Lars von Trier encore

19 août 2011,

La puissance de ce film MELANCHOLIA de Lars von Trier nous invite à en parler encore. Les condamnations haineuses du ” Politiquement correct” ne doivent pas empêcher de voir et revoir ce chef d’oeuvre, grande fable transparente de notre époque. Nous l’illustrons avec la Melancholia de Durer que Daniel Maja à traité il y a peu de temps à sa manière (inversé)sur ce site. Le Sauvage


MELANCHOLIA de Lars von Trier

par Saura Loir

Un château de contes de fées. Tout de blanc vêtue, une belle jeune femme, Justine, se marie. A côté d’elle le jeune marié, amoureux transi et aveugle à tout ce qui n’est pas son rêve d’amour. Dans le château, la sœur de la mariée, son mari et leur petit garçon, son père, sa mère,  les invités en grande tenue, attendent les jeunes époux.

Les mariés, le parc, le château, le paysage donnant sur la mer et les îles au loin, tout est  incroyablement beau et accentue l’impression de conte de fée.

Pourtant, comme dans tous les contes de fées, quelque chose de mystérieux se dégage insidieusement de ce tableau idyllique. Un danger étrange et inconnu semble tapi derrière les apparences de la fête, des grincements inattendus se font entendre dans les rouages de cette cérémonie si merveilleusement orchestrée : la somptueuse limousine qui transporte les époux ne parvient pas à les conduire jusqu’au château car le chemin est trop tortueux pour  sa taille démesurée, ce qui contraint les époux à s’y rendre à pied, avec deux heures de retard. Claire, la grande sœur qui a tout organisé apparaît nerveuse, fâchée, inquiète. Autour de la grande table d’apparat, le père de la marié, tel un vieil arlequin, se livre à des gamineries insensées tandis que la mère l’observe dégoûtée, visage fermé, lèvres pincées, image même de la marâtre, folle de haine et de jalousie. Sauf qu’elle n’est pas la marâtre, elle est la mère……une mère qui hait les mariages avec leurs rituels stupides, clame haut et fort son dégoût pour toute cette mise en scène. Qui est-elle réellement ? Un oiseau de mauvaise augure, la méchante fée ? Ou la seule capable de voir la réalité derrière les apparences……. Car la jeune et belle mariée, si heureuse et souriante, livre petit à petit son vrai visage de souffrance.

Pendant ce temps, des regards anxieux se tournent périodiquement vers le ciel, en scrutent les profondeurs en quête d’on ne sait quel signe, quel présage, quel avertissement.

Ainsi se déroule l’histoire, livrant de plus en plus d’indices que quelque chose de terrifiant, d’apocalyptique  se prépare. Les astronomes ont annoncé qu’une planète cachée derrière le soleil se rapprochait de la terre à grande vitesse et allait poursuivre son chemin plus loin dans l’espace, la frôlant presque mais sans l’atteindre. A moins qu’on ne se soit trompé dans les calculs…… Cette planète se nomme Melancholia. Melancholia, la « bile noire », cet état dépressif qui dans l’antiquité était considéré comme une  des marques du génie. En effet Justine, la jeune mariée, a la réputation d’être géniale dans l’agence de publicité où elle est copy writer, géniale au point que son patron, présent au mariage, la nomme publiquement et avec éclat « art director », tout en la tannant pour qu’elle délivre, telle une pythie ou une vache sacrée qu’il faut traire impérativement et au plus vite, un slogan génial pour la campagne en cours.

Petit à petit, une toute autre réalité se  révèle, la désespérance de von Trier éclate au grand jour : les gens vivent dans l’illusion. Illusion de l’amour, du pouvoir, du sexe, de la pérennité du monde qu’ils habitent et qui est voué à disparaître. Seuls quelques-uns, dont Justine, ont une vision lucide et désespérée de ce que ce monde est réellement. Elle sait que son patron est un être odieux et méprisable, elle le sait et le lui crie au visage face à tous, au beau milieu de la fête. Elle sait que son mariage n’a pas d’avenir, que l’amour qu’elle partage avec son bien-aimé est impuissant à lutter contre sa propre mélancolie et ce qui se prépare. Elle sait que « le monde est mauvais ». Elle sait que la terre va subir un impact terrifiant qui va entraîner la mort de tout vivant.  Elle sait, et elle se tait. A quoi bon affoler tout le monde ? Elle cherche malgré  tout un peu de réconfort auprès de sa mère, puis de son père, mais les deux se dérobent, l’une cruellement, l’autre en s’esquivant. Alors elle cesse de résister, laisse la dépression l’envahir puis, avec l’aide de sa sœur, en émerge lentement pour  se livrer sans entrain à des occupations quotidiennes, apparemment indifférente à la menace qui se rapproche. Sa sœur, son beau-frère espèrent encore. Elle sait. Elle est tranquille parce qu’elle ne se révolte pas, parce qu’elle  a dit oui et qu’elle est déjà morte intérieurement.

Claire, sa sœur, est très différente. Autant Justine est fantasque et imprévisible, autant elle est raisonnable, prévoyante, attentive à tout. Elle semble la plus forte mais quand l’impact de Melancholia sur la terre devient une certitude elle s’affole à perdre la raison, elle se débat et se cogne comme un oiseau pris au piège, cherchant une issue ou un refuge inexistants  pour elle et son petit garçon. Sous le regard absent de Justine. Quant à son mari, qui paraissait si calme et fort et protecteur, lâchement il choisit de se suicider, seul et en silence et sans plus se soucier des siens.

C’est finalement Justine qui, émue par la détresse du petit garçon qui l’admire et la considère un peu comme une bonne fée, aide celui-ci à affronter l’épreuve en bâtissant avec lui une cabane magique à l’intérieur de laquelle, c’est sûr, ils seront à l’abri. Illusion ultime, mais au moins on est ensemble, on se tient la main et on a de la tenue….

Le film, avec sa musique obsédante et prophétique, clame la désespérance de son auteur : oui, le monde est mauvais, le malheur guette. Tout y est mis à mal, sauf l’amour et la compassion de quelques-uns. Melancholia, la planète fatale, émerge de derrière le soleil pour foncer sur la terre. Elle se cachait derrière sa lumière  comme la cruauté et la fausseté, la désespérance et la dépression se cachent derrière la fausse lumière de l’amour, de la beauté, de la richesse et des rites sociaux.  Quand elle apparaît, il est trop tard. Métaphore de la dépression comme faculté réservée aux génies de voir le monde tel qu’il est mais qui en même temps détruit toute vie car les dépressifs sont comme des morts vivants.  Mais, dans le cas de von Trier le dépressif de génie, capables d’une telle créativité ! Car il sait allier à la puissance du propos la puissance des images, d’une beauté et – dans la toute première partie surtout – d’une poésie à couper le souffle. On l’aura compris, ce film m’a littéralement subjuguée.

Les femmes dans les films de von Trier : Dogville, Breaking the waves, Dancer in the dark, Antechrist. Toutes magnifiques, puissantes, aimantes – même les plus monstrueuses. Saintes ou diablesses, elles sont  porteuses d’un savoir caché, elles témoignent une lucidité à la fois impitoyable et pleine de compassion. Les hommes apparaissent comme des fantoches imbus de leur image, assoiffés de sexe et de pouvoir. Quitte à redevenir comme des enfants qu’il faudra aimer et protéger, y compris d’eux-mêmes. Difficile d’associer cette vision à une quelconque idéologie nazie……..

Saura Loir