Le crépuscule de la France d’en haut

8 novembre 2016,

nouilles-encoreNote de lecture : « Le crépuscule de la France d’en haut » de Christophe Guilluy (Flammarion – 2016). par  Jean Monestier

J’avais déjà rencontré les notions de « centre » et de « périphérie » dans le livre « Extractivisme », d’Anna Bednik, mais c’était alors sur le plan écologique et international. C’est plutôt au niveau national et dans le registre sociétal que le géographe Christophe Guilluy en démontre l’articulation dans « Le crépuscule de la France d’en haut », édité par Flammarion. Il avait déjà publié « La France périphérique » en 2014, mais le présent opus se suffit à lui-même et se lit (presque) comme un roman.

En fait, le néolibéralisme mondialisé a séparé nos sociétés en deux catégories, ceux d’en haut, ancrés dans les métropoles, surfant sur l’économie globale, riches ou sans problème majeur de trésorerie, ni d’emploi, ni de santé, ni de logement, jouissant sans conflit, grâce au quasi monopole de la pensée unique, du consumérisme exigé par l’idéologie de la croissance, et ceux d’en bas, relégués à la périphérie, en banlieue plus ou moins lointaine, ou encore dans les petites villes disséminées sur le territoire et délaissées par les flux de la mondialisation, ou au fond du monde rural, carrément rétrogradé au statut d’un Far West supposé quasi inhabité. Cependant, ce n’est pas la nouvelle bourgeoisie qui impose durement cette coupure destinée à protéger ses privilèges, mais un opérateur accepté par tous, le marché, avant tout celui du logement, qui, pour chacun, par le jeu des prix, autorise ou exclut la mobilité générale prônée par les médias asservis à la finance.

C’est donc une géographie politique et sociale que l’auteur déploie sous nos yeux, en s’appuyant sur de nombreux chiffres, parfois puisés dans des statistiques ignorées par le militant moyen, parfois calculées pour faire ressortir la béance de la faille qui se crée. En effet la situation empire, au fil de la désagrégation progressive de l’Etat social, et de la disparition programmée d’une politique des revenus, des retraites par répartition, d’une Sécurité Sociale, de Services Publics, et, globalement, de l’ensemble des biens communs.

Les ressources naturelles ne sont guère évoquées, ni l’écologie en général, mais, pour compléter le tableau, il suffit de se référer au livre d’Anna Bednik cité plus haut, dans lequel on constate que les mêmes tendances géopolitiques opposent de plus en plus durement, à travers les conflits écologiques – qui représenteraient déjà plus de la moitié des conflits sociaux – les prédateurs, venant de l’économie mondialisée, aux populations locales, qui vivent des ressources des territoires où elles sont ancrées.

Christophe Guilluy, par allusion aux esclaves déserteurs, évoque le « marronnage » des classes populaires, pour décrire leur « désaffiliation » progressive de l’économie dominante et la reconstruction, en périphérie, d’une société alternative, plus humaine et plus solidaire. Ainsi donc, si la France d’en haut persiste dans sa domination absolue, elle pourrait se retrouver isolée face à elle-même quand la biosphère va lui réclamer brutalement le paiement de sa dette.

Le Soler, le 29 10 2016, Jean Monestier,

Diplômé en économie auprès de l’Université de Toulouse, Objecteur de croissance, Etudiant en collapsologie, Défenseur d’une biosphère humainement habitable.