Plaidoyer pour les arbres

27 septembre 2015,

 

thPar Roland de Miller

Jadis dans nos campagnes, les bienfaits des arbres et des haies ne se limitaient pas à leurs fonctions utiles par rapport au ruissellement, à l’érosion, au régime des vents ou aux productions végétales : l’arbre, et notamment le vieil arbre, était reconnu comme créateur de joie et de beauté. Cheminer sur une allée ombragée est un vrai bonheur. Tout ce qu’il y a en nous de désir de joie, de capacité d’émotion esthétique et d’amour de la liberté trouve dans les arbres un objet dont la satisfaction ne s’épuise jamais. Ils sont des marqueurs de l’espace, comme l’ossature, l’ancêtre et la mémoire d’un paysage, ils donnent au village sa physionomie propre, ses repères, son écrin de verdure. À vrai dire, ils font partie de notre famille, ils sont liés à nous, individus d’une autre espèce mais de la même communauté vivante. Rien de tel que des bois et forêts pour révéler l’âme d’un pays et par suite pour entretenir chez les habitants le sentiment vif de l’amour de leur terre. Mais quand vous habitez loin des arbres, au milieu du béton, entre l’autoroute et la zone commerciale, ou entre la raffinerie et le cimetière, croyez-vous que vous allez ressentir l’amour de la terre ?

Dans plusieurs provinces de France, on avait coutume autrefois de planter un arbre à la naissance d’un enfant ou à un mariage. La raison de cet acte rituel est le lien mystique entre l’homme et l’arbre : tous deux partagent le même destin. Mais aujourd’hui tout prétexte est bon pour abattre des arbres, et cela revient à poignarder les enfants (qui grandissent sans plus aucune référence). Certains agriculteurs français, particulièrement, ont la haine de l’arbre (dendrophobie) et suppriment haies et bosquets à coup de tronçonneuses, sans aucune raison objective, dans l’inconscience des services rendus. Leurs comportements sont donc les mêmes avec les humains. On a parfois l’impression que ces hommes sont nés avec un bulldozer dans la tête (beaucoup moins les femmes). La prétendue rationalité économique est fausse et mensongère, mais elle est enseignée dans les lycées agricoles avec la force d’une loi absolue.

Les arbres, les vieux arbres, isolés ou en groupe, sont essentiels à notre écologie psychique, c’est-à-dire notre santé mentale. Quel spectacle résonne le plus en nous qu’un arbre dressé dans le vent ou adossé à une vieille demeure ? L’arbre constitue l’une des formes les plus parfaites et les plus harmonieuses du monde végétal. Francis Hallé, professeur de botanique tropicale à l’université de Montpellier, s’est adressé aux élus de France pour essayer de leur faire comprendre que les arbres des villes sont nos meilleurs alliés parce qu’ils sont beaux et utiles.[1]

Des millions de jardins « propres en ordre » forment aujourd’hui une nation tout entière galvanisée dans le culte du « progrès » et de la croissance économique. En quelques décennies on a vu la France passer de la « peur de la nature »[2], bien stigmatisée par le naturaliste François Terrasson dans son livre devenu célèbre, à la « haine de la nature »[3] dénoncée par le philosophe Christian Godin. Cette haine s’y pratique au quotidien : à mes yeux, le fanatisme de l’herbe rasée, des haies déchiquetées à l’équarisseuse, comme de la terre brûlée aux herbicides ou nivelée au bulldozer, relève d’une urbanité agressive et, pour tout dire, d’une logique de stérilisation militaire et barbare. Je mets en parallèle cette montée de la violence vis-à-vis de la nature avec la montée de la violence sociale. À l’autre bout de la chaine, il y a les attentats islamistes ; c’est la même chaîne d’irrespect et d’incivisme. Mais il apparaît que les particuliers sont globalement moins destructeurs et plus respectueux que les municipalités et les services publics, soumis à une technocratie aveugle.

Une politique urbaine extrêmement contagieuse pousse désormais les élus à raser le patrimoine vivant de leurs villes sous prétexte de modernité : on abat les grands arbres, même quand ils sont classés « remarquables », pour les remplacer par des baliveaux minables (aux essences exotiques et coûteuses) sur des places minérales et des rues monotones. On peut dresser, hélas, une longue liste noire des villes de France qui ont vu disparaître ces dernières années leur patrimoine arboré urbain[4]. Les élus socialistes ne sont pas moins frénétiques que leurs acolytes libéraux dans la bétonisation néo-stalinienne du territoire. Plus les municipalités se gargarisent avec le « développement durable », plus elles coupent les arbres d’alignement ou de parcs au profit de travaux de voirie, de ronds-points, de parkings, de stades, de promotions immobilières ou de places nues sans ombrage, alors que la fréquence des canicules augmente. Leurs choix sont dictés par des corruptions et des fraudes. C’est une vraie maladie collective. Des lobbies très puissants comme Vinci proposent aux services municipaux partout les mêmes revêtements de sols dont la brillance et la chaleur sont insupportables en été. Et les quelques arbres qui restent sont rognés et mutilés outrageusement, ce qui représente autant de points d’entrée pour les parasites et les insectes. Les arbres taillés n’ont plus de rythmes normaux.

