Nous Sauvage, faisons circuler avec bonheur cet entretien de Michel Sourrouille et d’Yves Cochet. Yves Cochet est un de ces écologistes qui s’est lancé en politique pour parler d’écologie, au contraire de tant d’autres qui se sont égarés dans le carriérisme ou ont persévéré dans le gauchisme de papa. Cochet est avec Hulot un des rares qui restent crédibles. A.H.
Michel Sourrouille : à bientôt 70 ans, est-ce le temps de la retraite ?
Yves Cochet : Depuis mon inscription aux Amis de la Terre en 1972, je n’ai jamais eu l’intention d’arrêter. Je suis toujours au conseil fédéral d’EELV, et 42e sur la liste d’Emmanuelle Cosse pour les régionales. En dernier, mais toujours présent. L’urgence écologique a besoin de nous tous, toujours.
question : La catastrophe est donc en marche. Est-ce bientôt le rôle futur des politiques, comme tu l’as écrit, « de diminuer le nombre de morts ? »
YC : Des intellectuels comme Dominique Bourg ou Bruno Latour sont eux aussi devenus « catastrophistes ». On va tout droit dans le mur, vers le chaos climatique et donc social. Des organismes qui pensent le long terme comme les compagnies d’assurances ou les militaires se préparent au pire. On comprend mieux la gravité de la situation à la lecture de leurs rapports plutôt qu’à la lecture des journaux. Il n’y a pas assez de terres arables et pas assez d’eau pour satisfaire les besoins d’une population en constante augmentation.
question : Serais-tu pessimiste ?
YC : J’essaie d’éviter les sentiments sur l’évolution des réalités biophysiques. Si l’écologie politique (les Verts, puis EELV) obtient un mauvais score aux élections, c’est parce que nous sommes trop réformistes, alors que l’écologie, c’est violent, à l’image des phénomènes désastreux que l’action humaine a déclenchés. Il se dessine un monde de décroissance, de récession disent les économistes. Nous devrions aussi en tant qu’écologiste parler de décroissance démographique. Mais cela reste encore un tabou. A EELV, nous avons raboté notre radicalité, et cela n’a pas augmenté notre score. On s’éloigne pour des raisons électoralistes de l’état réel du monde, que ce soit sa réalité sociale ou écologique. Nous devrions dire la vérité sur l’état de la planète alors que les autres politiciens ne cessent de mentir, comme Sarkozy qui voulait aller chercher une croissance de 3 % avec les dents et Hollande qui ne jure lui aussi que par la croissance économique. Je suis pour la décroissance de l’empreinte écologique des pays du Nord. D’ailleurs, nous avions organisé en 2008 à Paris notre première réunion internationale sur la décroissance. Dire explicitement que l’effondrement va arriver, ce serait moralement plus juste et politiquement plus clair que notre réformisme borgne actuel.
question : Que faire contre le réchauffement climatique ?
YC : Il faudrait que les Français apprennent à se tricoter un pull supplémentaire car il est plus efficace de chauffer directement son corps plutôt que de chauffer l’air de son logement. Et il y a mille autres comportements sobres à adopter face à la domination des multinationales productivistes. Il faut aussi donner une large place à la société civile, aux initiatives locales, encourager la création de villes en transition, soutenir les zadistes qui, sur les zones à défendre, combattent l’intrusion croissanciste à Notre-Dame-des-Landes ou à Sivens…
NB : pour avoir la version intégrale de l’interview, site JNE
bibliographie succincte
2003 Sauver la terre (Yves Cochet avec Agnès Sinaï)
La plupart des dysfonctionnements de la biosphère résultent d’une multitude d’actes individuels apparemment anodins et infimes, mais répétés des millions de fois à l’échelle de la planète. La Terre est devenue un laboratoire où l’humanité s’est engagée dans des expérimentations hasardeuses. Mais les lois de la nature existent indépendamment du désir ou de l’imagination des êtres humains. La concentration de CO2 dans l’atmosphère, le nombre d’espèces vivantes, la radioactivité des déchets nucléaires sont des phénomènes objectifs, des forces aveugles qui n’ont aucune opinion, avec lesquelles on ne peut passer aucun compromis. La politique aujourd’hui consiste dans l’impérative nécessité de prendre conscience de la crise environnementale globale, elle ne saurait se borner à la recherche de compromis entre groupes humains ayant des intérêts contradictoires. Mais la propagation du sentiment d’urgence ne peut être que lente au sein d’un monde politique obsédé par la rivalité.
