Pour agacer les dents

28 octobre 2011,

Reprint Le Sauvage, septembre 1977

de Misette Godard

« Grossois », « Farineau » ou « Bourdelois », tous sont des raisins à verjus mais aussi des variétés de raisin bien oubliées… pour ne pas dire totalement oubliées.

C’est l’Encyclopédie, celle de Diderot et d’Alembert, qui donne les indications les plus précises : « Gros raisin (…), qui ne mûrit parfaitement, ou plutôt qui dans sa grande maturité conserve toujours un acide qui empêche qu’on puisse en faire du vin. Ceux qui le cultivent en France le soutiennent ordinairement sur des treilles, à cause de la pesanteur des grappes que le sarment ne pourrait porter sans cet appui. Quand le raisin est mûr, on en fait d’excellentes confitures ; mais son plus grand usage est d’en tirer cette liqueur qu’on appelle verjus. »

Et, au chapitre de la liqueur de verjus, le même ouvrage indique qu’on en fait aussi avec des raisins doux propres à faire du vin lorsqu’ils sont encore acides. Il se trouve que je possède justement une treille donnant de gros raisins à peau épaisse et qui mûrissent mal car je leur laisse trop de feuilles ; treille à laquelle je n’enlève pas assez de rameaux pour avoir de l’ombre et pour le plaisir de voir ses longues branches s’enrouler dans les arbres voisins…

Il se trouve aussi que, voici quelques années, je préparais un livre sur les confitures et que j’étais à l’affût de toutes les formules oubliées. J’ai donc exécuté confitures et gelées, pâtes et marmelades de verjus et cela avec le plus grand succès. Il me restait à expérimenter la liqueur de verjus, le mot liqueur étant pris ici dans le sens général de liquide et non dans le sens courant de liqueur apéritive ou digestive. J’ai commencé par presser simplement des grains pour en tirer le jus acide qui me permettrait de faire le poulet au verjus et autres préparations délectables. Puis vint l’envie de conserver le verjus.

Cette conserve se faisait par tonneaux au Moyen Âge, où la consommation de verjus était importante. On aimait alors un peu d’acidité dans presque tous les mets et l’on indique alors de parsemer la volaille rôtie de grains de grenade, ou le potage de violettes au vinaigre.

L’utilisation des divers vinaigres aussi est importante – surtout ceux de rose et de sureau – pour la préparation des viandes, sans oublier les jus d’orange, de bigarade ou de citron. De tout cela, je crois que nous avons conservé essentiellement le vinaigre dans la sauce béarnaise et le filet de citron sur l’escalope. Mais essayez d’ajouter quelques gouttes de verjus à la sauce blanche qui accompagne les légumes ou les œufs à la tripe, et vous m’en direz des nouvelles !

Après les tonneaux, on a conservé le verjus plus modestement en bouteilles, salé et recouvert d’huile pour éviter le contact avec l’air. Appert, l’inventeur de la conservation par stérilisation, indique dans ses premières recettes, la façon de conserver le verjus par sa méthode. C’est ce procédé que nous allons indiquer, recette née de la confrontation du texte d’Appert avec la technique moderne.

Misette Godard

Mots-clés : verjus, vinaigre.

Conserve au verjus

— Cueillir le raisin un peu avant sa maturité, quand il est déjà gros et bien formé, mais encore acide.

­— Laver le raisin par grappes et le déposer dans un panier que l’on recouvre d’un linge propre pour préserver les fruits de la poussière, et les laisser « ressuyer » un jour à l’ombre dans un endroit protégé.

— Les ébouillanter et les mettre à égoutter sur un torchon propre.

— Préparer une terrine assez grande et large. Égrapper quelques grappes de raisin dans la terrine en n’y mettant que les grains sains et « à point ». Avec les deux mains, fouler le raisin en le pressant entre les doigts que l’on ramène sur les paumes des mains.

— Étendre un torchon propre, à tissage solide, mais un peu lâche (la toile à passer les gelées est parfaite pour cela), sur le plan de travail.

— Déposer au centre de la toile le raisin pressé, replier deux des pans de la toile sur les fruits et prendre en mains les deux pans libres pour les tordre en sens inverse sur une terrine qui recueillera le jus.

— Quand tout le jus est dans la terrine, remplir les bouteilles en se servant d’un entonnoir de verre ou de plastique et les fermer. Enrouler chaque bouteille dans un torchon (il ne faut qu’elles soient en contact avec le métal) et les déposer dans un stérilisateur ou un faitout d’eau froide et porter à ébullition. Régler ensuite la flamme pour garder une cuisson régulière pendant 30 min. Laisser tiédir les bouteilles avant de les sortir de l’eau.

Misette Godard