Écologie politique

17 décembre 2011,

reprint Le Sauvage, juillet 1976

C’était l’époque de Giscard, du Concorde, de l’autogestion… Trente cinq ans plus tard, nos hommes politiques n’ont toujours pas compris.

Les Sauvages associés

par Alain Hervé

Nos hommes politiques fréquentent des professeurs d’élocution. Vous avez remarqué que Valéry Giscard d’Estaing ne parle pas comme votre crémier. Vous imaginez votre crémier prononçant le mot beurre et le faisant suivre d’un long silence destiné à apprécier l’efficacité de son charisme. Pas seulement V.G.E. mais tous nos hommes politiques disent : « La France… », puis ils vous regardent dans le fond des yeux comme des hypnotiseurs de foire. Ils disent aussi ces temps-ci : le Concorde…, la relance économique…, la crédibilité de notre force de frappe…, notre balance commerciale…, la garantie de l’emploi… Ces mêmes formules sont remarquablement absentes de la conversation des Français qui semblent avoir délégué par leur vote le privilège de les utiliser à leurs élus.

On pense pour vous, on décide pour vous, on cause pour vous. Et l’autogestion de votre vie, ça commence quand ?

L’échange de poignées de portière

« La reprise économique est indiscutable. » On la mesure au baromètre de la production automobile. Celle-ci est en augmentation de 30 % dans le monde entier depuis le début de l’année par rapport à la même période de l’année précédente.

Les économistes se congratulent. Il reste bien une ombre à leur tableau, ce qu’ils appellent « l’inflation galopante ». Leurs écoles se querellent pour savoir quelle peut en être la cause.

Ils n’établissent bien entendu aucun rapport avec la production massive d’objets inutiles, la prédation accélérée des ressources terrestres, la pollution croissante des milieux de vie : eau, air, humus.

Le temps de réflexion suscité par les conclusions du Club de Rome est bien terminé. Qui se souvient du colloque sur les finalités de la croissance, organisé par Giscard d’Estaing alors ministre des Finances ? La ligne de chemin de fer qui relie la France à l’Italie traverse les Alpes et il ne manque pas de surplombs où l’on peut s’asseoir sur l’herbe et rêver en regardant les trains passer.

À supposer que vous invitiez un économiste martien à s’asseoir à vos côtés, il s’étonnerait de voir se croiser à vos pieds des trains chargés de Fiat 125 à destination de la France et des trains de Renault 5 à destination de l’Italie. Il ne manquerait pas de vous faire remarquer que cet échange d’objets lourds et identiques sur d’aussi grandes distances représente un gaspillage d’énergie colossal.

Vous n’auriez qu’un seul argument à lui proposer : certains Italiens préfèrent les poignées de portière des R5 et certains Français les poignées de portière des Fiat. L’économie moderne qui s’enseigne avec sérieux dans les universités, c’est cela.

On pense pour vous, on décide pour vous, on cause pour vous. Et l’autogestion de votre vie, ça commence quand ?

50 millions de bicyclettes

Le Concorde va permettre aux hommes d’affaires d’aller de Washington à Paris en trois heures cinquante-cinq. Ça va leur permettre de gagner du temps, dixit la radio d’État ce beau matin ensoleillé du 24 mai, jour du vol inaugural.

Les affaires de ces hommes d’affaires ne sont pas vos affaires, et le temps qu’ils gagnent n’est pas gagné pour vous. Mais c’est vous qui leur avez offert le Concorde avec l’argent de vos impôts. Un statisticien sympathique a calculé qu’avec le budget Concorde, on aurait pu offrir une superbe bicyclette avec cinq vitesses à chaque Français. 50 millions de bicyclettes. Oui, je sais, le Concorde, c’est de l’emploi. Les usines d’armement aussi, c’est de l’emploi. Plus malins, les ouvriers de l’industrie aéronautique anglaise (Lucas-aerospace) qui sentent que les techniques de pointe sentent le moisi ont demandé à être reconvertis dans les techniques de pointe douce – le solaire par exemple.

On pense pour vous, on décide pour vous, on cause pour vous. Et l’autogestion de votre vie, ça commence quand ?

Et si on bombardait La Hague

Le budget des dépenses militaires de l’État devrait passer de 17 % à 20 % du budget général d’ici à 1982. Les frontières de la nation française seront bien gardées. On craint, ce n’est un secret pour personne, que des généraux russes ne mettent à exécution le scénario dont ils discutent savamment dans leurs revues techniques. À savoir : est-il possible aux divisions russes d’atteindre Gibraltar en six jours ? Ils ont un doute, peut-être leur faudra-t-il sept jours.