Contrairement à d’autres affaires humaines – la paix et la guerre avec l’ONU, le commerce avec l’OMC (organisation mondiale du commerce) -, la biosphère ne bénéficie d’aucune instance de surveillance mondiale à la hauteur. Dans le plan d’action adopté en 2002 à Johannesburg, les termes d’« Organisation mondiale de l’environnement » ne figurent pas une seule fois, tandis que le sigle OMC apparaît 28 fois. A Rio en 1992, l’enjeu Terre est mis en balance avec l’objectif du développement. Le thème central du sommet de Johannesburg dix ans après, c’était d’éradiquer la pauvreté grâce au développement durable : le pilier économique domine. Comme si le monde pouvait être sauvé de la pauvreté sans que la Terre elle-même soit préservée !
Si la vision « durable » était à la hauteur des enjeux :
1. il faudrait réintégrer l’économique dans les sphères écologiques et sociales ;
2. la sauvegarde de l’environnement orienterait tous les choix politiques ;
3. la fuite en avant technologique serait démythifiée par une critique éclairée des technosciences ;
4. un processus de décroissance matérielle, de reconsidération de la richesse à l’aune de nouveaux indicateurs, la viabilité écologique et la justice sociale serait la toile de fond.
Plusieurs scénarios peuvent être décrits, par exemple « Barbarie et dévastation » ou « Dictature et forteresses ». Une troisième voie, « Démocraties et soutenabilité », est étroite mais désirable : des changements radicaux mais négociés, des valeurs fondées sur la solidarité entre les humains, la conscience des responsabilités vis-à-vis de la planète. Le sentiment de la menace imminente paraît être l’incitation la plus puissante en faveur d’un abandon des modes de production et de consommation productivistes, d’un renoncement à la démesure. La soutenabilité deviendra la priorité politique absolue parce qu’elle sera désormais une affaire personnelle pour les puissants de ce monde, comme pour chacun d’entre nous. Tous les collectifs contribueront à orienter l’évolution de la soutenabilité, sans qu’aucun puisse prétendre la maîtriser seul. Il s’agira d’une mobilisation générale des sociétés choisissant la décroissance matérielle. En deux générations, la situation peut changer. Dans deux générations, elle ne changera plus. Il est fort possible que, dans les années 2030, nos enfants se demanderont comment tant d’adultes ont pu foncer aveuglément dans le mur, en accélérant et en klaxonnant.
2005 Pétrole apocalypse (Yves Cochet)
La hausse du cours des hydrocarbures ne sera pas un simple choc pétrolier, ce sera la fin du monde tel que nous le connaissons. Ce choc proviendra de la coïncidence de trois situations inédites : une situation géologique, avec le déclin définitif de la production de pétrole ; une situation économique, avec un excès structurel de la demande mondiale de pétrole par rapport à l’offre ; une situation géopolitique, avec une intensification du terrorisme et des guerres pour l’accès au pétrole.
Suite au pic pétrolier, les pays importateurs souffriront de pénurie, ce qui les entraînera vers l’effondrement économique et social. Les responsables économiques et politiques n’ont pas anticipé la situation qui s’annonce. Où aller pour trouver à boire et à manger ? Nous n’avons plus de parents fermiers à la campagne chez lesquels nous réfugier comme nous l’avons fait au cours de la débâcle de 1940. Nous n’avons plus un ailleurs inexploré comme l’avaient jadis quelques hordes, émigrant massivement lorsque la pression démographique sur le territoire traditionnel dépassait sa capacité de charge écologique. Que nous restera-t-il hormis la violence ? Il n’existe qu’une demi-solution : la sobriété immédiate.
La décroissance mondiale de la production de pétrole sera synonyme de décroissance du PIB pour l’économie mondiale dans son ensemble. Dans une interview du 2 juillet 2005, le ministre de l’environnement britannique, Elliot Morley, encourage ses concitoyens à « penser l’impensable » : la mise en place de cartes de rationnement énergétiques individuelles dans moins de dix ans. Tout ce qui ressemble à une organisation basée sur le transport bon marché à longue distance aura du mal à subsister, hormis les armées pendant quelque temps. Dans les années 20 de ce siècle, il n’y aura plus d’aviation civile commerciale de masse. L’aviation d’affaires, organisée différemment, survivra un moment encore, tandis que la foule des gens ordinaires délaisserait l’exotisme des semaines bon marché aux Maldives pour se rabattre sur les WE à la campagne. Fin de PSA et de Renault, de LVMH et de l’Oréal, qui ont tant fait rêver nos contemporains pendant les années exubérantes du pétrole bon marché. Les institutions centralisées de la France se déliteront sans doute pour laisser le pouvoir aux régions ou, plus vraisemblablement, aux cantons. La vie sociale se reconstruira autour des petites villes et des villages, proches des cultures et des poulaillers. Si les événements extérieurs à ces communautés locales le permettent !
