Voilà un livre de long cours et de grand air, sans graisse, précis, subtil, pour ne pas alourdir le pas, ni inutilement fatiguer. Livre d’ équilibre mêlant judicieusement érudition savante, anecdotes et humour. Livre d’observation de celui qui va marchant, ruminant ses pensées. Jean-Louis Hue (qui fut de l’équipe du Sauvage, puis plus tard rédacteur en chef du Magazine Littéraire) est parti sur les traces des écrivains marcheurs.
C’est un chasseur, un pisteur, il vérifie les itinéraires décrits, tente de dissiper les flous des narrations, il est en communion sans jamais s’identifier, il garde la bonne distance, il a du flair. Il note amusé, les vantardises de celui-ci, les approximations de l’autre, toujours en sympathie, il entre dans leur démarche jusqu’à se laisser “prendre par la main par la canne de Jean-Jacques Rousseau” et de célébrer les bâtons de marche, badines et autres joncs…
Et ces écrivains ne sont pas des moindres: Pétrarque avec qui il gravit le mont Ventoux, en état de “concupiscientia” paysagesque, car la vraie ascension qui compte est celle de âme vers Dieu. Les moines peintres taoïstes et gyrovagues Shi-Tao et Xu Xiake, le délicieux Basho qui “marche en comptant ses mots”et parsème ses haïkus à tous vents…
Louis Capet dit XIV qui dans sa “manière de montrer les jardins de Versailles” nous enjoint à une promenade royale autant qu’autoritaire, Jean-Jacques au Val Travers, son paradis suisse, méditant, marchant hygiéniquement, inventant la promenade botanique…
Tous les chapitres sont autant d’invitations à des balades, en ville avec Sébastien Mercier, sur les Boulevards avec Balzac, filant “l’homme des foules” avec Baudelaire, … à la montagne avec Saussure, Töpfer, WordWorth, H.D. Thoreau et Flaubert, et Walser, et Stevenson, et Jacques Lacarrière… Les citer tous serait fastidieux, il faut y aller voir, suivre les itinéraires balisés de l’excentrique Claude François Denecourt, flécheur des sentiers de Fontainebleau… Jean-Louis clôt par le “Chemin des chemins”: Compostelle, la gloire du marcheur, il n’épargne pas sa peine, décrit les chemins rudes de l’Aubrac, les départs au petit matin qu’imposent les moines, son éblouissement devant la Cathédrale…
On sort de là tout ébouriffé de souvenirs, l’âme heureuse d’avoir tant vu, plein de gratitude…
Lisez Jean-Louis , vous jubilerez de bonheur littéraire, de son écriture, de son humour tendre et nostalgique, de cet art qui lui appartient, de témoigner avec élégance sans se mettre en avant et de cet amour pour tous ses compagnons marcheurs et rêveurs ….
(Grasset éditeur, 17€, 232 pages)
Daniel Maja