Par Alain Hervé
On a envie de faire partager le plaisir de lire avec ses lecteurs, avec ses amis, ce qui amène à écrire ce qu’on appelait autrefois des critiques de livres. Désormais grâce à Internet cet exercice est devenu plus intime. On bavarde dans le style : « qu’est ce que tu lis en ce moment ? »
Et bien j’ai lu, et je voudrais partager ce plaisir, Les chaussures italiennes de Henning Mankell, un Suédois dont, grâce à la traductrice Anna Gibson, l’écriture coule comme une source fraîche. On participe entièrement à la sensation de déjà lu. C’est un livre que l’on n’aurait pas écrit autrement si on avait du l’écrire. Mankell/Gibson, nous en dispensent, gratifient notre paresse et nous remplissent du bonheur de lire.
Le livre débute dans une île dans le grand nord où un chirurgien retraité robinsonne au milieu des glaces. On prendrait bientôt goût à ces baignades draconiennes et quotidiennes dans un trou d’eau après que l’on ait cassé la glace à coups de hache. Et puis il se produit un événement baroque qui va dérégler ce mouvement de pendule solitaire.
Que voulez vous qu’il se produise ? Une femme apparaît. Patatras nous voilà embarqués dans des épisodes inédits, baroques qui nous mènent rapidement jusqu’aux chaussures italiennes confectionnées par un bottier émigré, solitaire lui aussi, qui fabrique seulement deux paires par an de chef-d’œuvre en cuir. On pourrait en rester là. Mais l’écriture est attachante et on se laisse entraîner dans une farandole de personnages de plus en plus bizarres et trop contemporains au sens sociologique de l’inventaire.
On frôle les poncifs de la drogue, du décrochage, du suicide…
Heureusement Mankell, qui est également coupable de romans policiers, sait mener les chevaux fous et on va jusqu’au bout des 341 pages. On s’endort à deux heures du matin, mi jubilant, mi râlant. Ca relève, on s’en aperçoit en fin de comptes du correctement littéraire du Seuil pour 21€ 50.
A propos de littérairement correct, j’ai entamé ensuite un des derniers de Philippe Delerm, Quelque chose en lui de Bartelby.14€ 50 au Mercure de France. L’ennui avec les auteurs qui réussissent, c’est qu’ensuite ils se plagient sans arrêt de peur que leurs lecteurs ne les reconnaissent pas. C’est donc du Delerm tout craché. Et ce n’est pas désagréable et même assez excessivement complice. La vie de monsieur Spitzweg employé du bureau de poste de la rue des Saints Pères (de l’Eglise) à Paris nous passionne par son vide jouisseur.
L’appel à Bartelby, le héros poncivement correct de notre époque, emprunté à Melville pour en faire un usage immodéré, devait apparaître. Le voilà.
J’en suis là . Je vais terminer ce livre ce soir. Je me le garde comme un bonbon à demi sucé. Je vous dirai plus tard comment j’ai apprécié la suite et la fin.
Lisez
A.H.