Les Chinois nous préviennent sans cesse : faites attention aux Russes. Donc, nous entretenons à grand frais – 58 000 millions de francs prévus pour 1977 – une armée de chair, de fer et d’atomes. Les frais sont payés par vous, citoyens français.

Hypothèse 1 : vous n’êtes pas sans avoir entendu dire qu’un groupe d’étudiants en physique nucléaire disposant d’un vieux garage et de son outillage peut construire une bombe nucléaire bricolée. Ils peuvent la confier à une minorité politique qui souhaiterait renouveler le genre du chantage politique qui semble d’étioler un peu ces derniers temps  Un commando de deux hommes peut déposer ladite bombe dans le coffre d’une banque à Paris et ensuite dicter ses conditions au gouvernement français à partir d’une cabine téléphonique.

Hypothèse 2 : une mini-république du Tiers-Monde fait l’achat d’un sous-marin déclassé de la dernière guerre (ou d’un avion de tourisme), l’amène au large des côtes françaises, à La Hague précisément, et menace de bombarder les dépôts de déchets nucléaires de haute activité soigneusement gardiennés dans leurs cuves d’acier inoxydable à cet endroit ? Que se passe-t-il ?

On pense pour vous, on décide pour vous, on cause pour vous. Et l’autogestion de votre vie, ça commence quand ?

Démonter les centrales nucléaires

« L’écologie n’est plus à la mode », dit-on avec une moue dégoûtée parmi la « classe politique ». L’écologie a été confiée à des ministères, à des commissions ad hoc. On traite des vrais problèmes. Ils sont politiques, économiques, sociaux. L’écologie fait l’objet de codicilles apitoyés à droite, de couplets larmoyants à gauche, de candidatures démagogiques dans les deux sens. L’écologie gêne.

L’analyse écologique implique trop de remises en question fondamentales. Réfléchissons :

1. La politique écologique de la recherche scientifique n’est pas orientée vers la production de puissance militaire, vers la suprématie du marché économique.

Mais vers l’étude raffinée de tous les systèmes vivants et de leur protection. À l’ère industrielle, succède l’ère scientifique.

2. La politique écologique économique n’a pas pour objectif prioritaire d’exporter davantage que le voisin et n’importe quoi : des armes, des automobiles, des techniques agricoles inadaptées vers le Tiers-Monde.

Mais le développement d’une bio-économie adaptée aux ressources minérales et aux besoins du pays, le commerce extérieur se réduisant progressivement à l’échange de produits rares.

3. La politique écologique démographique ne consiste pas à saturer le territoire pour décourager le voisin d’y venir.

Mais à le peupler intelligemment en répartissant la population, en vidant progressivement les conurbations et en repeuplant les campagnes.

4. La politique écologique énergétique ne consiste pas à susciter artificiellement la consommation et à augmenter la production d’énergie.

Mais à développer de nouveaux modes de production et de consommation d’énergie – décentralisés et adaptés aux besoins.

5. La politique écologique agricole ne consiste pas à produire à grands frais énormément de produits standardisés sur des sols banalisés, saturés d’engrais chimiques.

Mais à promouvoir une agriculture scientifique, c’est-à-dire finement adaptée au biotope et aux hommes.

6. La politique écologique d’équipement ne consiste pas à construire davantage de routes, d’autoroutes, d’aéroports, de centrales nucléaires.

Mais à doter les collectivités des équipements indispensables : terrains de sport, crèches, dispensaires, techniques douces, quartiers piétonniers…

Mais à démonter les centrales nucléaires déjà construites.

7. La politique écologique sociale ne consiste pas à prétendre sauvegarder à n’importe quel prix le plein emploi, à faire courir le prolétariat derrière la carotte de l’augmentation de salaire (régulièrement rattrapée par l’inflation).

Mais à donner à chacun la possibilité de savoir quels sont les problèmes auxquels la collectivité est confrontée et de prendre personnellement ses responsabilités pour qu’ils soient résolus.

8. La politique tout court ne consiste plus à déléguer à quelques individus qui en disposent, du pouvoir de penser, décider, causer, qu’ils soient de droite ou de gauche. Le bulletin de vote ne consiste plus en un récépissé de non-responsabilité.

Mais elle devient l’objet d’une pratique collective permanente. Chacun conservant l’entière responsabilité de tous les gestes de la collectivité.

9. 10. 11. 12. – Et cetera

Écologie et autogestion se conjuguent harmonieusement lorsqu’il ne s’agit pas de l’autogestion d’une usine d’armement.

L’écologie, c’est la politique de gestion de la biosphère, prioritaire à toute autre décision politique, économique ou sociale.

L’autogestion, c’est une prise de responsabilité dans tous les domaines, pas seulement dans l’entreprise.

C’est l’autogestion de votre vie.

Alain Hervé