Des tresses vertes pour le Rojava

16 juin 2021,

Rojava. La chaleur étouffante du mois de mai tombe doucement alors que le soleil décline. Derrière l’université de Qamishlo, au nord de la Syrie, quelques personnes s’affairent dans un espace en friche devenu jardin.

(photo Loez)

L’air y est plus léger qu’en ville, moins chargé des poussières et des fumées de mauvais mazout alimentant générateurs et engins motorisés, qui empuantissent l’atmosphère et raclent la gorge. Les bénévoles de Keziyên kesk – les tresses vertes –, un groupe de jeunes femmes et hommes, s’activent à enlever les mauvaises herbes autour des dizaines de jeunes pousses d’arbres, alignées en rang serré, avant de les arroser soigneusement en veillant à ne pas les noyer.

Le projet Keziyên kesk a démarré en octobre 2020. “Les politiques menées dans la région ont endommagé notre environnement et notre système écologique. Au moins cinq rivières au Rojava sont aujourd’hui à sec. Le régime ne s’est jamais préoccupé d’écologie. Il voulait faire de la région une réserve de blé, sans se préoccuper de ses habitant·es.” explique Ziwar Shexo, un des porte-parole et cofondateur du projet, journaliste de la chaîne Ronahi.

“Il y a 25 ans il y avait des rivières, une plus grande variété de plantes. Maintenant que l’Administration Autonome est en charge, nous avons la possibilité de réparer notre environnement. Nous devons accepter le fait que celui-ci en est mauvais état et que nous devons changer cela. Il n’y a que 1,5% d’espaces verts au Rojava, alors que les recommandations internationales sont de 10 à 12%. Le manque de couverture verte fait que l’on souffre davantage de la chaleur, de la pollution, et des maladies. En Syrie, 80% des patient·es atteint·es de cancer viennent du nord/nord-est. Après avoir appris cela, nous avons décidé de faire quelque chose en tant que société civile. L’Administration Autonome et les autorités locales ne pouvant le faire par elles-mêmes faute de moyens, nous avons décidé de nous emparer du projet. Nous voulons que toute la société y prenne part, en diffusant la culture de planter des arbres, ce dont les gens ne se soucient pas en ce moment.”

(photo Loez)

Les bénévoles veulent planter 4 millions d’arbres dans la région, ce qui aurait coûté 30 milliards de livres syriennes en achat de graines, soit plusieurs millions de dollars au cours actuel, une somme absolument démesurée. Ils ont donc décidé d’en appeler aux dons. Des graines ont été envoyées de toutes les villes des zones sous contrôle de l’Administration du Nord et de l’Est de la Syrie. “C’est maintenant une grande responsabilité pour nous” explique Sidar, étudiante en médecine. “Nous traitons ces plants comme nos enfants”. L’université du Rojava a prêté le terrain qui accueille à présent les 80 000 plants à l’état de pousses – 95% des arbres plantés ont pris : vigne, figuiers, mûriers, grenadiers, attendent maintenant de grandir pour être plantée quelque part dans la région de la Cizrê. Un terrain vague à l’abandon a aussi été confié par la ville, les bénévoles l’ont nettoyé et se préparent à y planter des arbres. Un comité scientifique, composé notamment d’ingénieurs agronomes, épaule les bénévoles du projet afin de lancer des études dans la région pour décider des meilleurs endroits pour planter ces arbres. Par exemple, les bords de routes, autour des villages avec des arbres fruitiers, dans les cours d’école…

(photo Loez)

Initialement fondé par trois ami·es et porté par un noyau dur d’une quinzaine de personnes aux profils variés, bien que plutôt intellectuels, étudiante, journaliste, fonctionnaire, écrivain·e, le projet est ouvert à toute personne volontaire et bénévole. Les invitations lancées via les réseaux sociaux ont rencontré un grand succès, avec des dizaines de personnes présentes lors d’actions ponctuelles. Des écoles sont venues prêter main forte, ainsi que la fédération des blessés de guerre. Le projet se veut indépendant de l’Administration Autonome et ancré dans la société civile, prêt à accepter l’aide de n’importe quelle personne volontaire ou structure.

(photo Loez)

Le nom Keziyên kesk a été adoptée en hommage à la lutte des femmes au Rojava, en particulier aux femmes Ezidies dont le mari a été tué par daesh, et qui ont coupé leur tresse pour l’attacher à la tombe de celui-ci, symbole de résistance.

Nazdar a 25 ans, elle a une formation d’ingénieure civile et travaille pour une ONG depuis quelques années. “Jin vient de jiyan qui vient de nature. La nature donne la vie, tout comme les femmes. Si une femme aime planter des plantes, elle transmettra cette passion à ses enfants, plus qu’un homme. Si vous changez la situation des femmes, vous changez aussi la génération future.” affirme-t-elle. “Notre projet est planifié sur 5 ans. Nous n’en sommes qu’au début. J’ai appris son existence via les réseaux sociaux et je suis venue. Je cherchais à m’investir dans un projet de ce genre, je n’ai pas hésité. Au début j’avais peur qu’il ne s’agisse juste que de planter des arbres sans s’en occuper. Mais ici c’est du long terme. Le sujet intéresse les jeunes, il y a même eu une chanson écrite pour nous. C’est aussi un endroit où passer du temps, avec d’autres personnes proches de nous. Nous n’avons que très peu d’endroits pour cela. Ça permet de se changer les idées. Si le projet était lié à une organisation politique, je ne l’aurais pas rejoint. C’est un projet de la société civile.

(photo Loez)

Keziyên kesk commence à se diffuser au-delà de Qamishlo, à Heseke et Darbasiyeh, où des comités sont en cours d’organisation. D’autres projets similaires existent aussi dans la région, notamment celui de la Commune Internationaliste, Make Rojava Green Again.

Mehmûd Çaqmaqî, un autre cofondateur du projet, est écrivain et originaire d’Efrîn, région envahie par l’État turc et ses supplétifs à la fin de l’année 2018. Les occupants en ont massivement chassé ses habitant·es, commettant assassinats, viols et vols sur celles et ceux qui sont resté·es, comme en attestent les nombreux témoignages des rescapé·es. Les forces d’occupation ont notamment ciblé les oliviers pour lesquels la région est réputée. Pelle à la main, Mehmûd explique : “A Efrîn ils coupent des arbres, près de 1400, et ils tuent la terre. Ici nous plantons. Nous n’avons pas de frontières, nous sommes prêts à planter des arbres partout, y compris à Sere Kaniye et à Efrîn, Nous espérons que notre activité inspirera les gens et les encouragera à rester ici et à ne pas émigrer.”

Loez

Article original sur kedistan.net