La grande oubliée, la grande irradiée ?

24 mars 2011,

Par Hugo Verlomme

Pendant la catastrophe de Fukushima on a souvent entendu des commentateurs dire des phrases telles que : « On apprend avec soulagement que les vents poussent le nuage radioactif vers la mer ». Bien sûr, la priorité absolue reste  toujours d’épargner les vies humaines. Mais faut-il pour autant se réjouir de voir partir ces particules radioactives sur l’océan Pacifique ? D’autant que des milliers de mètres cubes d’eau de mer sont pompées dans l’océan pour refroidir les réacteurs et que cette eau contaminée repart d’où elle est venue… Mais voilà, dans la mer tout se perd, se dilue, puisque tout circule.

Aux yeux du public, la mer est souvent considérée comme une vaste étendue déserte. Pour certains, elle est d’ailleurs une poubelle bien pratique : tout déchet immergé disparaît instantanément, loin des yeux et des caméras. Pas vu, pas pris. L’océan est un milieu idéal pour les pollueurs : sans limites ni témoins.

Interrogées par Najmedin Meshkati, expert en nucléaire et environnement de la University of Southern California s’inquiétant du devenir de ces eaux radioactives, les autorités japonaises ont reconnu que ces eaux utilisées pour le refroidissement s’écoulaient directement dans la mer, mais elles ont également décrété que – bien entendu –  les taux de radioactivité ne présentaient aucun danger. Nous savons pourtant que nous nous trouvons face à une catastrophe majeure, puisque la radioactivité dépasse déjà largement les zones officielles. L’eau de Tokyo a été contaminée, de même que des légumes cultivés hors de la zone recommandée par ces mêmes autorités. Comme pour Tchernobyl, tout est fait pour minimiser la vérité, voire la déguiser, de façon sans doute à ne pas ajouter la panique, voire la révolte, à la catastrophe en cours.

Or, l’agence de presse Kyodo cite les responsables de la centrale (TEPCO) qui ont effectué des prélèvements d’eau de mer, déclarant que les taux d’iode radioactif détectés dans l’eau de mer le 21 mars, étaient déjà 126,7 fois plus haut que la limite admise. Les taux de caesium-134 étaient 24,8 fois plus élevés que la normale et on a également détecté des traces de cobalt 58.

Le 26 mars, les taux d’iode radioactif étaient 1250 fois plus élevés que la normale dans les eaux de mer proches de la centrale, sans doute à cause d’une fuite d’un réacteur ! Une preuve de plus qu’il est tout simplement déraisonnable, voire absurde, de construire des centrales sur le littoral, exposées à la puissance de la mer.

Incolore, inodore, indolore, la radioactivité va se répandre dans le milieu marin au gré des vagues et des courants en contaminant toute la chaîne alimentaire. Avec, au bout, les humains. Car la mer est un gigantesque boomerang. Tout ce que nous lui infligeons finit par nous revenir un jour ou l’autre. Et cela d’autant plus que nous assistons, impuissants, à l’inéluctable montée des eaux, parfois spectaculaire, parfois insidieuse. Mais nous sommes si lents à comprendre… Voilà plus de 35 ans que l’on clame l’inacceptable dangerosité des centrales nucléaires. Combien de Tchernobyl, de Fukushima, faut-il attendre pour reconnaître que le nucléaire ne peut pas être une solution pour le futur ?

De même, combien de submersions, de tsunamis, faudra-t-il pour que l’humanité comprenne que notre futur est océanique, que nous le voulions ou non ? Nous sommes un jour sortis de la mer et nous devons d’urgence réapprendre à vivre avec elle, à la connaître et la protéger. Songez un peu : elle représente 72% de notre planète et nous n’avons cartographié que 5% de ses fonds (contre 100% de la planète Mars). La mer contient encore des milliers d’espèces vivantes qui nous sont inconnues et que nous détruisons par la surpêche ou la contamination avant même de les découvrir.

La catastrophe de Fukushima vient nous rappeler à quel point la mer est – une fois de plus – la grande oubliée, celle dont on ne se soucie pas alors qu’elle est peut-être en train de subir une contamination massive qui va se diluer, se répandre pendant des années à travers l’océan au gré des courants, provoquant des désastres que nous sommes encore dans l’incapacité de mesurer. La vérité n’est pas soluble dans l’eau de mer.