« La question climatique : Genèse et dépolitisation d’un problème public » de Jean-Baptiste Comby.
par Jean Monestier
J’ai eu envie de lire ce livre après avoir lu, dans le numéro 128 du journal « La Décroissance », un long entretien avec son auteur. Et je n’ai pas été déçu. De son côté, dans « Extractivisme », Anna Bednik se demande si la mise en avant du problème climatique ne sert pas à éluder le souci de l’exploitation forcenée de tous les gisements situés dans des territoires « sacrifiés ». Ayant travaillé dans une chaîne publique de Télévision, j’avais pu vérifier le constat de Pierre Bourdieu qui dit en substance que ce qu’on montre à la télévision sert à ne pas parler de ce qu’on n’y montre pas. Et ceci vaut pour tous les autres médias, même si une moindre densité du contenu y autorise un éventail plus large de sujets. Il y a par ailleurs un grand principe de prestidigitation qui consiste à « cacher » par un grand geste spectaculaire un petit geste tout à fait visible mais que le public ne « verra » pas, ce qui crée l’illusion.
Dans « La question climatique », Jean-Baptiste Comby, sociologue, démontre que c’est bien ce qui se passe. Et ce n’est pas le développement d’une opinion, mais un véritable travail scientifique que décrit son livre, qui est d’ailleurs la présentation publique d’une thèse universitaire. On bénéficie en le lisant de l’obscur travail de toute une équipe, recrutée pour l’occasion, qui a dépouillé diverses statistiques, et notamment deux séries parallèles des conducteurs des journaux télévisés de TF1 et France 2 mises à disposition par l’I.N.A. Au sujet de la sociologie, on parle de « science molle », mais, toute « molle » qu’elle soit, cette fois, il semble difficile de nier les faits.
Non seulement la question climatique est surreprésentée dans les médias par rapport à d’autres thèmes écologiques, mais on parle beaucoup des conséquences et très peu des causes du bouleversement en cours, l’angle des sujets est souvent anecdotique, et même les contributions des scientifiques servent à entretenir une vision conformiste du problème. C’est ainsi tout un système de pensée qui s’impose partout, et dont les médias n’exposent que la partie émergée, la plus visible. Il s’agit de mettre en avant les responsabilités individuelles et les gestes éco-citoyens, car « centrer les politiques publiques sur les individus permet d’éviter un combat politique devant aboutir à l’imposition de règles aux industriels » (page 103). C’est ainsi que « Puisant dans une conception « mécanique » de l’économie de marché, l’idée selon laquelle les industriels répondraient « naturellement » aux demandes jugées peu écologiques des consommateurs rend l’individu responsable en dernier ressort de la mauvaise tournure des choses » (page 114).
Comme si un seul client pouvait décider ce que l’industriel doit mettre à sa disposition, comme si la perversion publicitaire n’existait pas, ni les innombrables « bavardages » conformistes qui constituent au fond un « bain publicitaire » permanent, inconscient, et d’autant plus asservissant.
Evidemment, le principe « diviser pour régner » est également à l’œuvre dans ce schéma. Les classes supérieures aux comportements écologiques individuels dits vertueux sont données en modèle aux classes pauvres d’où nous viendrait tout le mal. Le problème reste que, grâce à leurs moyens financiers, elles sont aussi championnes de l’effet rebond, qui est au fond un des ressorts de l’idéologie de la « croissance verte ». Mais les enquêteurs sont allés y voir de plus près, ont examiné les poubelles et les statistiques peu publiées. En conclusion, les éco-gestes vertueux affichés dans la sphère publique cachent le laisser aller consumériste qui règne effectivement dans la sphère privée grâce à un train de vie bien supérieur. C’est ainsi que l’auteur va jusqu’à se demander si, « du point de vue environnemental, il ne vaut pas mieux être pauvre et mal informé que riche et conscientisé » (page 176). Et de souligner au passage « l’artificialité de l’égalisation des responsabilités individuelles face au surplus d’émissions de GES » (Gaz à Effet de Serre) (page 184).
Même les militants n’échappent pas à un double langage puisque, sauf de très rares ascètes, ils ne vivent pas retirés du monde et revendiquent même leur appartenance à ce dernier, soutenant ainsi le système qu’ils cherchent à combattre. Ce que je pressentais vaguement ces derniers mois comme « les limites de la militance », par exemple la soumission de facto à l’injonction d’échanger tous les décodeurs de télévision contre des décodeurs HDI, gigantesque opération d’obsolescence programmée menée au pas cadencé, est explicité noir sur blanc par Jean-Baptiste Comby. « L’intégration sociologique et politique d’une large partie des militants à l’ordre institué suppose bien souvent qu’ils adhèrent à des conceptions dépolitisées de l’environnement » (page 157).
Mais pendant ce temps là, la situation écologique réelle continue à se détériorer de façon discrète mais accélérée, ce qui rend de plus en plus hypothétique le grand sursaut salvateur. Pour l’auteur, « la morale écologiste (…) restera sans effet durable sur la réduction des problèmes environnementaux tant que ne seront pas détricotés les mécanismes entretenant une forme sociale pyramidale en haut de laquelle on accède – et du haut de laquelle on se distingue – en cultivant des styles de vie à l’origine de pollutions et d’émissions de GES importantes » (page 211).
En fait, ce livre contient donc aussi une démonstration scientifique que les problématiques écologiques et sociales sont étroitement imbriquées. Dense mais lisible, il rendra tous les militants qui acceptent de réfléchir à leur propre implication dans le système conscients de la nécessité d’une convergence des luttes sociales et environnementales.
Jean Monestier, Le Soler, le 04.05.2016
Diplômé en économie auprès de l’Université de Toulouse, Artiste-Auteur-Militant, Objecteur de croissance, Etudiant en collapsologie, Défenseur d’une biosphère humainement habitable.