Nous avons lu cette intéressante analyse du dernier livre de David Holmgren sur le site d’Agoravox,
David Holmgren a également publié un site sur “Future scenario“.
David Holmgren n’est pas un inconnu dans le monde de l’écologie et de la soutenabilité. Cet australien né en 1955 a été avec Bill Mollison l’inventeur du concept de Permaculture. Son premier ouvrage Permaculture One, basé sur les travaux de l’écologue américain T. Howard Odum, a posé les bases du mouvement pour une agriculture durable en Australie et plus largement dans les pays anglo-saxons. Son dernier livre Future Scenarios : how communities can adapt to peak oil and climate change a donc suscité un intérêt certain dans le monde, malheureusement restreint, de ceux qui s’intéressent au pic énergétique et ses conséquences sur nos sociétés, tout comme d’ailleurs son site : future scenario.org
Dans ce petit livre d’environ 120 pages, David Holmgren examine notre avenir à la lumière de la situation écologique présente. Il n’est certainement pas le premier à l’avoir fait. Le Club de Rome en son temps, et John Michael Greer plus récemment s’y sont également essayé. Leurs conclusions se rejoignent d’ailleurs. Holgrem envisage d’abord quatre futurs possible pour notre civilisation :
- La techno-explosion prévoit une croissance indéfinie de notre richesse matérielle et de notre capacité à surmonter les contraintes environnementales. Elle dépend de la disponibilité en grande quantité d’une énergie concentrée et de haute qualité. Poussée au bout de sa logique elle aboutit à la colonisation de l’espace. Il s’agit en gros de la continuation du modèle actuel de développement.
- La techno-stabilité suppose une conversion sans accrocs à une économie de non-croissance basée sur des énergies renouvelables et capable de garantir au moins le même niveau de richesse que celle d’aujourd’hui. C’est en gros ce dont rêvent les Verts.
- L’effondrement envisage une destruction de la société industrielle sous l’effet combiné de l’épuisement des ressources du changement climatique. Cet effondrement serait rapide et plus ou moins continu et aboutirait à la disparition de la plus grande partie de la population humaine, ainsi que l’essentiel de son héritage culturel. C’est un scénario “à la Mad Max”
- La descente énergétique correspond plus ou moins à la longue descente de Greer ou à la longue urgence de Kunstler. Elle implique une réduction progressive de l’activité économique, de la population et la complexité de la société au fur et à mesure que s’accentuera l’épuisement de nos ressources. L’importance croissantes des énergies renouvelables fera évoluer nos sociétés vers des structures proches de celles qui prévalaient avant la révolution industrielle. Cela suppose une ruralisation progressive de l’économie et de la société et un déclin également progressif de la population.
Holmgren n’écarte pas à priori l’effondrement mais le juge peu probable. Comme Greer, il fait remarquer que dans le passé les civilisations ont décliné plus qu’elle se sont effondré brutalement et que ce processus a toujours été graduel. Par ailleurs, ce scénario, populaire dans certaines franges du mouvement écologiste, n’est pas très constructif. Il conduit à une attitude fataliste, axée sur la survie individuelle ou en petites communautés.
Il récuse également les scénarios de la techno-explosion et de la techno-stabilité. Ils reposent en effet sur toutes une série de présupposés dont tout indique qu’ils sont faux.
- La production des matières premières non-renouvelables va continuer à croître
- Aucune source d’énergie ne connaître de pic ou de déclin sauf à l’occasion du passage à une énergie de plus grande qualité
- La croissance économique, la mondialisation et la complexification de notre technologie continueront
- L’ordre géopolitique actuel dominé par les Etats-Unis peut évoluer mais on n’assistera pas à un effondrement brutal comparable à celui de l’Union Soviétique
- Le changement climatique aura un impact marginal et se produira lentement, si bien qu’il n’aura qu’un impact limité sur la structure de notre société
- L’importance de l’économie domestique et locale continuera à dominer
Cela le conduit donc à se pencher sur le plus impopulaire des scénarios : la descente énergétique.
