A plusieurs reprises j’ai récemment eu l’occasion d’expliquer ce qu’était le stress à des ami-e-s. Ils-elles m’ont assuré que les notions élémentaires que je pensais seulement leur rappeler n’étaient pas connues du public et encouragé à en faire un petit article (1). On utilise souvent le mot stress pour décrire la sensation subjective de pression ou de tension ; pour les physiologistes, depuis la mise au point magistrale d’Hans Selye (2), ce mot désigne la réaction de notre corps en réponse à un agent stressant. Alors que ces agents sont perçus comme nuisibles, la réaction de notre corps est normalement salutaire et si cette agression ne dure pas trop longtemps, nous avons tout à y gagner, nous allons par le stress nous adapter à une situation dérangeante.
En raccourci, le stress va nous préparer au combat ou à la fuite (fight or flight disent les anglophones).
Cette réaction a son origine dans notre cerveau bien entendu mais elle dépend principalement de la mobilisation d’une paire de glandes, nommées surrénales parce qu’elles sont posées sur chacun de nos deux reins. Chacune de ces glandes est composée de deux parties, comme une orange ou plutôt une figue qui aurait une peau épaisse. La peau c’est l’écorce (le cortex), la cortico-surrénale, le centre c’est la moelle, la médullo-surrénale. Les tissus en sont très différent parce que les produits de sécrétion sont différents, ont un comportement différent vis à vis des membranes cellulaires : ceux du cortex sont solubles dans les lipides, mais pas ceux de la partie médullaire.
La cortico-surrénale sécrète les corticoïdes ou corticostéroïdes (d’où leur nom), le cortisol et d’autres molécules qui ont des effets comparables à ceux du médicament connu sous le nom de cortisone, ainsi qu’un peu de testostérone. Vous avez probablement déjà fait appel aux corticoïdes de synthèse pour calmer une inflammation et la douleur qui va avec. L’inconvénient de cet anti-inflammatoire est qu’il est immunosuppresseur. Quand on a besoin de grimper à un arbre pour échapper à un fauve, il est plus important d’avoir les mouvements faciles que de se défendre contre le rhume. Mais si le stress est répété trop souvent, la personne stressée sera plus sujette aux infections diverses. Le cortisol empêche de dormir, encore un bénéfice à court terme qui peut sérieusement nuire si le stress se prolonge. Cette priorité à l’urgence aux dépends du long terme se retrouve par exemple sur l’inhibition de la synthèse de collagène et de la formation de l’os (3), sur l’augmentation de la concentration de sucres dans le sang (effet anti-insuline). De plus le cortisol s’associe à l’adrénaline pour susciter les “souvenirs flash” (flashbulb memories) : les souvenirs de ce type accompagnent les évènements à forte charge émotionnelle qui nous servent plus tard de repères dans le temps (il est important de nous souvenir comment nous avons échappé au léopard, grand amateur de primates).
La médullo-surrénale, reliée à la cortico par un petit système circulatoire privé (un système porte) sécrète dans le sang l’adrénaline et la noradrénaline. Ces hormones augmentent la pression artérielle, le rythme cardiaque, le taux de sucre sanguin. Si vous venez juste d’échapper à un accident, vous êtes pâle parce que vos vaisseaux sanguins périphériques se sont contractés (c’est utile en cas de blessure ouverte !) et votre coeur bat la chamade. Vos mains et vos pieds transpirent ce qui serait une adaptation retrouvée chez d’autres mammifères (4). En plus de l’adrénaline, la médullo-surrénale sécrète des enképhalines, molécules opiacées qui ont pour effet de calmer ou même supprimer la douleur. Les opiacés endogènes (ceux que nous fabriquons) sont le principal agent de récompense que notre corps offre au cerveau, que ce soit lors de la prise de nourriture, de la défécation (ou de la miction), de l’activité sexuelle… Les personnes qui affrontent le stress d’un grand huit à la fête foraine ne réalisent peut-être pas qu’elles s’octroient un petit shoot d’opiacés. Autre stress qui n’est pas souvent compris comme tel : la prise d’alcool.
