La Vie, quelle entreprise!

7 juin 2011,

de Robert Barbault, Jacques Weber

Science ouverte/Seuil

Date de publication : 09/09/2010

Par Nadia Loury

Dans le contexte actuel de crise économique et sociale, parler de Nature peut passer pour de l’inconscience ou de la provocation. Pourtant, l’édifice humain tout entier repose sur la Nature, dont la biodiversité est l’un des visages. Et la Vie sur notre planète nous offre l’exemple même d’un développement durable dont nos entreprises pourraient bien s’inspirer. Car ce n’est qu’en prenant en compte l’ensemble de la biosphère que nous pourrons espérer comprendre comment, devant les dangers que court l’humanité de son propre fait, il lui est possible de redresser la barre. Dans cette perspective, il est nécessaire que l’écologie et l’économie s’allient pour que la première devienne plus réaliste et la seconde plus humaine. À cette fin, ce livre associe les regards et les compétences du naturaliste et de l’anthropologue.

Robert Barbault, professeur à l’université Paris-VI et directeur du département d’écologie et de gestion de la biodiversité au Muséum de Paris, consacre une large part de son temps à l’action écologique. Il a publié de nombreux ouvrages, dont Un éléphant dans un jeu de quilles : l’homme dans la biodiversité (Seuil, 2006).

Jacques Weber, économiste et anthropologue, est directeur de recherche du Cirad (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement) et enseigne à l’EHESS (École des hautes études en sciences sociales).

Commentaire

Pour une révolution écologique de l’économie ! Le propos du livre est de montrer la biodiversité comme l’entreprise planétaire qu’elle est. Une entreprise qui s’est construite et perfectionnée depuis 4 milliards d’années. Une entreprise qui gère ses inputs et outputs à l’échelle planétaire en s’appuyant sur l’interdépendance de ses éléments- humains y compris- à toutes les échelles de taille, d’espace et de temps.

Les auteurs, naviguent avec élégance et connaissance dans un monde vivant et ouvert, un monde complexe, en sachant allier le regard de l’écologue et celui de l’économiste pour mieux relier les choses entre elles. Approfondir le champ de la vie ensemble, sortir des savoirs morcelés, compartimentés entre disciplines, mieux le déchiffrer et percevoir comment il change, tel est l’objectif ambitieux de ce livre.

La première étape du voyage, est consacré à la découverte rapide de la biodiversité, appréhendée ici comme entreprise globale, « tissu vivant de la Terre » pour en saisir le fonctionnement. Le lecteur se régalera des exemples décrits par Robert Barbault. De la chauve- souris brésilienne, qui fournit un service de contrôle biologique des ravageurs à l’échelle continentale pour l’Amérique du Nord. Plus de 100 millions de chauve-souris peuvent se disperser chaque nuit hors des grottes et des ponts où elles s’abritent le jour. Les revenus sauvés par les chauve-souris en tant qu’agent de contrôle des ravageurs du coton (Helicoperva zea) sont impressionnants. Dans une région de huit comtés du Texas central et méridional, les calculs donnent une valeur annuelle de 741 000 dollars à comparer aux quelques 5 millions de dollars par an que représente la récolte du coton !

Puis celui de la lente appropriation du monde par les humains, l’idée folle de croire qu’il n’en est totalement dépendant. La perception de la nature environnante,  les systèmes de représentations de la nature que toutes les sociétés humaines élaborent en fonction de leur perception et de leurs valeurs, constituent le premier niveau d’appropriation de l’écosystème. Par exemple les Occidentaux classent les éléments de nature selon qu’ils sont « utiles » ou nuisibles ». Les usages de la ou des ressources constituent le deuxième niveau du mode d’appropriation. Les modalités d’accès et de contrôle de l’accès constituent le troisième niveau. Il peut être régulé. La « tragédie des communs » de Garett Hardin, vérifiée dans des situations d’accès libre à la ressource conduit à une surexploitation de la ressource et à sa disparition. Parce que la ressource est à tout le monde, nous dit Hardin, les exploitants sont conduits à prélever le maximum dans un minimum de temps, à tout prix : ce qui n’est pas pris par l’un le sera par l’autre.

Cette partie du livre, évoque aussi au travers d’exemples, la dynamique créative des associations d’entraide et de symbiose, où l’humain ne fut pas en reste. Les fourmis Atta d’Amazonie, coupeuses de feuilles, cultivent un champignon, qui leur fournit la nourriture nécessaire. Les paysans des rizières indonésiennes  utilisent des fougères aquatiques, les azolles en tant que engrais azoté, les déjections des buffles pour enrichir le sol et des poissons pour contrôler les parasites et prédateurs du jeune riz.

La dernière étape est celle de la «métamorphose, qu’évoque Edgar Morin dans « La Voie ». Pour cela il faut vraiment, efficacement, renouer avec la nature. Les auteurs, évoquent des voies possible pour accompagner ce changement. En reprenant à la suite de Tim Jackson, l’idée d’une prospérité sans croissance (« Prosperity without growth ? The transition to a sustainable economy , titre du rapport pour la commission britannique du développement durable). N’est ce pas fou, d’imaginer une croissance de la consommation matérielle comme base de la stabilité économique ? Considérant que 9 milliards d’humains en 2050 aspirant au niveau de vie de l’OCDE nécessiterait 15 fois la taille de l’économie actuelle, mais contrainte par la limitation des écosystèmes.

Sachant que l’idée d’une « prospérité sans croissance » sera difficile à accepter dans le court terme, Jacques Weber pose la question : est-il concevable que la richesse puisse découler de l’entretien et de l’amélioration des écosystèmes, sachant que c’est de leur dégradation que se nourrit la création actuelle de richesse ?

Des réflexions passionnantes, et des voies originales nous permettent d’imaginer un futur où les régulations (taxes, impôts, et charges) ne porteraient plus sur le capital manufacturier ou humain, laissant de côté les services écosystémiques, énergétiques. Jacques Weber propose un « basculement des régulations » destiné à les faire porter sur le capital nature et les consommations de nature comme moyen d’inciter à la maintenance et à l’amélioration des écosystèmes et des services que nous en retirons.

Si changer d’ère, c’est bien changer de regard sur la nature, modifier nos représentations, alors, c’est un ouvrage à ne pas manquer.

Nadia Loury