intervention de Michel Sourrouille lors de la conférence-débat à la mairie du deuxième arrondissement à Paris le 15 mai 2014
Nous n’avons pas refusé du monde pour cette conférence, dommage. Déjà un signe que la question démographique est tabou ! Je me présente, coordinateur du livre « Moins nombreux, plus heureux » et organisateur principal de cette rencontre au nom de JNE (Journalistes-écrivains pour la nature et l’écologie). Le sous-titre explique vraiment l’idée générale partagée par les 13 contributeurs, « l’urgence écologique de repenser la démographie ». Il nous faut à la fois envisager la question alimentaire comme le fait dans le livre Jacques Maret, la question religieuse (Jean-Claude Noyé) ou la question migratoire comme je l’écris dans le chapitre que j’ai rédigé… Le livre condense la plupart des points de vue sous l’angle commun de la maîtrise de la fécondité. Le dépassement des capacités de charge de la planète exige une réduction volontaire de la population humaine. Sinon il y aura (et il y a déjà) guerres, épidémies et famine comme l’avait prévu Malthus. Je ne comprends donc pas les réticences à aborder ce sujet. Le malthusianisme devrait être un élément essentiel de notre réflexion individuelle et collective, c’est au contraire le grand absent. La démographie est un véritable tabou, particulièrement en France. Pourquoi ?
Avoir une intervenante femme pour cette tribune aujourd’hui a été tâche impossible, les femmes spécialistes de la problématique démographie/écologie sont extrêmement rares. Dans le livre que j’ai coordonné il y a une seule femme pour douze hommes, Corinne Maier. Il est vrai que le désir de maternité est encore privilégié par notre société. Pourtant les femmes devraient être les premières à revendiquer le droit de choisir un avenir durable pour leurs enfants. Les hommes pour leur part ne se sentent pas concernés pour la plupart. Soit ils considèrent que la maternité est le domaine privilégié des femmes, soit (dans certaines cultures) leur conception machiste fait que le nombre d’enfant n’a pas à être limité puisque c’est l’expression de leur virilité. Difficile de faire admettre à toutes et à tous que le statut de la femme ne dépend pas de son statut de mère !
Même l’association organisatrice de cette conférence, JNE, a été pusillanime. Ses membres n’ont pas d’avis déterminé sur la question démographique, seulement un intérêt… distant. Il y a eu exigence de « neutralité » pour ce débat, confrontant ceux qui pensent que la démographie ne pose pas problème et les autres. Pourtant des spécialistes de la nature devraient savoir que l’expansion illimitée d’une espèce dans un milieu limité aboutit à sa réduction inéluctable. Les humains ne peuvent pas faire exception à cette règle. Pour conforter le pluralisme des débats, nous avions invité Vincent Cheynet, le rédacteur en chef du mensuel « la Décroissance ». Sa recension sur le livre que je représente titrait « misanthropie ». Pourtant vouloir la décroissance démographique repose au contraire sur un amour des humains, le surnombre se conjugue avec l’instabilité sociale. Etonnant que quelqu’un qui défend la décroissance ne veuille pas envisager la décroissance malthusienne, ni même s’exprimer publiquement : Cheynet n’a pas voulu participer au « piège » que constituerait selon lui le débat d’aujourd’hui.
Nous avons un démographe à la tribune, Philippe Pison. Je constate qu’il a utilisé tout son temps de parole pour parler transition démographique et évolution probable de la population sans jamais penser aux contraintes écologiques. Il est comme beaucoup d’experts, enfermé dans sa propre discipline ; il ne peut pas avoir d’analyse holiste, globale. Pourtant la démographie est de fait en interrelation avec tous les autres éléments, socio-économiques ou écosystèmiques. Notons que l’Ined dont Pison est membre a été ouvertement nataliste. L’Ined avait pour mission en 1945 d’examiner « les moyens matériels et moraux susceptibles de contribuer à l’accroissement quantitatif et à l’amélioration qualitative de la population ». Maintenant ses membres se contente de dire qu’il n’y a pas de problème, la démographie va se stabiliser un jour ou l’autre grâce à une baisse providentielle de la natalité. Alain Hervé les juge ainsi dans notre livre collectif : « Jamais je n’ai entendu un démographe dire que les humains se multipliaient excessivement… Ils observent un tassement des courbes de croissance… Ils annoncent avec un grand sourire, toujours le sourire, que la transition démographique est en vue. » Tout nous indique que l’avenir ne va pas se passer aussi bien sur une planète dont on a déjà dépassé les limites : il n’y aura plus de développement économique sans perturbations écologiques nouvelles.
Nous n’avons pas d’agronomes à cette tribune, mais le constat serait le même que pour les démographes : chacun sa spécialité, c’est ahurissant. Jacques Caplat estime dans son dernier livre « Changeons d’agriculture » que la démographie n’est pas un problème puisque l’agriculture pourra nourrir 12 milliards d’êtres humains… Il suffit de se convertir à l’agriculture biologique ! Pierre Feillet de l’Inra, dans « Quel futur pour notre alimentation ? », penche de son côté pour l’agriculture « de précision » (OGM, GPS sur le tracteur, drones, etc.). La démographie n’est pas pour lui un problème puisque le progrès technique résoudra tous les problèmes. Tous ces experts ne considèrent jamais la loi des rendements décroissants dans l’agriculture et le poids écologique d’une démographie croissante.
Du côté des écologistes, c’est carrément renversant. Il n’y a pas une seule motion sur la démographie pour un parti, Europe Ecologie – Les Verts, qui les émet pourtant en rafales. Celle de 2009 a été refusée faute de signataires en nombre suffisant. Leur prise de position en 2013 sur les allocations familiales se veut « une politique familiale résolument écologiste », ce qui veut dire pour eux une politique « résolument engagée dans l’aide à la parentalité ». Quant à leur commission immigration, elle s’occupe des sans papiers, pas de démographie ni d’écologie. Les autres courants politiques, droite et gauche confondus, sont ouvertement natalistes. Dans sa préface de notre livre, Yves Cochet montre bien que le malthusianisme reste un tabou, autant au niveau national qu’international. Je ne dirai rien des cathos, vous connaissez tous leur position sur la contraception et l’avortement.
En conclusion je dirai que cet ostracisme généralisé envers la question démographique est absolument incompréhensible. Le planning familial devrait être une bonne nouvelle pour les femmes… pour les écologistes… pour les générations futures… et même pour les autres espèces étouffées par la pullulation humaine ! Le droit de choisir du nombre de ses enfants est une très bonne chose, encore faudrait-il procréer en toute connaissance de cause, avec une nette perception des contraintes écologiques.
Pour moi, une conférence-débat sans ouverture sur la vie serait inutile. C’est pourquoi je conseille à tous d’adopter un comportement malthusien dans sa vie familiale, de s’informer, d’acheter bien sûr le livre « Moins nombreux ». Au niveau associatif, vous pouvez adhérer à Démographie responsable, le seul collectif en France qui milite pour la bonne cause. Au niveau politique enfin, je me contente de poser cette question qui demande réflexion : Y a-t-il une différence fondamentale entre délivrer un permis de conduire et obtenir un permis de procréer ?
Pour en savoir plus, lire ce résumé du livre « Moins nombreux, plus heureux (l’urgence écologique de repenser la démographie) »
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