Bernard Maris vous parle de consommation

27 février 2015,

I shop therefore I amBernard Maris : “…la surproduction survalorise la consommation et exacerbe les besoins. L’idéologie de la croissance dit, avec une horrible simplicité, qu’il faut travailler beaucoup pour acheter beaucoup. Et c’est reparti vers les voitures, les téléviseur, les téléphones, la micro-informatique et les médicaments, inutiles à 80 %. Derrière ce grand ronflement de la production-consommation, cette chaudière qu’est devenue la croûte terrestre, se cache une énergie, le pétrole, incroyablement bon marché. Elle part en fumée et en gaz à effet de serre, elle permet aussi bien de fabriquer des ordinateurs que de transporter par avion des pommes ou des fraises du Chili, pour les proposer sur les marchés parisiens à des prix dérisoires…

On est en plein dans la fable romaine “des membres et de l’estomac” : les membres se révoltent et quittent l’estomac, ce paresseux qui s’engraisse à leurs dépens. Peu à peu les membres dépérissent, car l’estomac ne leur transmet plus d’énergie et ils reviennent vite se souder au corps. Dans le capitalisme, les ouvriers sont à la fois les membres et l’estomac. Ils travaillent plus, pour se gaver plus encore, le tout dans une interminable frustration.

En fait, le paradoxe est étonnant : plus j’ai à consommer, plus je suis frustré. Les économistes ultra-libéraux…ont bien compris que la seule vraie rareté, la rareté fondamentale, existentielle, était celle du temps humain. Plus je vais vite, moins je dispose de temps, car s’offrent à moi, comme sous l’effet du stroboscope, des milliers et des milliers de possibilités de consommer. Le capitalisme fait ainsi d’une pierre deux coups puisqu’il “résout” par la même occasion cette question fort embarrassante pour les humains : celle de l’ennui…L’ennui est le prix de l’excès de temps, la part maudite du poète, le spleen de Baudelaire. L’excès de temps, lui, est le privilège de l’oisif. Quelle horreur ! Avoir du temps ! Vite, utilisons le ! Le stress, en revanche, est le prix du manque. A l’ennui, le capitalisme a substitué le stress ou l’angoisse.”

2006. Antimanuel d’économie 2. Les cigales.