Guerrière

8 avril 2013,

par Saura Loirposter_307037

Qu’elle s’appelle Lore, comme dans le film du même nom de l’australienne Kate Shortland, ou Marisa, le personnage féminin principal du film « Guerrière », première réalisation de l’allemand David Wnendt, l’actualité cinématographique nous met en présence d’un prototype féminin très particulier, celui d’une jeune allemande au caractère bien trempé, une « guerrière », que la vie a fait naître dans un environnement familial saturé d’idéologie nazie. L’époque a changé, 1944 et la défaite de l’Allemagne pour l’une, le temps présent pour l’autre. Ce qui n’a pas changé, pour une frange particulière de la population, c’est la haine de l’étranger, plus seulement juif ou rom mais turc, afghan, asiatique, africain et j’en passe. L’Allemagne a beau être la bonne élève parmi les nations européennes, la crise frappe là aussi, et le chômage, sapant les bases de  la confiance en la suprématie de la race allemande, désormais menacée de l’intérieur dans sa pureté et son intégrité par l’afflux d’une population « métèque ». « J’aime mon pays……….comment faire des enfants dans un monde pareil……. ». Ainsi s’exprime Marisa, boule de feu et de rage au crâne semi-rasé, buste tatoué de symboles nazis. Nourrie à l’idéologie nazie par un grand-père adoré et follement éprise d’une brute chef de gang de Skinheads, tout prétexte lui est bon pour vomir sa détestation de l’autre, perçu comme responsable de tous les maux qui affligent son pays.

 

En contrepoint apparaît Svenja, adolescente apparemment docile et soumise à l’autorité de son beau-père. Cela ne l’empêche pas de fuguer pour rejoindre la même bande d’allumés,

fascinée par leurs démonstrations de puissance et leurs allures de liberté, grisée par la sensation enivrante d’avoir été acceptée comme élément du groupe. Allégeance dont le prix va s’avérer très lourd.

 

Les femmes, c’est le biais original qu’à choisi David Wnendt pour nous parler d’un sujet qui assurément inquiète, la ré émergence, en Allemagne mais aussi un peu partout en Europe, de l’idéologie nazie.* Des femmes qui croient s’affranchir en rejoignant un monde d’hommes sans réaliser qu’elles ne seront jamais, à leurs yeux, que des femelles à soumettre. La guerrière se révoltera contre cette engeance-là aussi. Comme dans le cas de Lore, la rencontre de l’ « autre » haï, non plus en la personne d’un juif mais en celle d’un jeune afghan qu’elle a solidement contribué à fourrer dans le pétrin, lui fera prendre conscience que cet « autre » est un humain pas si différent d’elle et qu’en tant que tel il mérite solidarité et soutien.

 

Si vous décidez d’aller voir « Guerrière », ce que je vous recommande, préparez-vous à recevoir en plein plexus des giclées de haine raciste et de rage destructrice. Préparez-vous à voir sous vos yeux incrédules une jeune femme se transformer, presque sans transition, de petite-fille aimante au chevet de son grand-père mourant, en virago que la haine ou la passion charnelle étouffent. Le tout dans une débauche de crânes rasés, de tatouages à têtes de mort et croix gammées, de musique heavy metal dont les sonorités et le rythme obsessionnel accompagnent, en les exaltant, les pulsations d’un sang empoisonné par la haine et le rejet de l’autre.

Pas très ragoûtant, je vous l’accorde. Alors,  pourquoi y aller ? Parce que le réalisateur a su rendre, avec talent, les dégâts que peuvent faire certaines idées sur des esprits innocents et les  dérives psychologiques qui s’ensuivent, ainsi que la force redoutable de l’effet de groupe, surtout quand il est sous l’emprise d’un mentor charismatique. Certains passages rappellent des scènes inoubliables du film « Les Damnés » de Visconti, même si rien ne rapproche les deux esthétiques. L’actrice Aline Levshin dans le rôle de la guerrière est soufflante de vérité. Il faut la voir au volant de sa voiture, fonçant les dents serrées, image archétypale et vengeresse d’une déesse viking. Ce que l’on peut regretter c’est que son personnage ne soit pas suffisamment fouillé et que l’on ait parfois du mal à comprendre tout ce qui l’anime.

A voir aussi parce que ce qui se déroule là, sur cet écran, ne fait que traduire visuellement une réalité qu’on aimerait ignorer, celle d’une (re)montée en puissance d’une idéologie destructrice qu’on espérait vaincue à jamais et dont il serait irresponsable de détourner les yeux.

Saura Loir

*Lire à ce sujet une interview du réalisateur qui a mené une enquête de deux ans sur les milieu néo-nazis en Allemagne :  http://www.toutlecine.com/cinema/l-actu-cinema/0002/00025187-guerriere-david-wnendt-les-neo-nazis-sont-totalement-integres-dans-la-societe.html

 

« Guerrière » (Kriegerin), de David Wnendt, 2 fois primé au Festival de Zurich 2011. En salles actuellement.