Sans oublier d’être heureux. La vie très imprévue de Claude Perdriel inventeur, industriel et homme de presse. Marie-Dominique Lelièvre. Stock 20,50€
par Alain Hervé
Voilà un livre emmerdant, distrayant.
D’abord distrayant, avec l’histoire d’un personnage de bande dessinée Claude Perdriel. Sorte de Tintin au pays des carnassiers de la presse. Le portrait qu’en fait Marie-Dominique Lelièvre est surprenant. Après une enfance malheureuse, des études médiocres, il bachote et entre à Polytechnique et mieux, en sort ingénieur. Mais l’homme est surtout un casse-cou, un audacieux, un risque tout. Et il a de la chance. Il fait fortune avec la SFA une entreprise pour l’épuration des eaux et les Sanibroyeurs, dits dans l’intimité de la maison « mousse caca ».
Il dépense tout avec ses danseuses : le Nouvel Observateur, le Matin, le Sauvage, Challenges et d’autres. Il a la passion de la politique et des journaux. Le hasard, aidé par Philippe Viannay, a permis que je l’embarque dans l’aventure du Sauvage, qu’il a financée pendant neuf ans de 1972 à 81. Je lui en conserve une reconnaissance extrême. Ce fut un patron discret qui nous a laissé la plus grande liberté pour exprimer des idées totalement insolites pour l’époque. Il a été un des rarissimes hommes de pouvoir qui ait reconnu la pertinence de l’analyse écologique dès les années 70. Certes il les interprétait à sa manière. Dans le même temps il restait partisan du nucléaire comme il le deviendra des gaz de schistes.
Je vois Claude comme un joueur d’échecs capable de mener simultanément deux parties avec des partenaires qui s’ignorent.
Tous les épisodes de sa vie mouvementée, quelquefois cocasses ou imprévisibles sont racontés avec leur contrepoint humain : histoires d’amitiés, de relations amoureuses, oh combien, de courses automobiles, de vacances jet set… Pour l’avoir fréquenté de près pendant des années, je découvre dans ce livre un autre homme, un danseur infatigable, un jouisseur de l’existence, un amateur de peinture moderne. Même si je ne partage pas tous ses goûts, je regrette de ne pas l’avoir fréquenté de plus près.
Marie–Dominique Lelièvre a effectué pour cette biographie un travail de bénédictin pendant des années, avec des dizaines d’interviews. Elle a manifestement succombé au charme de son sujet et elle l’a exprimé avec chaleur et virtuosité. Je la remercie d’avoir consacré un chapitre entier au Sauvage.
Pour le côté emmerdant je me demande quel public en 2016 va s’intéresser à cette épopée du XXe siècle, lorsque l’histoire s’écrit à la vitesse d’un bobsleigh. Nous appartenons à un monde disparu.
A.H.
Pour ceux que cela intéresse cependant, on se reportera au livre de Jacqueline Remy Le Nouvel Observateur 50 ans de passions, paru il y trois ans et que Le Sauvage avait critiqué.