Par rapport aux autres pays européens, en France on est des moins que rien tant dans la connaissance des arbres, que dans leur respect ou leur élagage. Les services municipaux coupent les platanes simplement parce qu’ils refusent désormais de ramasser leurs feuilles mortes. Ils taillent les palmiers en hiver au lieu de l’été parce qu’à cette saison ils ont moins de travail. Les employés sont obligés d’obéir aux ordres de rationalité absolue et mortifère. Les traitements mécaniques et chimiques ont toujours la priorité. Les cas de gestion patrimoniale et écologique ne sont que des exceptions. Le Ministère de l’Agriculture a récemment homologué un pesticide de Syngenta, reconnu hautement cancérigène et mutagène, à injecter dans le tronc des palmiers pour lutter contre le charançon rouge (« endothérapie »). N’est-ce pas une forme de nazisme ?

Certains arbres sont-ils en effet malades ? Les citadins devraient se demander plutôt ce qui est malade dans leurs têtes au point de rendre malades les arbres, puisque le psychisme humain a une influence sur la Nature (écopsychologie). Et moins il y a d’arbres, plus on consomme des antidépresseurs, … sans faire le rapprochement ![5] Le cardiologue québécois François Reeves, neveu du célèbre astrophysicien Hubert Reeves, a établi scientifiquement la corrélation entre la pollution atmosphérique (accentuée par la disparition des arbres) et l’augmentation des crises cardiaques. En ville, nous vivons donc confinés comme des prisonniers, condamnés à la suffocation respiratoire, à la privation sensorielle, à des comportements consommatoires et à des réactions d’agressivité. C’est alors que peut naître éventuellement la pulsion de délinquance et de mort. Si nous ne gardons pas des jardins et des buissons abondants, nous n’entendrons plus le chant des oiseaux buissonniers comme la fauvette à tête noire, le rouge-gorge, la linotte mélodieuse, le rossignol[6], le merle noir et la grive musicienne. Mais le combat pour la végétation urbaine ne sera fort, déterminé et durable que s’il sait s’appuyer sur une culture et une philosophie de l’arbre, devenues à vrai dire presque totalement absentes chez les Français. Qui connaît encore les bons écrivains forestiers comme Jean Nesmy, André Theuriet, Jacques Chevalier ou Georges Plaisance ?

Et sur toutes les routes de France, je suis horrifié et presque meurtri dans ma chair quand je vois les haies, lisières et talus déchiquetés au girobroyeur[7]. Je dénonce la névrose des services routiers et municipaux qui partout en France vandalisent et guillotinent les arbres. A-t-on peur que les herbes folles risquent de masquer la visibilité de nos chers automobilistes ? Le débroussaillement anti-incendie en Provence n’est absolument pas justifié et appauvrit la faune sauvage. L’administration cherche surtout à rentabiliser l’armée des engins de chantier ! Ce que l’on fait aux arbres, on le fait à moi-même ! Qui dira le charme des haies de noisetiers au printemps ? On dirait que le marasme économique pousse désormais les collectivités, les administrations et les entreprises dans une frénésie d’éradication du végétal et notamment des arbres et arbustes. Sont-elles conscientes qu’elles créent un monde absurde qui donne le cancer à tous et pousse les jeunes à se droguer et à se suicider ? Et sur les autoroutes, comment protéger les automobilistes des canicules si les aires de repos n’ont aucune ombre ? La première priorité de la lutte contre le réchauffement climatique serait de ne pas abattre des arbres là où vivent les gens.

Désolé, le tableau est bien sombre, mais il est clair ! Je salue l’espoir qu’évoque Alain Baraton, le maître-jardinier de Versailles, quand il dit La haine de l’arbre n’est pas une fatalité[8], mais en même temps je crains qu’il ne se trompe car la haine de l’arbre est bien un résultat logique de la culture anthropocentrique et décadente actuelle. Comment enseigner le respect avec des services municipaux et routiers qui manifestent presque partout cette haine des arbres ? Leur mépris, leur incapacité à mettre en actes l’éducation à l’environnement, rend suspect et dérisoire leur prétendu intérêt pour l’environnement. Mais on n’a pas le droit de le dire, cela fait partie des vérités qui dérangent !

