Etre au monde

22 juillet 2014,

Etre au monde et appartenances dans la modernité tardive

Roger Cohen

Roger Cohen

par Frédérique Lorenzi

Dans le New York Times du 8 juillet repris dans Courrier International, Roger Cohen affirme que la torpeur qui paralyserait les Français et frapperait leur économie serait due à la modernité qui aurait redéfini l’espace et relégué l’Etat au deuxième plan. La perception que ce peuple a de lui-même serait ainsi ébranlée, la technologie ayant éliminé les distances et la relation d’attachement à un terroir. Quant à l’Etat, auquel les Français voueraient une confiance sans failles, son pouvoir serait mis à mal par des individus apatrides vivant dans un cybermonde sans frontières. Les Français ne s’y retrouveraient pas parce que ce ne serait pas leur monde, leur modernité.

Un monde de sept milliards d’individus, sans direction et sans appartenance : ne devrait-il pas nous inquiéter ? Ne peut-on pas rêver mieux pour toutes formes de manipulations ?

Parce que les nouvelles technologies peuvent également être les instruments de la domination et de la communication de masse, de l’accélération et de l’aliénation (comme l’analyse fort bien Hartmut Rosa)

L’homme désincarné et sans attaches est aussi le consommateur béat compensant son mal être par l’accumulation et les faux besoins. La modernité tardive fait éclater toutes les formes de société et du vivre ensemble. N’appartenir à aucun lieu dégage de toute forme de responsabilité sociale ou environnementale.

Et si la vie ne reprenait un sens que dans la relation et dans l’être au monde ? De grands philosophes ont vu dans cette appartenance des formes d’apaisement et de réalisation. Quant à l’Etat et à son pouvoir de régulation, ce n’est pas vers moins mais vers mieux, qu’il devrait évoluer. Vers un Etat post bureaucratique, supranational et décentralisé et vers des modes d’organisation limitant la prédation, la violence et la misère. Un être au monde qui s’engage à côté des autres et dans un avenir qui laisse présager des jours heureux. Un engagement responsable plutôt qu’un aveuglement béat.

Cette lucidité peut-être salutaire si elle libère de nouvelles formes d’appartenances et d’organisation. Seules des formes collectives de réappropriation et de décélération seront à même de remettre les technologies au service des hommes et des écosystèmes. Une forme de reprise en main salutaire, plutôt que des individus et un monde ballotés au fil de l’eau. Une relation aux autres construite, enrichissante et joyeuse, une lucidité agissante et non pas un cynisme désabusé.

F.L.