2009 Antimanuel d’écologie (Yves Cochet)
L’économie que nous voulons esquisser – appelons-là l’économie biophysique – part de l’hypothèse que l’énergie et les matières requises pour fabriquer biens et services doivent être tout autant prises en compte que les interactions entre humains. L’approche classique par les seuls « travail » et « capital » comme facteur de production omet que c’est l’énergie qui est à l’origine de toute richesse. Il faut environ 100 millions d’années pour « produire » du pétrole ; si la nature était une marchande capitaliste, à combien nous offrirait-elle le litre de super ? La fable de l’économie telle que l’expose la quasi-totalité des manuels de sciences économiques en fait un système circulaire d’échanges de valeurs entre la sphère des entreprises et la sphère des ménages. C’est un système conceptuellement clos, une sorte de machine intellectuelle réalisant le mouvement perpétuel à l’intérieur d’un grand parc aménagé pour la satisfaction des humains
Nos dirigeants tentent de contrecarrer les crises socio-économiques par une fuite en avant dans la complexité économique (restructuration, délocalisation, plans sociaux, croissance externe…) ou politique (pléthore de niveaux institutionnels, de lois, de réglementer, de rapports, de commissions…) au détriment du bien-être social et de la santé écologique. Le gain marginal d’une complexité croissante décline jusqu’à devenir négatif. Lorsque le taux marginal devient négatif, tout accroissement de la complexité (et de ses coûts) entraîne la diminution des bénéfices sociaux. L’effondrement économique et social est alors probable. Malheureusement le discours sur l’effondrement ne peut être tenu par les responsables économiques et politiques, qui, à la place qu’ils occupent, sont soumis aux contraintes de l’interaction spéculaire (ndlr : spéculaire, relatif au miroir). Ni par les responsables économiques parce qu’ils n’ont d’autre horizon que la rentabilité, de plus en plus financière, de leur entreprise, et la concurrence féroce pour les parts de marché dans leur secteur. Ni par les responsables politiques parce qu’ils n’ont d’autre horizon que leur prochaine réélection et la concurrence féroce pour les places de pouvoir dans les institutions. Le déni de la crise environnementale n’est donc pas dans la tête de chacun en tant qu’il serait un être déraisonnable ou insuffisamment informé, c’est un effet de système qui émerge de la combinatoire spéculaire. Le rapport à la vérité n’est pas d’ordre rationnel, il est d’ordre social. On ne peut avoir raison tout seul, Galilée en sait quelque chose.
Or le temps dont nous disposons pour préparer un nouveau monde se compte en années, non en décennies. Nous ne sommes plus dans le projet de société désirable, nous sommes dans le compte à rebours pour essayer de réduire les conséquences dramatiques de l’inéluctable catastrophe. Ne nous cachons pas la vérité, nous parlons de la mise en place d’une économie de guerre comparable à ce qu’avait décidé le président Franklin Roosevelt en 1942, après Pearl Harbor. Alors pourra se déployer la redistribution de la terre, du travail et des revenus. Redistribuer la terre en vue d’une agriculture paysanne, biologique, plus respectueuse des écosystèmes, plus intense en main d’œuvre. Redistribuer le travail par les trente-deux heures, par la reconversion des activités socialement ou écologiquement dangereuses vers les « emplois verts », l’économie solidaire… Redistribuer les revenus entre riches et pauvres, notamment par l’instauration d’un revenu maximal autorisé et d’un revenu d’existence. Quel est donc l’objectif monétaire que nous devons atteindre ? Que les banques tendent vers l’horizon de 100 % de réserves. Lorsque tout euro investi sera gagé par un euro préalablement déposé, alors seulement sera rétabli l’équilibre et la confiance.
Si nous voulons conserver les valeurs cardinales de l’Europe que sont la paix, la démocratie et la solidarité, la transition vers cette société de sobriété doit suivre quatre orientations principales que je résume :
– la tendance vers l’autosuffisance locale et régionale en matières énergétique et alimentaire ;
– la tendance à la décentralisation géographique des pouvoirs ;
– la tendance à la relocalisation économique ;
– la tendance à la planification concertée et aux quotas, notamment en matières énergétique et alimentaire.