Nous avons eu l’occasion de relever outrances, amalgames et contre-vérités dans les propos de polémistes anti-écolos, récemment avec Michel Gay, l’an dernier avec Maud Fontenoy, mais nous sommes obligés d’admettre que le maillot jaune du fanatisme anti-écolo est pour le moment Jean-Marc Sylvestre. Dans un article du 25 juillet dernier paru sur le site de notre confrère Atlantico cet ancien universitaire, journaliste et auteur spécialisé dans l’analyse économique dénonce la trop grande influence des écolos et du Front de gauche sur le gouvernement Hollande-Valls, ce qui serait à l’origine de la colère des agriculteurs français. Le titre de l’article : “Hollande et Valls découvrent que les écologistes et les altermondialistes ont ruiné l’agriculture française” est suivi de ce paragraphe : “Les agriculteurs français sont en colère et ça va forcément continuer tant que le gouvernement français n’aura pas compris que le climat écolo-bobo-altermondialiste qui domine la classe politique de gauche a ruiné les mécanismes de marché et du même coup les agriculteurs.” La thèse que la présidence de Hollande a changé le cours de l’économie agricole en trois ans dans notre pays semble hallucinante mais après tout on a le droit d’exprimer des opinions paradoxales. Je n’insisterai pas sur la surdité profonde du gouvernement à l’égard des revendications écologistes et son écoute bienveillante envers les thèses ultra-libérales. J’évoquerai brièvement la succession des ministres de l’environnement qui avaient l’audace de vouloir timidement défendre ce pour quoi ils avaient été nommés, Nicole Bricq, Delphine Batho, Philippe Martin, jusqu’à ce qu’enfin on ait une ministre qui ait moins de scrupules environnementaux. Ségolène Royal s’est fixé pour objectif de combattre l’écologie “punitive“, ce qui revient à accroitre la punition mais en la transférant sur nos enfants, elle a renoncé à l’écotaxe de Sarkozy, ce qui permet aux porcs bretons d’aller se faire abattre en Allemagne, elle a proposé de rendre les autoroutes gratuites le dimanche, ce qui heureusement n’est pas passé dans les faits, elle veut relancer la construction de centrales nucléaires, elle a donné récemment son accord à l’amendement Cigéo de stockage des déchets radio-actifs, etc…. Jean-Marc Sylvestre n’a peut-être pas lu la “loi Macron”, ou pas réalisé ce que voulait dire le remplacement d’une partie du trafic ferroviaire par des autocars, entre autres mesures à la dévotion du marché.
Je vais reprendre l’argumentation de Jean-Marc Sylvestre sur un seul point qui mérite d’être isolé tant il est énorme : le malheur des agriculteurs français viendrait de leurs subventions ; une agriculture saine ne serait pas subventionnée. Si l’on suppose que l’auteur est de bonne foi, il faut conclure que l’idolâtrie du marché lui a fait perdre les repères qu’un économiste normalement informé ne saurait ignorer. Je vais pour cela seulement prendre l’exemple du sanctuaire du marché libre, les Etats-Unis d’Amérique. On peut retrouver quelques chiffres sur internet : de 2004 à 2008, le montant annuel des subventions fédérales directes ou indirectes à l’agriculture a dépassé 100 milliards de dollars, il était en constante augmentation, depuis la somme de 60 milliards en 1988. Pour les 10 ans en cours, c’est planifié (!) le “farm bill” a été voté pour un peu moins de 1000 milliards de dollars. Pourquoi me direz-vous les USA ont-ils cette politique agricole que Jean-Marc Sylvestre qualifierait de soviétique ? Je crois que c’est simplement parce que l’agriculture est une des clefs de l’indépendance nationale, qu’elle a une valeur stratégique et que si l’on laisse les marchés internationaux spéculer sur la totalité de la production agricole, si l’on n’aide pas les agriculteurs (dont le nombre est déjà en diminution constante) ils iront chercher avec un autre métier un mode d’existence moins aléatoire, c’est en tous cas ce que suggèrent les commentaires que j’ai pu lire sur le “farm bill”: http://www.lemonde.fr/economie/article/2014/02/11/le-nouveau-farm-bill-protege-les-agriculteurs-americains-contre-les-chutes-des-cours_4363953_3234.html
Ghislain Nicaise