Denis Grozdanovitch est un compagnon de dérive très agréable, c’est à une balade fraternelle qu’il convie dans son dernier livre “Le génie de la bêtise”. Tout pour lui est prétexte à philosophie: la pratique sportive et sa pédagogie, jeu de paume ou tennis, la pêche à la ligne, l’art de l’aquarelle paternel, les coïncidences étranges, les échecs, l’art de la sieste en hamac, l’art contemporain, le saccage écologique et la sottise des “sachant-tout” et des experts. Sont conviés dans cette promenade-conversation moralistes et écrivains, humoristes et excentriques, ils nous offrent de longues et vivifiantes citations.
La Bêtise est multiforme, il y a la part lumineuse, celle qui permet
de retrouver notre nature originelle, notre fraternité avec tous les êtres vivants et les humains que la culture n’a pas rabotés, telles les figures de l’idiot de village, du naïf que sont le soldat Schweik, Nasreddin, Dersou Ousala ou le grec Zorba, ceux qui voient que le Roi est nu et qui le disent. DG nous raconte l’histoire exemplaire de Valentin, son ami d’enfance à la campagne, un simple, plus âgé, intuitif, en communion avec tous les animaux, il comprend leur langage et initie le jeune parisien à leurs mystères. Il mourra de chagrin après avoir découvert comment sont traités les animaux dans les fermes industrielles.
Il y a la Bêtise négative des savants, la bêtise des certitudes, imposée au nom de la Science, du Progrès de l’autorité que confèrent les médailles. DG s’abstient de faire le recensement des bévues et des erreurs, d’autres l’ont fait et le côté superficiel du constat masque la vraie nature de la Bêtise, expression de notre irrationalité, de nos émotions, de la confusion face à l’intelligence froide, mécanique maintenant robotique.
La reconnaître en nous est notre sauf-conduit vers l’Art du bien vivre (Memento vivere) avec distance, désinvolture et humour et de célébrer Rabelais, Montaigne, Feydeau, Ionesco ou Molière, la légèreté cocasse qui bouscule les fausses valeurs et le Sérieux.
La conduite d’ échec répété, une autre bêtise qui est une manière de protection du moi, on y tient, elle est nécessaire à l’équilibre, une béquille dont on ne peut se passer. Le copain d’école de DG en donne la démonstration: “On est tous programmés, moi pour la connerie, toi pour l’intelligence” et la vie serait ennuyeuse si les deux ne s’équilibraient pas. Le partenaire de jeu d’échecs répétant la même erreur avoue “qu’elle lui est nécessaire et d’ailleurs un jour, il finira bien par gagner!”
Et puis Bouvard et Pécuchet sont eux aussi convoqués pour montrer la mutation quasi alchimique de l’imbécillité en clairvoyance et connaissance de soi et du monde même si les rechutes existent.
Grozda nous entraîne du côté de “l’Idiot de la famille”, de Flaubert, de la bêtise créatrice et des belles figures que sont la servante d'”un coeur simple”, madame Bovary et Saint Julien l’hospitalier et même, il réhabilite pour quelques lignes un J.P. Sartre, un temps sensible et lucide.
Il faut évoquer la belle histoire de Mr Defraie, le professeur de mathématiques, poète, musicien et excentrique qui laissait lire l’élève Grozda pendant son cours (c’était autrefois) le fournissait en livres en exigeant des comptes-rendus, il fut un mentor, un maître en gaie-science et un modèle.
Lisez Grozda, ce bouquin-ci, bien sûr, dont j’ai à peine effleuré la richesse, omis de parler des thèmes écologiques (des crimes contre-nature du remembrement et de l’agriculture industrielle…) mais aussi les autres livres, certains sont en livre de poche, unformat propice, quand lassé du vacarme moderne, on fait un pas de côté, on s’assoit et on retrouve un camarade en esprit, drôle et profond, qui ne s’en laisse pas conter.
D.M.