Le funeste destin des génies précoces: Bernard Buffet

8 décembre 2016,

par Marjorie Jouenexpo-peinture-bernard-buffet-retrospective-musee-art-moderne-paris

Pas facile de trouver des compagnons pour voir la rétrospective consacrée à Bernard Buffet au Musée d’art moderne de Paris : les barbouillages des années 90, la surexploitation commerciale et quasi-industrielle des œuvres par le peintre lui-même expliquent grandement la réaction de rejet parmi mes amis âgés de plus de 50 ans. Pour les autres, Buffet évoque peut-être un portrait de clown reproduit à des millions d’exemplaires, mais qui n’est finalement pas ce qu’on retiendra de l’exposition.

En effet, ce sont les tableaux de la 1ère période – la rétrospective en distingue trois – , qui ont fait, avec justesse, la célébrité de Buffet alors qu’il avait à peine 20 ans. Une grande tristesse se dégage des personnages masculins, impressionnants de maigreur, des objets du quotidien traités en nature morte et des scènes peintes à plat comme les fresques des premiers siècles de la Chrétienté. Les fonds aux couleurs ocrées ou vertes, griffés, sont pleins de matière et de vie. Ce contraste crée une forte émotion, durable.

Mais, au fil du temps, les toiles perdent cette qualité et le trait noir entourant les personnages ou les objets, qui était discret au début, s’empâte et devient obsessionnel au point de ne plus voir que lui ; il se transforme en marque de fabrique, source d’abondants dividendes. Et l’on en vient à regretter qu’il y ait eu un Bernard Buffet adulte puis vieillard …

Cette réflexion cruelle naît de la lecture des magazines exposés en vitrine, témoignant de la vie intellectuelle des années d’après-guerre. Dans l’un d’eux, une photo réunit Françoise Sagan, Bernard Buffet et Yves Saint-Laurent ; le journaliste y note « nos jeunes génies sont tristes ». On songe alors à la façon dont chacun d’eux a galvaudé son talent et on se demande : aurait-il fallu qu’ils meurent jeunes pour rester des génies aux yeux des générations suivantes ?