Ceci m’amène à une anecdote que vous pouvez sauter si vous n’êtes pas friands de souvenirs de régiment. J’ai fait l’essentiel de mon service militaire dans un laboratoire de psychologie de l’armée. L’armée partait de la constatation qu’au feu (sous stress) certains soldats (même ceux au physique ingrat) deviennent des lions, d’autres (même de grands costauds) voient leurs performances réduites à peu de choses. C’est utile de le savoir à l’avance (5). Notre laboratoire faisait passer un test diabolique aux nouveaux (j’y ai eu droit le jour de mon arrivée) ou aux soldats hospitalisés pour des fractures mineures, ou aux gendarmes. Les gendarmes avaient droit à un stress alcoolique parce que, disait-on, la cirrhose leur était reconnue comme maladie professionnelle. Pour les autres, le stress était délivré par un bruit assourdissant de course automobile, le sujet d’expérience étant enfermé dans une très petite pièce, étanche au bruit, que nous n’avions pas le droit de nommer “la cage” devant les sujets. Les sujets faisaient défiler des diapositives d’automobiles avec des questions du genre “y a-t-il une voiture bleue parmi celles qui figurent sur la diapo ?” et pressaient sur un bouton pour donner la réponse, ce qui amenait la diapositive suivante. Les réponses à ces questions étaient la seule variable (parmi plus d’une dizaine) qui n’était pas enregistrée. Ce qui intéressait notre lieutenant-colonel, c’était l’électroencéphalogramme et les potentiels évoqués provoqués par des flashs. L’idée était de pouvoir trier les soldats d’après leurs réactions électriques cérébrales. Certains sujets ne supportaient pas bien les séquences bruitées et finissaient par donner des réponses au hasard dans l’espoir (vain) de terminer la série plus rapidement, pour la grande joie des bidasses qui surveillaient la cage.
Peu de temps après, notre lieutenant-colonel passait une thèse de Sciences pour redevenir civil et professeur en Faculté des Lettres. Le stress mène à tout…
Ghislain Nicaise
(1) Ce sera donc une vision simplifiée de non-spécialiste, si des erreurs arrivent à la lecture de personnes compétentes, elles sont priées d’en faire part au Sauvage pour que nous puissions les corriger.
(2) Longtemps avant que je sache qu’Hans Selye avait défini la notion physiologique du stress, j’avais retenu son nom comme celui de l’auteur génial d’un livre sur les mastocytes (les principales cellules qui sécrètent l’histamine dans nos tissus).
(3) Les collagènes sont des protéines résistantes (on s’en sert pour faire le cuir) qui représentent plus du quart des protéines de notre corps. Ces protéines ont de multiples fonctions, en plus de donner de la solidité à nos tissus. L’inhibition de la synthèse de collagène et d’autres protéines sous l’effet du cortisol augmente la concentration du sang en acides aminés (les constituants de base des protéines) dont les usages sont multiples pour notre métabolisme.
(4) S’il faut en croire Wikipedia : “La transpiration émotionnelle de la paume des mains et de la plante des pieds est apparue au fil de l’évolution chez de nombreux mammifères, comme une réaction de lutte ou de fuite… Sur la paume des mains et la plante des pieds, la transpiration augmente le frottement et empêche ainsi de glisser s’il faut courir ou grimper pour échapper à une situation stressante. Les recherches scientifiques ont révélé que la transpiration sur la paume des mains et la plante des pieds est principalement causée par des stimuli (sic) émotionnels, par opposition à une température ambiante élevée.”
(5) Cette préoccupation des militaires devrait en être une pour les pédagogues, qui se font fort de juger les étudiant-e-s au cours d’examens (stressants !) ; bon, moi je faisais partie de ceux qui donnent leur maximum au cours des examens mais je n’ai jamais trouvé satisfaisant que d’autres qui en savaient plus que moi passaient derrière ou même échouaient parce que le stress des exams diminuait leurs performances intellectuelles.