Les facteurs déterminants : le changement climatique et le pic énergétique
Même si la crise qui assaille notre civilisation est multiforme, Holmgren estime que les deux plus importants, parce qu’ils déterminent tous les autres, sont le changement climatique et le pic énergétique.
Le changement climatique a bénéficié d’une large médiatisation. Holmgren ne fait donc que le survoler. Il fait juste remarquer que les dernières études vont dans le sens d’un réchauffement inévitable, de relativement grande ampleur et rapide. Selon James Hansen, par exemple, le niveau de l’océan pourrait augmenter de 5 mètres d’ici à la fin du siècle. Il attire également l’attention sur le paradoxe de Jevons et sur ses implications : comme les économies d’énergies permettent de dégager des marges de manoeuvre pour créer de la croissance elles finissent par entraîner une augmentation de la consommation, ou tout au moins une baisse moins forte que prévue. Cela signifie que sans un changement radical de la structure de notre économie, la lutte contre l’effet de serre est vouée à l’échec.
Holmgren passe plus de temps sur le problème du pic énergétique. Notre civilisation toute entière est basée sur l’exploitation des énergies fossiles et notamment du pétrole. Or tout indique que la production de pétrole a atteint son maximum historique et entame aujourd’hui un déclin irréversible. Les autres énergies fossiles, y compris le charbon dont les réserves semblent avoir été surévaluées suivront le même chemin.
A cela s’ajoutent deux problèmes rarement évoqués. D’abord les exportations des pays producteurs de pétrole dont la production décline tendent à baisser plus vite que leur production, car ils satisfont prioritairement leur demande intérieure, laquelle continue à augmenter. Ensuite, ce qui importe réellement pour notre société, c’est l’énergie nette qu’elle produit – la différence entre l’énergie produite et l’énergie qu’il a fallu investir pour la produire. Or les carburants fossiles, et de manière générales les énergies anciennes, sont de loin supérieure dans ce domaine. Là où le rendement du pétrole était de 1:100 – il fallait consacrer 1% de l’énergie produite à la production elle-même – elle est au mieux de 1:1.6 pour l’éthanol – il faut consacrer 62% de l’énergie produite à la production. Dans certains cas le rendement est négatif : on brûle deux litres d’essence pour en fabriquer un. Par ailleurs, le rendement énergétique des énergies fossiles tend à décroite au fur et à mesure de leur exploitation, car bien entendu ce sont les gisements les plus rentables qu’on exploite en premier.
En se basant sur l’analyse de Paul Chefurka, Holmgren estime que la production globale d’énergie atteindra son maximum en 2020 puis décroîtra pour atteindre 70% de la production de 2005 en 2050. Il ne s’agit que d’énergie brute, cependant, si on calcule en énergie nette le pic, en énergie par habitant, a déjà été atteint, et la production d’énergie nette par habitant en 2050 n’excédera pas 40% de la valeur de 2005.
La seule question qui se pose c’est de savoir quelle sera la sévérité du changement climatique et du déclin énergétique, et comment ils se combineront pour changer la société.
Pour répondre Holmgren établit quatre scénarios :
- Brown tech : changement climatique sévère et déclin lent de la production d’énergie
- Green tech : déclin énergétique et changement climatique modérés
- Earth steward : déclin énergétique rapide mais changement climatique modéré
- Lifeboat : changement climatique sévère et rapide déclin énergétique
Brown tech
Dans ce scénario, la production pétrolière décline d’environ 2% par an et les pics charbonniers et gaziers ne sont pas trop brutaux mais les conséquences des changements climatiques sont sévères. Les états-nations se maintiennent au prix de politiques agressives et centralisées, investissant toujours plus lourdement dans des technologies supposés “résoudre le problème” mais qui dans l’immédiat accentuent les effets du changement climatique.
Ceux-ci exigent des dépenses d’énergies de plus en plus lourdes, énergie qui vient essentiellement du charbon et des pétroles non-conventionnels. La transition exige une mobilisation de toutes les ressources de l’état et une centralisation du pouvoir. Le protectionnisme et le “nationalisme des ressources” se généralisent, mettant fin au marché global.
