Cher François, cher Nicolas

4 avril 2012,

Par Alain HERVE

J’ai suivi l’échange de vos gracieusetés et l’annonce de vos dernières promesses à vos électeurs, qui seront, je n’en doute pas, suivies de beaucoup d’autres.
J’ai compris que vous évitiez soigneusement l’un et l’autre de prononcer le mot d’écologie. Je crois que vous avez tout à fait raison. D’abord vous n’y connaissez rien. Et peu de gens autour de vous en savent quelque chose.

Je crois qu’il s’agit d’un sujet beaucoup trop important pour se prêter au bavardage électoral .
Tenez-vous-en à l’actualité urgente. Le mariage homosexuel est plus brûlant que le réchauffement climatique. La dette plus facilement gérable que l’entreposage des déchets nucléaires.

Ne vous laissez pas entraîner à traiter du drame de l’agriculture industrielle chimique qui a transformé la Beauce en désert stérile, Monsanto y pourvoira. Surtout pas un mot sur la protection de la biodiversité, les abeilles ce n’est pas votre rayon. N’abordez pas l’énorme retard technologique pris par la France dans l’innovation des énergies renouvelables.

Restez-en aux vieilles recettes. Vous savez faire. Relancez la production automobile pour réduire le chômage. Exportez des Mirages. Continuez de déporter vers les banlieues les derniers agriculteurs qui s’obstinent à produire des carottes bio. Construisez des autoroutes pour produire de l’embouteillage, une des inventions les plus passionnantes de la Cinquième République.

Vous avez réglé son compte à l’écologie, Nicolas en annonçant aux agriculteurs à propos de l’environnement : «… ça commence à bien faire». Point à la ligne.

Je ne sais pas ce qu’en a pensé NKM.

François vous me décevez intellectuellement en déclarant à propos de la nature : « … cette religiosité moderne heurte mon rationalisme et mon humanisme. »

En resterait-on au rationalisme, on se demande quelle rationalité a préconisé et planifié l’impasse nucléaire. Engagée à la sauvette avec Messmer, poursuivie dévotement par les Mitterrandiens. Ca va coûter extrêmement cher de la  poursuivre et aussi cher d’en sortir. Si un accident, un attentat, un séisme, ou un bombardement ne précipite pas une sortie expresse à la japonaise. Et pour le moment vous persistez au nom de la rationalité.

Mais on n’en a pas fini avec l’écologie en considérant seulement le drame du nucléaire. L’écologie est la grande découverte des XIXème et XXème siècle.

Depuis Darwin  on n’avait pas formulé une vision aussi globale de l’aventure du vivant.

Méditez cette absolue nouveauté, dont vous semblez n’avoir aucune idée. Je ne vous inviterai pas à relire Lamarck ou Haeckel, vous n’avez pas le temps. Demandez à Edgar Morin ou à Michel Serres de vous expliquer.

Alors il me semble un peu désuet d’invoquer un humanisme dont on ne saisit plus du tout la pieuse signification. Ce qu’on sait désormais, c’est que l’homme appartient au vivant. Il en est solidaire. On ne peut plus camper dans les anachroniques  certitudes de l’anthropocentrisme. C’est passé de mode depuis le XVIIIème siècle.

Les capacités cérébrales de l’homme lui imposent désormais de gérer de manière draconienne son ivresse de pouvoir. S’il continue d’abattre les forêts, de dépeupler les océans, de martyriser les animaux,  d’éradiquer des espèces, de modifier les équilibres atmosphériques, de bétonner la terre nourricière, d’entasser l’humanité dans des banlieues, de produire des nourritures toxiques, de brûler les derniers combustibles fossiles, de prendre des paris sur son génie technologique pour résoudre ses problèmes, bref de se conduire comme un imbécile… alors l’homme est mort.

Et il entraîne presque tout le vivant dans sa chute.

Ce ne sera pas simple de s’en sortir. Il va falloir pratiquer la politique autrement. La responsabilité des politiques que vous êtes va devoir être beaucoup plus vaste et plus complexe. Vous allez devoir gérer la poursuite du vivant.

François ou Nicolas, vous allez être les écologistes en chef. Amusant, non ?

Ce qui ne signifie pas nécessairement que l’on doive aller vers l’austérité. Il faut seulement réorienter le progrès. Inventer un nouveau savoir vivre. Mettre l’économie au service de la croissance (un mot que vous vénérez) de l’homme et non pas comme ce fut le cas jusqu’à aujourd’hui l’homme au service de la croissance de l’économie. Cela peut paraître difficile. Cela peut paraître utopique. Nous n’avons pas le choix. Vous n’avez pas le choix.

Le « changement » invoqué dans vos discours c’est celui là. Ce n’est pas celui auquel vous pensiez : la rengaine quinquennale.

Etudiez de près ce qui va se passer en Grèce. Comment une petite société humaine va tenter d’échapper à l’écrasement économique et social et sans doute risquer de voir la fin de la démocratie qu’elle a inventée jadis.

L’écologie permet la naissance d’une nouvelle société, de nouveaux et multiples emplois, la généralisation de nouvelles technologies, l’émergence de nouveaux savoirs… L’écologie propose des solutions innovantes aux problèmes immédiats.

Ce ne sont pas les centaines de milliards d’euros qui vont  sauver les Grecs. Ces milliards vont seulement retourner vers les banques. Vous le savez déjà. Ce qui sauvera les Grecs, c’est l’invention de nouveaux modes de fonctionnement des sociétés humaines. C’est la croissance du savoir-vivre autrement, qui va les sauver.

Je m’adresse particulièrement à François Hollande parce qu’il me semble susceptible de réfléchir et d’accepter des idées nouvelles. C’est le rôle de la gauche de rester ouverte à l’innovation. Nos sociétés ont évolué cahin-caha grâce à la gauche. La droite représentant le respect de l’héritage, la stabilité, la reconduction. Ce n’est pas un rôle négligeable. L’écologie la concerne aussi parce qu’elle concerne tous  les bipèdes humains.

L’écologie advient au delà des clivages politiques. Elle est inévitable. Encore faut-il en gérer intelligemment l’avènement. Il y a urgence.