurs fois par jour) vous verrez apparaitre des irritations dues aux microbes infectieux qui trainent partout, les staphylocoques dorés par exemple. Ils vont occuper la place laissée libre par les gentils staphylocoques blancs ou les lactobacilles qui prospèrent sur la peau saine. Que les spécialistes excusent la simplification excessive de cette explication, il y a bien entendu plus d’espèces de bactéries en cause, de souches de virulences diverses mais aussi des levures etc…

Je suis intrigué depuis de nombreuses années par la sociologie du baiser. Je ne veut pas parler du baiser mouillé qui aurait entre autres l’avantage de faire partager une bonne dose de testostérone. Non, il s’agit ici du chaste bisou appliqué souvent deux fois sur les joues, parfois trois voire quatre fois. Ma première interrogation sur ce sujet s’est imposée à la suite de l’observation de la foule à l’entrée du collège fréquenté par mes enfants. Dans ma jeunesse, les adolescents ne se touchaient pas, ne se serraient même pas la main en arrivant au lycée (j’avais le rare privilège d’être scolarisé dans un lycée mixte).

Il est évident que cette pratique a pour conséquence involontaire de propager la flore cutanée. Il est évident aussi que ce comportement a de fortes corrélations avec le genre, l’âge et le statut social des personnes participantes. Ce qui m’intrigue c’est l’évolution au cours du temps, quasi épidémique, seulement freinée mais pas stoppée par les tabous coutumiers. Le bisou de bienvenue était d’abord hétérosexuel, il était précédé par un simple serrement de main lors de la première présentation. Maintenant, il est de rigueur, en dessous d’un certain âge, lors de la première rencontre entre filles et garçons. Depuis quelques années il est en train de se répandre entre adultes mâles hétérosexuels n’ayant pas de lien de parenté, certes pas (ou pas encore ?) au cours de la première rencontre mais bon… L’explication facile est bien entendu qu’il s’agit d’une mode, ou d’une libéralisation des moeurs, d’une diminution du sexisme. Peut-être serait-il raisonnable, “normal”, de s’en tenir à cette interprétation. Toutefois je propose aux jeunes chercheurs tentés par le prix Ig Nobel le sujet suivant :

Production de molécules neuroactives par le microbiote prélevé sur la face d’humains en bonne santé. Corrélations avec l’âge, le sexe et le comportement de rencontre.

Ghislain Nicaise