Une crise économique perpétuelle fait progressivement disparaître la classe moyenne et divise la population entre une minorité de privilégiés qui dispose d’un emploi stable et une majorité précarisée et appauvrie qui survit en marge du système. Les pouvoirs politiques et économiques fusionnent, aboutissant à un régime proche du fascisme mussolinien, même s’il peut se réclamer d’idéologies fort différentes. Des conflits brefs mais intenses entre les états aboutissent à des bouleversements géopolitiques
Cette société peut rester stable pendant un certain temps, mais la crise des ressources s’accentuant, elle finira par glisser vers une situation du type Lifeboat
Green tech
Dans ce scénario nos ressources énergétiques déclinent lentement tandis que les conséquences du changement climatique restent modérées. Le sentiment de crise n’est pas aussi prononcé que dans le scénario précédent et une distribution plus décentralisée des ressources est possible, même si dans certains pays les conditions de vie se détériorent.
Le renchérissement des matières premières permet un rééquilibrage des échanges au profit des producteurs. La diminution de la capacité des états à projeter leur force militaire conduit à une diminution des dépenses militaires qui vont vers les énergies renouvelables. Le système de communication international reste cependant fonctionnel.
Les énergies renouvelables se développent rapidement. Le changement climatique restant modéré, les économies rurales et régionales connaissent une résurgence autour des principes de la permaculture. Dans certaines régions riches, ce sont les propriétaire terriens qui en profitent en remplaçant les machines désormais trop coûteuses par des travailleurs précaires, mais ailleurs se développe une société néo-rurale plus égalitaire.
L’économie se contracte mais les secteurs des énergies renouvelables et du recyclage croît rapidement grâce au prix élevé des matières premières. Dans certains pays, des réformes monétaires profondes limitent les effets de l’effondrement du système financier. Le gouvernement se décentralise et l’essentiel des décisions sont prises par les régions ou les villes. Les grandes métropoles voient leur taille décroître au profit des petites villes dans le cadre d’un modèle de développement préservant les terres agricoles. Dans l’ensemble la société devient plus égalitaire même si ce n’est pas vrai partout.
La réduction progressive de la consommation aboutit à un changement climatique modéré tandis que la croissance des économies soutenables engendre de nouvelles élites locales qui éviteront les excès du consumérisme grâce à un contrôle strict de la publicité.
Nos ressources énergétiques continuant à baisser, ce modèle évoluera probablement vers une société de type Earth Steward, mais suffisamment progressivement pour que cela se passe sans trop de heurts.
Earth Steward
Dans ce scénario la production de pétrole décline rapidement après 2010. La production de gaz et de charbon fait de même un peu plus tard. Le choc dépasse les capacités du système économique mondial et entraîne une profonde récession ainsi que de courts conflits armés.
L’effondrement économique et politique empêche le développement des ressources renouvelables sur une échelle suffisante et les systèmes de communication nationaux et internationaux se fragmentent. Les réseaux électriques cessent de fonctionner du fait du manque d’entretien et de demande solvable. Les tensions entre états restent fortes mais les moyens manquent pour des conflits de grande envergure.
La mobilité de la population se réduit fortement et l’économie redevient strictement locale. Des pénuries engendrent rationnement, marché noir et troubles divers. La criminalité, la malnutrition et les maladies conduisent à une hausse de la mortalité et à une forte diminution de la population. Les gouvernements nationaux perdent l’essentiel de leur capacité d’action du fait de la baisse de leurs ressources mais les régions peuvent prendre le relais dans une certaine mesure.
Les villes, incapables d’entretenir leurs infrastructures, se vident, donnant naissance à une nouvelle classe de travailleurs migrant déqualifiés. En revanche les régions capable de se convertir à l’agriculture soutenable en utilisant l’énergie animale prospèrent et développent des sociétés relativement égalitaires. Ailleurs l’économie est contrôlée par des gangs et des seigneurs de la guerre.
Même si l’impact de la crise sur les population est sévère et si tout espoir de reconstruire quelque chose qui ressemble au système social actuel disparaît, les population et la culture s’adaptent, aboutissant à la création relativement stable sur le long terme.