En même temps, un autre avenir se dessine. Après les poètes et les philosophes, à notre époque tournée vers les réalisations pratiques, plusieurs psychologues, thérapeutes et maîtres de sagesse ont montré le pouvoir énergétique des arbres, leurs vertus thérapeutiques et leur aide dans notre transformation intérieure et dans des voies de méditation spirituelle. C’est le cas notamment de René Strassmann, Patrice Bouchardon, Erwann Theobald, Mario Mercier, Maja Kooistra et Petra Sonnenberg[9]. La force des arbres, les vibrations qu’ils « émettent », déclenchent des émotions, éliminent des blocages et nous relient directement à la force de vie inépuisable de la Terre-Mère. Les qualités que nous aurons ainsi débloquées nous aideront à dépasser certains maux physiques, à trouver les ressources nécessaires à l’issue d’une crise émotionnelle, à prendre conscience et à dépasser des conditionnements mentaux ou à répondre à des interrogations spirituelles ou métaphysiques. Des millions de gens vivraient moins stressés et plus heureux s’ils avaient seulement conscience de tout ce que les grands arbres peuvent leur apporter.

Mais en vérité, pourquoi les gens sont-ils si méchants avec les arbres ? On ferait une erreur en croyant que ce n’est qu’une affaire de profit financier. La réponse est dans l’écologie intérieure des individus et de notre société névrosée. La réponse s’inscrit en continuité avec une société où le crime est banalisé, voire excusé : on abat un arbre comme on règle son compte à un concurrent trop gênant, pour de l’argent certes mais surtout pour affirmer sa supériorité. C’est faire œuvre démoniaque que de tuer ainsi des êtres vivants. En vérité abattre les arbres, jadis sacrés (pour des raisons religieuses et économiques), relève d’une culture patriarcale de domination et d’irrespect qui cherche à juguler sentiments et émotions. La beauté et la liberté de jouir doivent être matées selon nos principes machistes. Voilà assurément la mise à mort du Féminin. Combien de propriétaires de villas prétentieuses, style Dallas, ont la rage de couper les arbres et de défricher, la rage de traiter chimiquement les « mauvaises herbes » ! La végétation spontanée, « ça fait sale ! ». « Il faut faucher la végétation pour ne pas être envahi par la vermine », disent-ils. Ils affirment agressivement leur droit imprescriptible de faire ce qu’ils veulent chez eux. C’est comme la haine du loup, la rage de vacciner ou celle de tout aseptiser ou javelliser, c’est supprimer la vie spontanée et libre. Certains jardiniers se comportent comme de terribles dictateurs… La facilité actuelle à se procurer dans le commerce une tronçonneuse, un tractopelle, un quad, un bidon de pesticide, un revolver ou un fusil de chasse fait de tout consommateur moderne un assassin en puissance. On dénonce à juste titre braconniers d’éléphants et trafiquants d’ivoire en Afrique mais a-t-on le courage de dénoncer nos pratiques courantes de consommation ici même en France ? En regard de ces comportements égoïstes ouvertement encouragés et répandus même chez le modeste ouvrier, comment veut-on que les élites économiques et politiques de la France ne prennent pas elles aussi des décisions anti-écologiques ? Il faut voir les choses en face : dans leur immense majorité, en eux-mêmes ou par procuration, les Français sont des assassins de la Nature ! Ils n’en ont rien à faire des arbres ; ils préfèrent polémiquer sur la politique ! Bien des agriculteurs atteints par des cancers dus aux pesticides ou ayant des parents déjà morts du cancer continuent leurs traitements « phytosanitaires » jusqu’à leur mort. Bien des maires à qui l’on explique le rôle vital des arbres continueront leurs travaux de voirie coûte que coûte, tant qu’ils ne seront pas mis en prison jusqu’à la fin de leur repentir ! Les consommateurs préfèrent massacrer et même se tuer sur les routes (culte de la vitesse automobile) plutôt que de renoncer à leurs croyances. La religion de la croissance et du progrès technique et industriel est la plus indéracinable parce qu’elle repose sur les valeurs dominantes de puissance et de domination, alors que le paradigme écologique repose, lui, sur des valeurs féminines de compassion, de coopération et de bienveillance.

L’artificialisation du cadre de vie et des mentalités est un syndrome propre à l’ère industrielle, c’est-à-dire encore trop récent pour être reconnu comme un fait notoire de notre sombre histoire culturelle. Mais derrière ces comportements pathologiques d’éradication reste en filigrane l’empreinte du catholicisme bourgeois et anti-païen (coupé de la Terre-Mère). Peu de gens ont encore compris la responsabilité de nos croyances judéo-chrétiennes dans nos comportements de domination et d’exploitation de la nature. Mais je sais que détecter les causes profondes du Mal, les exposer aux yeux de tous ne peut être bien accueilli : la psychose se défend et refoule la vérité.

