Bio ou local ? Bio ET local !

24 décembre 2014,

livres J.CaplatPar Jacques Caplat

Dans les discussions autour du changement d’agriculture et des pratiques de consommation, j’entends souvent une question supposant un choix nécessaire entre produits issus de l’agriculture biologique et produits locaux. Pourtant, une grande partie des arguments en faveur des produits locaux sont fallacieux ou erronés… et l’important est bien entendu de cumuler agriculture biologique et production locale. C’est justement pour rapprocher ces deux démarches et cesser de les opposer que la FNAB (Fédération Nationale d’Agriculture Biologique) et ses groupements régionaux, en partenariat avec la Fête de la gastronomie et à l’initiative de Corabio, proposent du 20 au 28 septembre l’opération Bio et local, c’est l’idéal !

Pour en savoir plus : http://bioetlocalcestlideal.org

Le local contre l’effet de serre ?

En première approximation, il est tentant de supposer qu’un produit local contribuera moins à l’effet de serre qu’un produit venu de plusieurs centaines de kilomètres. C’est ce qui fait dire à de nombreux consommateurs, mais aussi hélas à de nombreux décideurs très mal informés, qu’il vaudrait mieux consommer un aliment conventionnel local qu’un aliment biologique venu de l’étranger.

Cette estimation intuitive est pourtant totalement fausse. Le transport des produits agricoles bruts ne représente qu’une très faible partie des contributions de l’agriculture à l’effet de serre. Dans l’agriculture européenne actuelle, l’un des postes les plus contributeurs est l’engrais azoté !

Lorsqu’un agriculteur épand 100 kg d’azote chimique sur 1 hectare (ce qui est la fourchette basse en agriculture conventionnelle, puisque certains vont jusqu’à 200 voire 400 kg par hectare), il contribue autant à l’effet de serre qu’une voiture moyenne parcourant 10.000 km. Vous avez bien lu : une fertilisation azotée chimique considérée actuellement comme modérée contribue autant à l’effet de serre sur un seul petit hectare qu’un parcours de 10.000 km en voiture. Il vous reste à multiplier par le nombre d’hectares de vos voisins agriculteurs conventionnels…

Dans ces conditions, il est souvent bien plus favorable à l’effet de serre de consommer un aliment biologique venant de 500 km qu’un aliment conventionnel produit chez votre voisin.

Et je ne prends pas ici en compte toutes les autres pollutions (de l’eau, de l’air), qui rendent le produit biologique considérablement préférable au produit conventionnel, quelle que soit la distance de son transport. La prétendue justification écologique à la consommation de produit locaux ne tient absolument pas s’il s’agit de produits conventionnels opposés aux produits biologiques lointains. Dans le match « bio lointain » contre « conventionnel local », le local perd par K.O. s’il est produit en conventionnel.

bio local > bio importé > conventionnel local > conventionnel importé

Reste une évidence : il est toujours préférable de supprimer à la fois la contribution des engrais chimiques et celle des transports. Un produit bio local polluera bien sûr moins qu’un produit bio importé de loin (même si ce dernier polluera bien moins qu’un produit conventionnel local).

Une agriculture s’inscrit dans un territoire

La relation entre une agriculture et son territoire ne se réduit pas à des flux (ressources, pollutions éventuelles, produits alimentaires). J’aime parler de l’agri–culture. Fondamentalement et historiquement, une agriculture est la façon dont une société s’inscrit dans un territoire. Elle est autant culturelle ou sociale que technique.

Par conséquent, il n’est pas neutre pour un citoyen de consommer des produits cultivés et élevés à proximité ou à longue distance. En privilégiant des produits locaux, je me relie à mon territoire de vie, j’entretiens une activité économique, je m’inscris dans une continuité sociale et je contribue à cette continuité sociale.

Ici encore, ce constat ne suffit pas. Je peux me relier à mon territoire en coupant ses arbres et en détruisant son sol… ou au contraire en préservant son écosystème. Je peux m’inscrire dans une continuité sociale en enrichissant un agriculteur industriel et en saccageant l’emploi… ou au contraire en contribuant à installer des paysans en plus grand nombre et en valorisant les activités de transformation et de distribution. Ici encore, manger local n’est pas une vertu en soi.

S’inscrire dans son territoire, c’est s’interroger sur les relations entre l’activité agricole et le milieu vivant, entre l’activité agricole et le reste de la société, entre l’activité agricole et la dynamique économique. La consommation de proximité n’a de sens que si elle encourage le maintien de la valeur ajoutée sur le territoire, que si elle soutient des fermes qui aménagent l’espace sans le détruire, que si elle permet la rentabilité de fermes à taille humaine. Sinon, à quoi bon invoquer la « proximité » comme un mantra abstrait ?

Sous l’angle de la relation au territoire et de la solidarité socio-économique, il est pertinent de privilégier des producteurs locaux, en circuits courts ou engagés dans des démarches d’économie solidaire. Pour autant, même sous le seul angle socio-territorial, l’aspect environnemental ne peut pas être négligé, et une production biologique restera éminemment préférable.

Un objectif sans dogmatisme, une exigence continue

Il va de soi que le café, le cacao et bien des épices ou fruits ne peuvent pas être cultivés en France. Il n’y a rien de choquant à ce qu’existe un commerce à longue distance de produits alimentaires. Ce commerce a toujours existé : il est attesté non seulement dans l’Antiquité, mais même à l’époque préhistorique ! L’exigence et les critères qui conduisent à préférer des produits locaux doivent toutefois être appliqués également aux produits importés. En particulier, le mode de production doit être non seulement biologique mais également équitable (permettre aux populations de se nourrir elles-mêmes en parallèle, et de dégager un revenu décent par les produits exportés), le mode de transport doit être le moins polluant possible (le transport par avion doit être proscrit, comme c’est le cas pour tous les produits vendus en Biocoop).

Mais la démarche essentielle est bien de toujours choisir un produit bio et local lorsqu’il existe. Cela inclut un principe de saisonnalité. Si je veux consommer des haricots verts en hiver, je choisirai des haricots locaux mis en conserve – et surtout pas des haricots venus de l’autre bout du monde avec un bilan énergétique déplorable et qui détruisent les productions vivrières des populations concernées. Quant aux tomates ou aux fraises, il n’y a aucun sens à les consommer en hiver (sauf ponctuellement sous forme de conserve ou de confiture).

Une consommation responsable est d’abord biologique. Si elle veut mieux prendre en compte le territoire et encourager l’agriculture environnante, elle est également locale et de saison.

Au cœur de la relation entre territoire, agriculture et société : les semences

Une agriculture biologique ancrée dans un territoire vivant cherchera à privilégier des plantes qui co-évoluent avec leur environnement et leurs agriculteurs (il en est de même avec les animaux). Il est donc important de soutenir également les semences paysannes, c’est-à-dire adaptées aux milieux, adaptables et évolutives (cf. un précédent billet).

Jacques Caplat