Life boat
Dans ce scénario, nos ressources énergétiques déclinent rapidement mais cela n’empêche pas le changement climatique qui se poursuit à un rythme soutenu. L’inertie du climat et des rétroaction positives dues, par exemple à la libération de méthane engendrent des bouleversements climatiques profonds et rapide. Combinés à l’effondrement de l’économie, il entraînent la destruction progressive de notre économie et de notre structure sociale. Des guerres locales accélèrent l’effondrement dans certaines zones mais l’affaiblissement des états empêche des conflits de grande envergure.
Le chaos politique et social, les famines et les épidémies se combinent pour entraîner une diminution rapide de la population. L’agriculture devient difficile à cause du climat chaotique et n’est praticable que dans un petit nombre d’enclaves à l’organisation proche de celle décrite dans le scénario brown tech. Ailleurs, une économie de subsistance s’impose. Les zones urbaines sont abandonnées tandis que de petites communautés émergent à leur périphérie et utilisent les ruines comme source de matière première.
L’impact de ce scénario est très variable selon les régions. Les plus touchées sont les zones fortement urbanisées. Dans certaines zones marginales, des populations traditionnelles ou pionnières peuvent supporter le choc sans trop de pertes humaines ou culturelles.
Le principal problème devient alors de préserver les acquis culturels de la civilisation moderne dans un environnement extrêmement hostile où la violence est omniprésente. Le déclin rapide de la population – et donc de son impact – alliée à la montée des océans – créant des zones favorables à la pêche – peut cependant favoriser une certaine stabilisation, même si c’est à un niveau extrêmement bas.
Des scénarios variables dans le temps et l’espace
Ces quatre scénarios sont naturellement des idéaux types et ils peuvent se réaliser de manière très différentes selon les lieux, différents pays suivant différents scénarios. Holmgren prend ainsi pour exemple l’Australie et la Nouvelle Zélande. L’Australie est riche en ressources mais très vulnérables aux effets du changement climatique et Holmgren la vois facilement dériver vers le scénario brown tech. A l’inverse la Nouvelle Zélande, sans ressources minières mais fertile et peu peuplée pourrait suivre la voie du green tech.
Holmgre ne parle pas de l’Europe ou de la France. Ce dernier pays est cependant à la fois très peuplé et pauvre en ressources énergétique. On peut également douter qu’il ai les moyens de s’emparer des richesses de ses voisins. La logique voudrait donc qu’il suive la voie du brown tech sous l’égide d’un gouvernement “anticapitaliste” dont le POI ou les xénophobes de Riposte Laïque nous donne un avant-goût. Certaines région périphériques peuvent cependant faire le choix du green tech.
Les quatre scénarios décrits par Holmgren ont aussi une dimension temporelle. Les diptyques brown thech – lifeboat et green tech – earth steward représentent deux chemins possibles pour notre civilisation, même si bien sûr rien n’est écrit. Ils représentent également des stratégies d’adaptation correspondant aux différents niveaux d’organisation de notre société, l’état national allant naturellement vers le brown tech, la région vers le green tech, la communauté vers l’earth steward et le foyer individuel vers des stratégieslifeboat ou survivalistes.
La Permaculture plutôt que le développement durable.
Pour Holmgren les principes et les stratégies du développement durable n’ont qu’un intérêt limité dans le cadre d’un scénario de descente énergétique. Raisonnablement valables dans le cadre d’un scénario green tech – mais moins que la permaculture – ils ne le sont plus que marginalement dans un scénarion brown tech et pas du tout dans les deux autres.
La permaculture reste en revanche valable, dans ses principes fondamentaux plus que dans les stratégies mises en place actuellement il est vrai, dans tous les scénario. Elle l’est tout particulièrement dans celui de l’Earth steward, aboutissement logique du green tech. Holmgren ne définit pas, dans ce livre particulier, ce que sont les principes de la permaculture mais il est facile de les trouver dans Permaculture : Principles and Pathways Beyond Sustainability :
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par Damien Perrotin