 

Roland de MILLER

 

Francis HALLÉ :

 

Déjà en 1960 l’écrivain italien Luigi Pirandello s’indignait : « Ainsi défigurés, mutilés avec une savante barbarie, à qui peuvent-ils désormais paraître vraiment beaux et faire plaisir, ces arbres ? Je confesse, quant à moi, qu’ils me donnent un sentiment de dégoût, comme si l’on m’offrait un spectacle de perpétuelle torture. »[10]

 

Roland de MILLER

 

Extrait du livre à paraître : Célébration de la Beauté. Écologie profonde : la Femme, la Nature, l’Art et la Spiritualité. © Roland de MILLER

 

 

 

 

 



[1] Francis HALLÉ : Du bon usage des arbres. Un plaidoyer à l’attention des élus et des énarques. Actes Sud, 2012. Cet ouvrage comporte 10 commandements pour les arbres, dont celui de l’honnêteté : « Ne croyez pas – et ne tentez pas de faire croire – que dix jeunes arbres vont remplacer un grand et vieil arbre abattu : c’est une contrevérité sociale, écologique et financière. »

[2] François TERRASSON : La Peur de la nature. Au plus profond de notre inconscient, les vraies causes de la destruction de la nature. Sang de la Terre, Paris, 1ère édition 1988. 5e édition 2007.

[3] Christian GODIN : La Haine de la nature. Éditions Champ Vallon, coll. L’Esprit libre, 2012.

[4] J’ai recensé ainsi plus de quarante villes, parmi lesquelles : Bagnolet, Besançon, Bordeaux, Cahors, Carcassonne, Coutances, Dijon, Gap, Grenoble, Laval, Le Blanc, Lyon, Marseille, Meaux, Metz, Montélimar, Mulhouse, Nancy, Nîmes, Paris 16e, Poitiers, Rennes, Rouen, Tain l’Hermitage, Tours, Soulac-sur-Mer, Valence, etc. Ces massacres se font le plus souvent sans concertation des habitants, avec la tristesse résignée de ceux-ci, parfois sous protection policière face à la mobilisation citoyenne (Nîmes …). Et même dans les cas rares de procès en justice, les municipalités vandales obtiennent gain de cause et imposent les abattages. Les élus ambitieux doivent faire vite pour pouvoir laisser les traces de leur mandat !

[5] Au cours des dix dernières années, les ventes d’antidépresseurs ont doublé.

[6] Peut-on écouter l’exhortation du poète russe Maïakovski : « Ne tuez pas les rossignols, camarades, sinon qui chantera dans vos nuits d’été ? »

[7] Voici le témoignage de Marie-Claude Terrasson : « Le 6 janvier 2006, quand le corbillard emmenait la dépouille mortelle de François Terrasson, de Moulins au cimetière de St Bonnet Tronçais, il y avait devant nous une équarisseuse qui s’attaquait à une haie de noisetiers en pleine vigueur, comme pour narguer pour une dernière fois le défenseur du bocage. Et le lendemain de l’enterrement, juste au-dessus du cimetière, a été abattu le chêne de Morat, planté sous Colbert. C’était comme abattre un dieu. Mais François, moins pessimiste qu’il n’y paraît, aurait dit que c’était un passage obligé pour faire germer la graine de résurrection. »

[8] Alain BARATON : La Haine de l’arbre n’est pas une fatalité. Éditions Actes Sud, 2013.

[9] René A. STRASSMANN : Le Livre des arbres et de la santé. Observation, connaissance et expérimentation des propriétés et vertus thérapeutiques des arbres. Librairie de Médicis, 1996. Patrice BOUCHARDON : L’Énergie des arbres. Le pouvoir énergétique des arbres et leur aide dans notre transformation. Le Courrier du Livre, 1999. Patrice BOUCHARDON : De l’énergie des arbres à l’Homme. Les neuf étapes de la rencontre avec soi. Le Courrier du Livre, 2011. Erwann THEOBALD : Les Énergies bénéfiques des arbres. Éditions Trajectoire, 2001. Mario MERCIER : L’Esprit de la forêt. Voyages chamaniques au cœur de la nature. Éditions Accarias/L’Originel, 2000. Maja KOOISTRA : Communiquer avec les arbres. Expériences spirituelles entre l’homme et la nature. Le Courrier du Livre, 2000, 2002. Petra SONNENBERG : Les Forces spirituelles des arbres. Forces fondamentales et effets thérapeutiques. Éditions Véga, 2003.

[10] Luigi PIRANDELLO : Les Arbres des villes. (Nouvelles pour une année, tome VII). Traduit de l’italien. Éditions Del Duca, Paris, 1960, p. 21.